Une société méconnue… et souvent mal aimée

par Alain Guilbert

Il y a quelques jours, on a célébré un anniversaire qui est probablement passé inaperçu aux yeux d’une majorité de Canadiens. En effet, c’est le 14 avril 1981 (il y a donc 30 ans exactement) que le ministère des Postes du Canada a été transformé en société d’État, soit la Société canadienne des postes, ou plus familièrement Postes Canada.

À l’époque, le changement avait causé de nombreux grincements de dents au sein de la population parce que le prix d’un timbre courant (celui utilisé pour poster une lettre ordinaire) passait instantanément de 17 cents à 30 cents. Depuis des années, le ministère des Postes encaissait des pertes annuelles d’un demi-milliard de dollars ou plus. Le mandat de la nouvelle société d’État consistait à se réorganiser sous le modèle d’une entreprise efficace, d’opérer sans subventions gouvernementales, et idéalement de dégager des profits, de payer des impôts et même de verser un dividende à son actionnaire unique, le gouvernement du Canada.

À cette époque, les relations du travail entre le gouvernement et ses employés du secteur postal étaient au pire. Les grèves s’enchaînaient presque automatiquement tous les deux ou trois ans. Il fallait être visionnaire pour croire que ce secteur pouvait être transformé en une entreprise profitable. L’un de ces visionnaires était André Ouellet, un ex-ministre des Postes qui est devenu le premier ministre responsable de la nouvelle société. À la fin des années 1990, il en est aussi devenu le président du conseil d’administration, puis le président et le chef de la direction.

Trente ans plus tard, on peut dire qu’André Ouellet et ses collègues ont largement gagné leur pari. Dans son rapport annuel de 2009 (le dernier disponible sur son site Internet – le prochain devant être publié dans quelques semaines), Postes Canada déclare un profit pour une quinzième année consécutive malgré un contexte économique difficile. Ses revenus pour cette année-là ont atteint 7,3 milliards $, en baisse de 421 millions $ sur l’année précédente, mais ses dépenses avaient aussi diminué de 639 millions $, ce qui lui a permis de réaliser un bénéfice avant impôts de 379 millions $ et un bénéfice net de 281 millions $. On est bien loin des déficits d’autrefois… et en plus le service postal n’a pas connu de grève depuis bientôt 14 ans.

Pourquoi je vous parle aujourd’hui de Postes Canada? Parce que j’y ai œuvré pendant presque huit années (1997 à 2005) à titre de vice-président, Communications, et parce que j’ai adoré chaque jour (à peu de choses près) où j’y ai été. Dans les années précédant mon entrée au sein de la société d’État, j’avais à plusieurs reprises critiqué ouvertement et publiquement Postes Canada pour toutes sortes de raisons, particulièrement pour la distribution des publications, un secteur auquel j’ai consacré une grande partie de ma carrière. Je dois bien avouer aujourd’hui que mes critiques n’étaient pas toujours bien fondées, pour la bonne et simple raison que je ne connaissais pas très bien Postes Canada.

Ce n’est qu’une fois à l’intérieur de l’entreprise que j’ai appris à vraiment la connaître, et surtout à l’apprécier. Qu’on pense seulement à l’immense défi quotidien que relève Postes Canada, celui de distribuer annuellement près de 11 milliards de pièces de courrier et de colis à pas moins de 15 millions d’adresses résidentielles et commerciales. Et sans oublier que le Canada est le deuxième plus grand pays au monde en surface, que non seulement le courrier doit être livré à Montréal, Toronto et Vancouver, mais aussi à Iqaluit, Fort McMurray, Kujjuak et des milliers d’autres. Dans de nombreux endroits, il n’y a même pas de routes pour s’y rendre. Pourtant, le courrier y arrive régulièrement. Nombreux sont ceux qui disent que la poste est un mode « lent » de distribution, mais elle n’en est pas moins efficace. L’un des objectifs de Postes Canada est de livrer le courrier en deux jours dans la même ville, trois jours dans la même province et quatre jours d’une province à une autre. Cet objectif est atteint régulièrement… et pour l’atteindre, il faut que 80 % du courrier soit livré avec un jour en moins que l’objectif, c’est-à-dire un jour de délai dans la même ville, deux jours dans la même province et trois jours d’une province à l’autre. Mais peu de personnes reconnaissent cette efficacité. Un ami personnel, qui était à l’époque vice-président principal, Opérations, à Postes Canada, m’avait dit que s’il avait à distribuer le courrier en Suisse, par exemple (un pays à peine plus grand que notre main!), il pourrait le faire deux fois par jour avec une main attachée dans le dos. Bien sûr, il ne voulait que souligner l’immensité de notre pays et le peu de densité de population sur plus de 80 % de notre territoire.

Je vous raconte une expérience vécue à plusieurs reprises. Lorsque je travaillais à Postes Canada, j’allais chez le parodontiste toutes les 10 semaines, habituellement le mercredi à l’heure du midi. À la fin de mon traitement, la réceptionniste remplissait mon formulaire d’assurances et le transmettait à la compagnie d’assurances par télécopieur ou par Internet. Le vendredi midi, je recevais mon chèque de remboursement à la maison. Quand je disais cela à un ami, je lui demandais ce que cela signifiait pour lui. On me répondait invariablement que la compagnie d’assurances était « vite sur ses patins ». J’ajoutais alors que oui, la compagnie d’assurances était rapide, mais que Postes Canada l’était également. En supposant que la compagnie d’assurances mettait un jour à conclure la transaction, Postes Canada complétait la livraison en un jour aussi. Mais jamais personne ne m’a mentionné ce côté de la médaille.

Au cours de mes années à Postes Canada, j’ai eu l’occasion, par la nature de mon travail, de voyager à travers tout le pays. Partout, j’ai rencontré des employés de Postes Canada, des facteurs, des employés de centres de traitement, des superviseurs, des gestionnaires, des comptables, des avocats et bien d’autres. Toujours, et cela sans exception, j’ai trouvé parmi eux des personnes extraordinaires, dévouées et engagées à bien servir leurs clients, les citoyens du Canada. Bien sûr, ils ne sont pas tous parfaits. Un certain nombre d’entre eux ne performent pas à la hauteur des attentes, mais il n’y en a plus à Postes Canada qu’il n’y en a dans toutes les autres entreprises, dans tous les autres métiers ou professions.

Il se trouve bien des gens pour penser que Postes Canada serait plus efficace si cette entreprise était privatisée. Ces personnes ne croient pas à l’efficacité de l’entreprise dite
« publique ». Il est possible, voire probable, que l’entreprise privée puisse efficacement distribuer le courrier dans les grandes villes où les adresses à desservir sont nombreuses. Mais cela équivaudrait quasiment à abandonner les citoyens qui vivent dans les villages et les zones rurales. C’est une décision politique qui déterminera l’avenir de Postes Canada… et je doute fort qu’un parti politique ose sacrifier une partie de la population et la priver d’un service qui répond très bien à ses besoins… et qui permet à plus de 70 000 personnes d’y gagner très honorablement leur vie.

Avant de penser à la privatisation, on pourrait encore faire des économies en ne distribuant le courrier qu’aux deux jours aux adresses résidentielles. Personne n’en mourrait… tout comme personne n’en est mort quand on a cessé de distribuer le courrier le samedi au milieu des années 80. (À cause des pressions syndicales, la poste des États-Unis distribue encore le courrier le samedi. Je n’y vois aucun avantage pour les citoyens.) On pourrait également augmenter les boîtes postales communautaires dans les quartiers résidentiels des villes plutôt que de livrer de porte-à-porte. Encore là, on ferait des économies intéressantes sans priver personne d’un service que je considère encore comme essentiel.

Bon 30e anniversaire à Postes Canada… et que cette entreprise « publique » puisse poursuivre son œuvre encore longtemps. C’est une entreprise qu’on aime bien quand on la connaît vraiment!

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Une réflexion sur “Une société méconnue… et souvent mal aimée

  1. Je peux témoigner dans le même sens. Lorsque je suis arrivé à Postes Canada, en 1987, je savais que c’était l’entreprise qui exploitait le bureau de poste de la rue Principale à Hawkesbury, que j’allais y acheter des timbres, poster le courrier et récupérer parfois celui de l’entreprise. Quelle surprise une fois arrivée au siège social. Je découvre que c’est une des plus importantes entreprises du pays. Un des plus gros employeurs. J’y resterai pendant 23 ans, dont les huit auxquelles Alain se réfère.

    Mon seul mauvais souvenir, ce sont les trois mois que j’ai passés renfermés au Château Laurier, en 1991, pendant les négociations qui ont précédé la grève de cet automne-là. J’avais été rappelé de vacances au début d’août pour me rendre au Château. J’y travaillais, j’y dormais, sept jours sur sept. Je n’étais pas le seul à le faire. Mes deux collègues des relations avec les médias (tristement, les deux sont décédées depuis) et notre agente de soutien ont fait de même. C’était toutefois une expérience inoubliable. Imaginez-moi en train de faire une entrevue avec un animateur de radio de St. Johns, Terre-Neuve, en anglais, à 5 h 30 heure d’Ottawa (7 h de là-bas), assis sur le bord de mon lit… tout juste réveillé! Ça s’est produit quelques fois pendant les trois mois.

    Je pourrais écrire un livre complet sur mon passage de deux décennies à Postes Canada, période au cours de laquelle la jeune société d’État s’est transformée et modernisée.

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