Le texte suivant avait été publié dans le journal Le Carillon du 15 avril 1987. J’ai décidé de reproduire le texte intégralement, y compris le nom de l’individu, parce que 26 ans plus tard, il doit en être encore drôlement fier. Personnellement, je crois qu’il est un exemple de la nécessité et de l’efficacité des programmes de réhabilitation par opposition à l’incarcération à long terme que semble favoriser notre gouvernement conservateur fédéral actuel. Le reportage avait été sous la plume d’Yves Rouleau.
L’ambiance était à la réjouissance lundi midi à la prison de L’Orignal. Et le sujet de la fête, fait rare, était un détenu, Gaston Demers. Fait rare, en effet, car les prisonniers sont davantage habitués à être en marge de la société plutôt que les héros d’une fête.
La direction et les gardiens de la prison, des enseignants, un prêtre, un conseiller scolaire et les médias étaient du party qui soulignait la remise du diplôme de 12e année à Gaston Demers, le premier prisonnier de l’institution à avoir parfait ses études pendant son incarcération. Il y en aura d’autres promettent les concepteurs de ce projet d’enseignement aux détenus.
Gaston Demers a accepté des félicitations d’une sincérité touchante de la part de ceux qui l’ont aidé à obtenir son diplôme. Lui-même a profité d’une allocution pour témoigner de façon émouvante de sa gratitude.
C’est en janvier que Gaston a décidé de s’attaquer à la tâche de décrocher un diplôme de 12e année. Cette possibilité s’est ouverte à lui par le biais d’un projet commun de la prison de L’Orignal et du programme d’école alternative de l’école secondaire régionale de Hawkesbury afin de permettre aux détenus d’améliorer leur scolarité pendant leur détention. Ce projet est inédit en ce sens que les enseignants se rendent à la prison et offrent les cours sur place.
Un peu plus de trois mois plus tard, Gaston Demers a obtenu ses quatre crédits qui lui en donnent 27 et un diplôme d’école secondaire. Il a obtenu deux crédits de français, un d’anglais et un de mathématiques.
Lundi, Gaston Demers, 31 ans, était un homme nerveux. Il vivait d’espoir. Bientôt, il retrouvera sa liberté et cette fois il se promet que ce sera pour de bon. « Je suis pas mal fier d’avoir obtenu ce diplôme », a indiqué le nouveau diplômé lors d’une allocution précédant le dîner en son honneur. « Pour la plupart des gens, un diplôme de 12e année, ce n’est pas ce qu’il y a de plus extraordinaire, mais pour un détenu c’est excellent », a-t-il ajouté.
Dans un vocabulaire restreint, mais dans une forme cohérente, l’élève prisonnier a parlé avec émotion de la joie que lui procurait l’obtention du diplôme. Il n’a pas parlé que pour lui-même, mais aussi pour tous les détenus.
« L’obstacle majeur à la réhabilitation des détenus c’est l’éducation, a-t-il affirmé. Bien sûr, il y a les problèmes de drogue et d’alcool, mais c’est surtout l’éducation. Nous sortons toujours de prison plein de bonnes intentions. Nous partons cogner aux portes pour une job. Notre manque d’éducation nous ferme les portes. Par conséquent, nous nous retrouvons sur le bien-être ou avec un emploi qui rapporte à peine 4 $ l’heure. Beaucoup d’entre nous ont des familles à soutenir. À ce salaire, nous devenons incapables de payer les factures de fin de mois. Nous tenons le mieux que nous pouvons, puis nous n’en pouvons plus. C’est alors que nous décidons ‘d’arrondir’ à notre manière les fins de mois… et que nous nous retrouvons de nouveau derrière les barreaux. »
Gaston Demers n’était pas le seul homme heureux lundi à la prison de L’Orignal. « Je travaille dans des centres de détention depuis longtemps. Il y a eu plusieurs journées que j’aime mieux oublier. Mais cette journée est une des plus heureuses de ma vie dans mon travail », a admis le sergent André Cadieux de la prison, un des promoteurs du projet de parachèvement de l’éducation des détenus.
« Quand j’ai commencé avec le ministère des Services correctionnels, j’avais le rêve d’un programme d’éducation des détenus. Maintenant ce rêve se réalise », a-t-il encore ajouté.
Serge Sauvé est un des deux enseignants qui a accepté de participer à ce projet d’éducation des détenus. Il a trouvé l’expérience des plus enrichissantes. « Je n’avais jamais mis les pieds à la prison, raconte-t-il. J’ai ressenti un drôle de feeling. Je me suis demandé si je pourrais. Puis, lorsque j’ai commencé, ça s’est casé. Je me sentais très à l’aise. L’expérience a été très enrichissante et stimulante professionnellement. »
M. Sauvé a également été étonné de l’attitude enthousiaste des élèves prisonniers. Il a également admiré leur propension à s’entraider.
Le deuxième enseignant à participer au projet, Yves Séguin, a également été emballé de l’attitude positive des détenus. « Ils s’employaient tous à réussir leurs travaux. On m’a raconté que certains d’entre eux exécutaient leurs travaux le soir dans leurs cellules dans la pénombre », a relaté M. Séguin.
Ce dernier a par ailleurs insisté. « N’allez pas croire que nous faisons aux détenus cadeau de leur diplôme. Les cours aux détenus sont les mêmes qu’offerts aux autres élèves de l’école alternative », a-t-il indiqué.
Gaston Demers a pour sa part retourné le compliment aux deux enseignants.
« Pour que le programme fonctionne, il fallait que les détenus aient confiance aux deux enseignants sinon ce n’aurait pas fonctionné. Nous avons tout de suite senti que les enseignants nous respectaient. Ce n’est pas n’importe lesquels enseignants qui auraient pu faire ce travail », a-t-il souligné.
Contents de leur premier résultat positif, les deux enseignants continuent leur travail auprès des détenus de L’Orignal. Ils se rendent à la prison quatre jours par semaine. Ils s’installent dans la cellule commune et s’adressent aux élèves prisonniers dont les pupitres sont presque les uns sur les autres. Les conditions ne sont pas très bonnes. Mais ce qui est plus important c’est que la grande majorité des détenus accepte de suivre les cours, puis ils sont emballés. Il y aura d’autres remises de diplôme à la prison de L’Orignal assurent prisonniers et enseignants.
(Note du blogueur : Ce reportage était publié dans la même édition dans laquelle je faisais mes adieux aux lecteurs. Je ne sais pas s’il y a eu d’autres diplômés, bien que j’imagine que oui.)
Demain : mes adieux à mes lecteurs du journal Le Carillon