Carnets de voyage : Portugal – 3 au 17 septembre 2005

Quatrième partie : 10, 11 et 12 septembre

10 septembre — Aujourd’hui, nous décidons de nous rendre à Fatima. Selon la carte, c’est direction Mafra (où nous étions allés cette semaine) mais en nous dirigeant vers le nord-est. Aussitôt dit, aussitôt fait… à l’aveuglette comme d’habitude. Une heure plus tard, nous nous apercevons que nous sommes revenus vers le sud et que nous sommes à Bélas, une banlieue de Lisbonne. Nous y voyons un énorme pénitencier moderne.
– Sans nous décourager, mais avec quelques mécontentements, nous optons pour l’autoroute (A9 et A1) que nous voulions éviter à tout prix. Deux heures plus tard, après des paysages époustouflants et des signes de feux de forêt (odeur avec), nous aboutissons au Santuario da Fatima, dans le stationnement no 11 (pour donner une idée de l’importance du site). Nous sommes deux parmi plusieurs milliers, dont de très nombreux groupes de jeunes revêtant des t-shirts de couleurs distinctives. Il y avait manifestement un gros rassemblement prévu en soirée.
– Le « miracle » de Fatima ayant eu lieu en 1917, je constate que maman avait alors 13 ans et que la nouvelle des apparitions, en pleine Première Guerre mondiale, avait dû faire les manchettes à l’échelle de la planète.
– Comme à peu près partout du Portugal, ce sanctuaire-monument est en rénovation. Photo foutue.
– L’esplanade du sanctuaire est sûrement le double de celle du Vatican et ça se comprend. Dans la hiérarchie religieuse, la Vierge est beaucoup plus importante que saint Pierre ou son successeur.
– Il faut, bien sûr, être très croyant pour vivre et comprendra la mystique de Fatima. Des dizaines et des dizaines de personnes, beaucoup de jeunes mères, se rendent à la chapelle des apparitions en parcourant sur les genoux le demi-kilomètre qui sépare l’extrémité de l’esplanade de la chapelle. Les pèlerins pénitents font ensuite le tour de la chapelle toujours sur les genoux. La chapelle, à murs ouverts, a été érigée à l’endroit où Lucie, Jacinthe et François ont vu les apparitions.
– Louise se fait confirmer par un prêtre parlant anglais que Lucie est bel et bien décédée en mars dernier à l’âge de 98 ans. Nous n’étions pas sûrs parce que se sont surtout les images des deux autres que l’on retrouve sur les étagères de la boutique d’objets religieux. Dans la boutique, une superbe statue de la Vierge, environ trois pieds de haut se vend pour la bagatelle de 1850 euros, soit plus de 2 700 $.
– Des gens pleurent sur l’esplanade, emportés par l’émotion de l’endroit et du moment. Je me pose la question : comment expliquer ce phénomène à Fannie, la foi et la croyance n’ayant pas de raisonnement!
– Au retour, la décision était déjà prise. Nous sommes au Portugal pour nous reposer… pas pour nous perdre ni nous tuer les routes. Nous rapportons la Smart décapotable chez le locateur.
– En passant, sur l’autoroute, la petite voiture qui attire les regards de tous, tient très bien la route à 120 km/heure. Il faut dire que c’est dans la voie de droite, parce que les fois où je m’aventurais dans la voie du centre pour dépasser un lambin, je faillissais me faire défoncer par les autres qui arrivaient de nulle part et manifestement à 140 km/heure et plus.
– Ce soir, au Cozinha do Mar, qui est devenu notre restaurant préféré, nous goûtons à deux suggestions de la proprio (canard et riz bruni au jus de canard, puis côtelettes de porc panées avec pâtes au fromage frais et légumes). Absolument délicieux. La crème caramel est populaire au Portugal, mais elle est faite dans un moule de type gâteau des anges. Signe que la famille de proprios nous aime bien… nous recevons un petit verre de porto pour couronner le tout. Le serveur montre le portugais à Louise et Louise lui montre un peu de français.
– Belle journée épuisante!

11 septembre — (Quatrième anniversaire de l’attaque contre le World Trade Center, en pleines séquelles de l’attaque de Katrina.)
– Ce matin, nous sommes en mode pleine relaxation. De toute façon, au Portugal, le dimanche est un jour de repos. Tout est au ralenti.
– Nous découvrons la gare d’Estoril à deux minutes de l’hôtel en passant par l’accès souterrain. Nous nous installations ensuite chez Jonas, un petit resto-terrasse sur la Paredão do Estoril (la promenade le long de la plage).
– Nous jasons avec une Montréalaise en vacances, seule, au Portugal et en Espagne. Elle loge à Lisbonne et a pris le train pour venir visiter Estoril. Elle semble regretter d’avoir opté pour un hôtel dans Lisbonne. Elle nous raconte comment il est facile de se perdre, à pied, dans Lisbonne.
– Pour le reste, elle a aussi tiré la même conclusion que nous : tout ce qui est intéressant à visiter est loin de tout et compliqué à s’y rendre.
– Avant souper, nous allons prendre un café et une cerveja SuperBock sur la petite terrasse voisine du parc. La section réservée aux enfants est recouverte de tuiles de liège. Les enfants qui tomberaient d’une balançoire ou d’une structure de jeu ne se feraient pas tellement mal. Le coin est rempli d’enfants.
– Après, nous allons souper au resto de l’hôtel, les autres restaurants du coin étant fermés. Nous décidons que c’est notre dernier repas à ce restaurant dispendieux (18,50 euros pour un buffet bien ordinaire) et au service exécrable. Pourtant, lors de notre arrivée, nous avions bien mangé et le service était mieux.
– Observation : À en juger par les dénudées, nous sommes bel et bien en Europe. Même constatation à voir les fumeurs et les chiens omniprésents. (Note du blogueur : Lors d’un repas à Beaune, en Bourgogne, il y a plusieurs années, un énorme saint-bernard, sous la table voisine du restaurant où nous mangions, accompagnait ses « parents ».) Ce midi, à un autre resto de la promenade, un chien s’arrête à une table et se fait nourrir par les trois hommes qui y mangent. Plus il recevait de bouchées, plus la queue lui allait rapidement! – La télé est d’une platitude… et CNN commence à taper sur les nerfs. Pause de Katrina pour faire place au 4e anniversaire de l’attaque de 2001.
– Découverte d’un nouveau journal français que je ne connaissais pas… Le Journal du Dimanche, dans lequel Bernard Pivot y critique des livres. Hier, j’avais acheté Le Figaro. Le « buzz » en France, la popularité croissante de Dominique de Villepin qui pourrait être présidentiable, mais Nicolas Sarkozy demeure le plus populaire (69 %) auprès des Français.
– (Dans le roman Imprimatur, en page 155, « qui chassait de nos esprit les efforts… » sans le pluriel au mot « esprit ». Plutôt rare de trouver une telle faute dans un bon livre.)

12 septembre — Louise a terminé son état de quinquagénaire. Aujourd’hui, c’est le début d’un autre…
– Avant de partir pour Lisbonne, nous allons au poste Internet de l’hôtel pour envoyer nos vœux à Luc.
– Ensuite, nous prenons le train pour Cais do Sodré, la fin de trajet à Lisbonne. Nous marchons une dizaine de minutes jusqu’à la Praça do Comércio, une énorme place de commerce en plein air, c’est-à-dire qui se prolonge sur plusieurs rues parallèles et transversales avec des magasins et des terrasses partout. On ne peut être touriste à Lisbonne et ne pas s’y rendre. Et d’Estoril, le train d’une demi-heure et à 2,80 euros aller-retour est le moyen idéal.
– Avant de partir ce matin, à notre petite pâtisserie-café d’à côté, nous rencontrons trois Torontois, un couple canadien et une Portugaise qui habite Toronto mais qui possède un condo à Monte Estoril. Elle nous confirme ce que nous avions conclu… place un Portugais derrière le volant d’une auto et il devient un fou de la route. La Portugaise néo-canadienne nous dit que son mari lui interdit de conduire au Portugal.
– Observation : Il doit y avoir un million de pigeons à Lisbonne. Ce midi, sur la terrasse d’un café où nous mangions, un pigeon a décidé d’arroser la tête d’une femme qui ne profitait pas de la protection d’un parasol.
– Sur le train ce matin, un « quêteux » embarque et défile dans les wagons, suivi par un compagnon qui joue une flûte ancienne de quelque sorte. Les « quêteux », vieux et jeunes, nous harcèlent partout. J’ai soudain un certain respect pour les « quêteux » du Marché By qui se contentent de tendre la main.
– Nous voulions aller souper et voir un spectacle au Casino pour souligner la fête de Louise. Il n’y a pas de dîner ni de spectacle toute la semaine parce qu’il y a trop d’expositions et de congrès.
– Nous célébrons donc à notre restaurant Cozinha do Mar (la Cuisine de la mer) où nous savourons son Arroz do Mar (riz aux fruits de mer) très savoureux et gros. On nous sert pour souligner l’anniversaire de Louise, une délicieuse liqueur dont je n’ai pas retenu le nom.

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Le troisième âge

Ma mère réfléchissait bien sûr à l’âge qu’elle reconnaissait maintenant avoir atteint.

Quand on atteint le troisième âge
On fait le bilan de sa vie,
Que l’on compare à un voyage
Mais l’on ignore quand il finit.
Même si notre vue est moins bonne
Tout nous paraît plus merveilleux,
Et le petit chat qui ronronne,
Quelquefois peut nous rendre heureux.

Quand on atteint le troisième âge
Il faut cacher toutes nos souffrances,
Pour se faire dire que l’on est sage
Et qu’on est rempli d’espérance.
Les gens nous ignorent tout à coup,
Ils oublient qu’ils deviendront vieux,
Puis ils nous traitent de vieux fous,
Eh! mais comment seront-ils eux?

Quand on atteint le troisième âge,
On croit encore en la bonté
Même si c’est peut-être un mirage,
On espère tout d’la charité.
Chers amis, soyez très patients
Prenez bien soin de vos aînés
Vous n’attendrez pas trop longtemps,
Car vous viendrez nous remplacer.

Qui nous rendra fiers… un jour?

par Alain Guilbert

Certains jours, quand j’observe nos hommes politiques à l’œuvre, je m’ennuie sérieusement d’une époque maintenant révolue. Je comprends qu’on ne peut pas, et qu’on ne doit pas, vivre dans le passé, mais bien dans le temps présent. Quand je vois les Harper, Ignatieff, Charest, Marois, et sur la scène municipale, les Tremblay et Labeaume, je ne peux faire autrement que de rêver du dynamisme et du charisme des Pierre Elliott Trudeau, Jean Lesage, René Lévesque, et sur la scène municipale, Jean Drapeau. Ces gens-là avaient bien sûr leurs défauts, mais par ailleurs quelle colonne vertébrale ils avaient.

Devant le pitoyable spectacle offert par Gérald Tremblay à la tête de la Métropole (du Québec à défaut du Canada), on a presque envie de pleurer. Quel exemple de leadership peut bien donner un homme qui ne se souvient de rien, qui n’est au courant de rien, qui demande au ministre des Affaires municipales de décider pour lui ce qu’il doit faire (dans le dossier qui l’oppose au Vérificateur général de la ville de Montréal)? Croyez-vous vraiment que Jean Drapeau aurait fait appel à une tierce partie pour prendre une décision à sa place? Jamais au grand jamais… Croyez-vous que Jean Drapeau aurait passé son temps à blâmer les journalistes à la moindre « mauvaise » nouvelle? Il les ignorait tout simplement tant et aussi longtemps qu’il n’avait pas lui-même décidé de leur parler.

Jean Drapeau ne trébuchait pas au premier obstacle. Il se fixait des objectifs élevés et les atteignait. Quand il a voulu tenir l’Exposition universelle de Montréal (Expo 67), il l’a fait, et de façon spectaculaire. Il s’est servi de cet événement fabuleux pour doter la Métropole du Canada (elle l’était à l’époque) d’un métro, dont elle avait un urgent besoin. Il s’est même servi de la terre extraite du sous-sol de la ville pour construire une île artificielle dans le fleuve St-Laurent (l’île Notre-Dame) et y accueillir près de la moitié des pavillons et sites de l’Expo.

Quand il a voulu obtenir les Jeux olympiques, il a d’abord essuyé un échec. En effet, lors de sa réunion générale de 1966, le Comité international olympique avait accordé les Jeux de 1972 à Munich (Allemagne). La candidature de Montréal s’était retrouvée bonne troisième derrière Munich et Moscou. Le maire Drapeau avait alors annoncé qu’il soumettrait à nouveau la candidature de Montréal en 1970 pour les Jeux de 1976. Les experts (ou pseudo-experts) étaient convaincus que Montréal n’aurait aucune chance contre Moscou, surtout que les Jeux de 1968 avaient déjà été présentés en Amérique du Nord (à Mexico). C’était mal connaître Jean Drapeau. Certains avaient sans doute oublié qu’entre la réunion du CIO de 1966 et celle de 1970, il y avait eu à Montréal un événement grandiose, l’Expo 67.

Le maire Drapeau avait profité de « son » exposition universelle pour accueillir le monde entier dans « sa » Métropole. Et au nombre des 55 millions de visiteurs de l’Expo 67, on a retrouvé la presque totalité de la centaine ou presque de membres du CIO à titre d’invités d’honneur. Chacun d’eux a eu l’occasion de découvrir un visage inoubliable de Montréal, le tout dans une incroyable atmosphère de fête qui s’est étendue sur la moitié d’une année. Quand les membres du CIO ont eu à voter à nouveau sur la candidature de Montréal, à Amsterdam en 1970, celle-ci a facilement devancé Moscou dès le premier tour de scrutin et à la surprise générale des observateurs et « pseudo-experts ». Jean Drapeau, lui, n’avait jamais douté. La preuve : dès la fin du vote gagnant, un avion nolisé, avec à son bord des chefs et un festin composé à 100 % de mets canadiens, se posait à Amsterdam pour offrir à la famille olympique un avant-goût de notre gastronomie. Voilà comment se comporte un « vrai gagnant ».

Jean Drapeau avait des défauts. Plusieurs lui reprochaient une certaine arrogance, sa tendance à fuir, ou tout au moins à éviter, les médias. Mais je me souviens encore d’un commentaire de l’éditorialiste Marcel Adam publié dans La Presse à la suite d’une des nombreuses victoires électorales de Jean Drapeau, malgré l’opposition de nombreux groupes de pression et de nombreux médias. Il écrivait à peu près ceci : « Pour comprendre l’attachement et la fidélité des Montréalais à l’endroit de Jean Drapeau, il faut se rappeler qu’il est l’un des rares hommes politiques, ou même le seul, à leur avoir donné des raisons d’être fiers ». Quand je regarde de près les hommes politiques d’aujourd’hui, les Harper, Ignatieff, Charest, Marois, Tremblay, Labeaume et autres, je n’en vois aucun dont je puisse dire qu’il (ou elle) me rend « FIER ».

Carnets de voyage : Portugal – 3 au 17 septembre 2005

Troisième partie : 8 et 9 septembre

8 septembre — Depuis quelques jours, nous prenons le petit-déjeuner sur notre balcon. Nous avons trouvé du café que nous pouvons utiliser dans le pot à café de l’armoire : une sorte de Nescafé instantané classique qui s’approche beaucoup du goût de l’expresso.
– Par la suite, direction Mafra pour y visiter le palais-monastère national (Palacio Nacional de Mafra) qui s’y trouve. Visite très impressionnante… dont la salle des trophées de chasse (dizaines et dizaines de panaches au mur, plus des têtes de sangliers, de cerfs et d’antilopes) avec ses meubles en bois de gibier et en peaux de gibier. Puis la bibliothèque de 40 000 livres anciens, dont de nombreux imprimés et reliés par les moines franciscains et augustins qui habitaient l’une des 300 cellules individuelles. Des chauves-souris s’occupent de manger les « bibittes » qui pourraient s’attaquer aux précieux livres.
– Nous apprenons que le roi Jean V (Joàn V) n’a pris de trois bains de sa vie. Il y avait donc des encensoirs un peu partout pour masquer les odeurs du roi. Le guide nous avait expliqué que le roi ne visitait sa reine que deux fois par semaine, leurs appartements étant aux extrémités de l’énorme palais de 240 mètres de long avec l’énorme église en plein centre. Le palais compte 880 pièces.
– Nous n’avons visité que le quatrième étage après avoir gravi les 87 marches. Le genou a Louise a bien résisté, autant que son cœur et le mien. (Pas mal pour deux sexagénaires en instance!)
– Au palais, même interdiction de photographier et impossible de visiter sans guide. Dans notre groupe, des Français. Nous nous échangeons des remarques cyniques sur les habitudes du roi Jean (l’absence de bain, par exemple, expliquant sans doute pourquoi sa reine ne le voyait que deux fois par semaine). Le roi Jean V était le fils de son oncle et de sa tante. Les peintures de lui le montrent laid et presque difforme, conséquence, paraît-il, de ses origines consanguines.
– Avant la visite, nous avions pris le lunch sur une terrasse de l’autre côté de la rue (le SeteSóis Restaurante-Bar). Nous avons réussi à comprendre et à nous faire comprendre. Par exemple, nous apprenons que c’est un « café com lèché » que Louise préfère. Aucune idée du poisson enfourné que j’ai savouré, sauf que les arêtes étaient aussi grosses que des petits os de poulet. Si j’ai bien traduit à partir de ma petite feuille, il s’agissait de morue séchée, ce qui expliquerait son petit goût salé. Et bien sûr, le Vinho Verde (une autre marque) était aussi bon.
– Sur la route du retour, moins de détour et de rebrousse-chemin que le matin. Presque arrivé à destination, la Smart l’a frôlé de près. Un « idiot » à ma droite n’avait pas deviné que je voulais virer à droite même si j’étais dans l’entrée gauche du rond-point. Par un heureux hasard, le cri de Louise a permis d’éviter la catastrophe. Les conducteurs portugais ne connaissent rien de l’idiotie et de l’ignorance des touristes canadiens!!!
– La liaison satellite a été rétablie. À la télé, une émission quotidienne (O Preço Certo – version locale de The Price is Right) avec un animateur grassouillet et volubile qui se pense drôle (shampoing et couche sur la tête par exemple, selon le produit dont il fait deviner le prix).
– En soirée, délicieux souper au restaurant Cozinha do Mar, qui ne dit rien de l’extérieur comme la plupart des restos que nous avons vu ou essayés. Nous prenons la paëlla pour deux. Il y en a pour trois. Super délicieux et service extraordinaire. La proprio parle français, le serveur tente d’apprendre. En fait, nous en apprenons d’une part et d’autre. Le guide Voir, par exemple, ne suggère pas la bonne prononciation. Il semble que la colonne du milieu soit la bonne. Faut dire que le guide Voir est français et non pas canadien. Nous promettons à la proprio et aux deux hommes (qui semblent le mari et le fils) que nous reviendrons prendre le plat dont elle nous a vanté les mérites. Une autre forme de paëlla, mais cette fois uniquement aux crevettes et avec une sauce tomates. Nous essayons un vin blanc portugais. Très bon!
– Au restaurant, ce soir, une femme a failli s’asphyxier avec sa cigarette. Les Portugais, comme les autres Européens (il aurait fallu voir la fumée à Charles-de-Gaulle), n’ont encore rien compris.
– Au souper, nous décidons que la conduite automobile au Portugal n’est pas recommandée. Nous irons à Fatima demain, au centre commercial que nous avons croisé en route samedi, puis nous retournerons la Smart chez Hertz dimanche. Nous passerons le reste du temps à notre hôtel et aux alentours à distance de marche. Nous sommes en vacances et non pas en exercice de nerfs à vif!!!

9 septembre — Journée pluvieuse et terne. Nous optons pour le centre commercial Beloura à l’architecture très moderne et avant-garde. Pour nous y rendre, fidèle à notre habitude, nous nous égarons un peu dans Estoril, mais après quelques détours, nous nous retrouvons. C’est si facile de revenir à l’hôtel, mais le chemin pour sortir d’Estoril est si compliqué.
– L’hôtel annonce un souper romantique à la chandelle en soirée. Nous décidons d’y aller. Quelle déception coûteuse! Nous aurions juré que nous étions au beau milieu d’un buffet dans une résidence pour aînés. Il y avait un groupe de personnes âgées qui se lançaient comme des affamées sur le buffet et tant pis si on se trouvait dans leur chemin. Une demi-heure après, ils avaient presque tout mangé et avaient quitté la salle. La soirée romantique n’a jamais eu lieu et notre appétit s’est rapidement envolé. Même le « groupe musical » promis n’était pas là; il n’y avait que le pianiste du bar de l’hôtel. À en juger par le visage des autres, nous n’étions pas les seuls déçus.

Hier et aujourd’hui

Celui-ci n’a pas de date non plus, mais provient toujours de la même période poétique de ma mère (1984-1986). Elle aborde encore une fois son thème du retour à une époque révolue, une époque qu’elle a connue bien sûr; le bûcheron-draveur qu’elle a épousé. Une réflexion sur la modernité du milieu des années 80 que l’on peut qualifier de contemporaine.

HIER…

Tous les hommes travaillaient très fort…
Ils allaient même chercher de l’or;
Beaucoup d’entre eux étaient bûcherons,
Draveurs, défricheurs et colons.
Papas de familles nombreuses
La vie pour eux était heureuse,
Quand venait l’temps d’aller veiller
C’était à pied ou en « buggy »
Et ainsi ils ont réussi
À bâtir notre beau pays!

AUJOURD’HUI…

Les hommes ont leurs cartes de crédit,
Espèrent gagner à la « Loterie »
Pour s’acheter une Cadillac
Ou un chalet près d’un beau lac.
Comme ils n’ont pas beaucoup d’enfants,
Ils s’ennuient la plupart du temps.
Ils vont donc faire le tour du monde,
Pour apprendre que la Terre est ronde,
Puis, font alors un grand détour
Et sur la Lune, vont faire un tour!

HIER…

Les femmes n’achetaient presque rien,
Elles faisaient tout avec leurs mains;
Du pain, du beurre et des cretons
Des confitures… même du savon.
Elles tissaient, cousaient, tricotaient
Près du ber où bébé dormait.
Elles travaillaient avec courage
Et n’étaient jamais en chômage.
Si l’occasion se présentait
Avec joie elles chantaient, dansaient.

AUJOURD’HUI…

Les femmes ne restent plus au foyer,
Un peu partout sont employées,
Elles achètent du prêt à manger,
De la « pizza » du « Kentucky ».
Elles n’ont qu’à tourner un bouton
L’ouvrage se fait dans la maison.
Elles appellent la gardienne : « Allo »
Viens garder, je vais au Bingo.
Et beaucoup d’autres moins chanceuses
Sont sur la liste des chômeuses!

Carnets de voyage : Portugal – 3 au 17 septembre 2005

Deuxième partie : 6 et 7 septembre.

6 septembre — La journée commence mal… il pleut. Ce qui ne nous empêche pas de prendre le petit-déjeuner sur le balcon de notre chambre 423 avec vue sur nulle part. Nous sortons quand même à la pluie battante pour aller prendre le café au Parisol du coin. En sortant, il ne pleut presque plus et nous achetons quelques emplettes pour le frigo, dont une bouteille de Vinho Verde!
– Puisque le temps ne s’annonce pas encourageant, nous réservons un tour Grayline de Lisbonne. En fin de compte, le soleil sera de la partie toute la journée en après-midi et jusqu’à son coucher.
– Une navette nous amène à Lisbonne pour la visite de la ville en autobus et avec d’autres touristes d’un peu partout. Maria, notre gentille guide, s’exprime aisément en quatre ou cinq langues. Nous sommes les seuls francophones. Lucas conduit l’autobus.
– L’autobus nous amène d’abord au très long et très haut Ponte 25 de Abril, inspiré du Golden Gate de San Francisco, construit par Salazar en 1966, mais rebaptisé pour commémorer la révolution du 25 avril 1974 qui ramena la démocratie au Portugal. Le Tage coule en-dessous.
– De l’autre côté du pont, l’impressionnant Cristo Rei (le Christ-Roi) inspiré du Christ Rédempteur de Rio de Janeiro. La statue haute de 28 mètres repose sur un socle de béton de 82 mètres. Sa tête est donc à 110 mètres du sol.
– Nous retraversons le pont pour nous rendre au Musée des carrosses (le Museu National dos Coches) qui souligne cette année son centenaire. Sa collection serait la plus riche d’Europe et nous le croyons. Nous avions vu les carrosses de Versailles, mais ceux-là sont tellement plus beaux et plus ornés.
– Après, nous nous rendons au Monastère des Hiéronymites (le Mosteiro dos Jerónimos), la plus grande église de Lisbonne, où se trouve le tombeau de Vasco da Gama. (Nous avons foulé déjà le même sol que Jacques Cartier à Saint-Malo, nous avons marché au port de Gênes d’où était parti Christophe Colomb, et nous avons vu la tombe de Vasco da Gama.)
– L’intérieur du monastère est de toute beauté et rempli de tombeaux royaux. De l’extérieur, à peu près impossible de tout photographier d’un coup d’œil. Une partie abrite maintenant le Musée de la marine et le Musée de l’archéologie.
– Tout près, le Centre culturel de Belém. Édifice plutôt moderne et austère.
– Encore tout près, la tour de Belém, construite dans l’eau par le roi Manuel 1er entre 1515 et 1521. Très impressionnant. (Nous rappelle le Château de Chinon, en Suisse, lui aussi construit dans l’eau.)
– Pas tellement plus loin, le superbe Monument des Découvertes, en hommage à Henri le Navigateur, qui avait précédé da Gama. Les photos se passeront de commentaires. Construit par Salazar en 1960.
– Par la suite, nous nous rendons au quartier Alfama, le quartier qui a résisté au tremblement de terre meurtrier du 1er novembre 1755. Rues étroites, bâtiments aux murs extérieurs couverts de céramiques. Nous y marchons dans de petites ruelles étroites et en pente. Nous visitons une boutique où nous trouvons du superbes coqa de Barcelos pour rapporter en cadeaux.
– Observation : Lisbonne est d’apparence sale et délabrée, vieillotte et non entretenue. Il semble y avoir plus de graffitis qu’à Rome. Je ne sais pas pourquoi certains l’ont décrite comme la plus belle ville du monde. C’est loin d’être aussi beau et invitant que Paris ou Rome. Nous n’avons pas décidé si nous y retournerons pendant notre séjour au Portugal.
– En soirée, dîner au Monte Bistro, petit, sympa et bon. Louise prend le sol… pas du filet comme chez nous… mais le sol au complet (tête et arêtes). Je prends des crevettes… têtes et queues. La crème brûlée que j’avais choisie par l’image est en fait une crème glacée sublime couverte d’un caramel grillé. Le Vinho Verde était bon… bien sûr!
– En retournant à l’hôtel, nous ressentons quelques gouttes de pluie.

7 septembre — Nous revenons d’une soirée bien spéciale sur le thème du Portugal, organisée par l’Estoril Eden. Un barbecue à la portugaise : petit porto d’accueil, pichet de sangria sur notre table, buffet de mets typiques portugais. Des salades variées, des saucisses de toutes sortes, des morceaux de poulet, de porc, un poisson que je ne connais pas mais qui est très bon, une soupe inconnue savoureuse que je soupçonne être de l’algue dans un fumet de poisson et je n’ose pas demander de peur de ne pas aimer la réponse), avec un duo de musiciens portugais. En milieu de soirée, une « famille » qui nous donne une démonstration de danse et de chants traditionnels portugais et habillée de costumes typiques du pays.
– La journée avait commencé drôlement. Puisqu’il y avait apparence de pluie, nous décidons d’aller nous renseigner sur la location d’auto. Nous repartirons avec une petite Mercédès Smart rouge-argent pour huit jours, kilométrage illimité (318,72 euros). Et nous partons à l’aveuglette, destination Sintra. Nous réussissons à sortir de Cascais après avoir mis à l’épreuve leurs nombreux ronds-points. Le retour sera plus facile et plus direct.
– Donc, sur la route de Sintra, nous faisons un petit détour vers Capo da Roca, le point le plus occidental du continent européen. Photos et lunch. Il y vente ce n’est pas possible. Le point de vue coupe le souffle.
– Nous nous rendons ensuite à Sintra afin de visiter le fabuleux Palacio da Péna… qui fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco. Un palais-château à l’architecture bizarre et colorée. Indescriptible. Nombreuses photos de l’extérieur. Par contre, de nos nombreux voyages, c’est la première fois que l’on consigne nos appareils-photos… pas question de photographier l’intérieur. Même au Vatican, ce n’était pas si sévère. L’après-midi passe si vite que la journée est déjà terminée.
– Ce soir, à l’hôtel, nous sommes entourés des participants à la 5e Conférence internationale sur l’histoire de la chimie!!! Participants multiethniques et polyglottes. Une dame d’un âge avancé, assise à la table voisine, semble vénérée par l’entourage. Une sommité sans doute. Il y a plusieurs Allemands et Scandinaves, quelques Français.
– Observation : Il y a de nombreux trottoirs, esplanades et autres surfaces en pièces de céramiques qui créent une illusion de dunes (de sable évidemment).
– Les restaurants semblent fermés le mercredi dans certains coins, dont Estoril. La mode est aussi d’y payer comptant. Nous avons vu peu de cartes de crédit.
– Le prix du litre d’essence ordinaire est de 1,026 euro (un peu plus de 1,50 $CDN).
– Les noms de rue sont marqués par des céramiques, de petits chefs-d’œuvre à chaque coin de rue.
– Je poste une dizaine de cartes postales en début de soirée. J’ai hâte de voir quand elles seront livrées. Le timbre pour carte postale à destination hors du Portugal est de 0,74 euro (soit à peu près 1 $CDN).
– La télé est d’une monotonie crevante. CNN ne parle que de Katrina… comme si rien d’autre ne se passait ailleurs au monde ou même aux USA. SkyNews en parle aussi, mais le reste du monde fait aussi les manchettes. Aucune nouvelle du Canada, ni dans les journaux offerts ici. À 16 euros l’heure pour Internet, il n’est pas question d’y fureter trop longtemps.
– On nous parle français à l’hôtel, chez Hertz ce matin, à l’accueil du Palais de Péna. Au Palais, un jeune couple reconnaît notre accent « québécois ». Ils sont de Montréal et visitent le Portugal à bicyclette. Grimper la montagne pour rejoindre le Palais est un exploit en soi. Le Palais est juché au pic d’une montagne qui me semble plus haute que Tremblant. La route serpente à ce point que Bond s’y serait tué dans une courbe avec son Austin-Martin. Notre Smart le fait bien; la Volkswagen qui nous précède surchauffe et nous inquiète.
– (Aujourd’hui, la liaison satellite semble en panne. Plusieurs canaux ne sont pas en ondes.)

Vivre est un poème

J’aime bien celui-ci. Je le retape alors que le soleil brille dehors et qu’il envahit mon petit bureau. Ma mère l’a composé le 26 février 1985. C’était il y a un quart de siècle, mais ce dont elle parle n’a pas de limite temporelle.

Vois, le grand jour qui se lève
Et la lumière du soleil,
Ouvre l’œil, finis les rêves,
C’est merveilleux le réveil.

La vie est un beau poème
Que l’on écrit chaque jour,
Les mots sont toujours les mêmes
Quand on nous parle d’amour.

On cherche souvent les mots
Pour ce poème quotidien,
Mais la vie, quand tout est beau
Nous donne tout avec rien.

Quand on a le temps d’écrire
Des belles rimes on fait la liste,
Vite fait, avec le sourire
Mais facile si on est triste.

Les « fleurs » riment avec « bonheur »
Et « bonjour » avec le « jour »
Le « charmeur » rime avec « cœur »
Et « toujours » avec « amour ».

Le jour on est occupé
La poésie est plus discrète,
Mais le soir on peut livrer
Nos pensées les plus secrètes.

Vivre, est déjà un poème
Voir au dehors, en dedans,
Sourire à la vie quand même
Comme tous les petits enfants.

Carnets de voyage : Portugal – 3 au 17 septembre 2005

Première partie : du 3 au 5 septembre.

3 septembre — Jean-François, Manon, Éloïse et Jacob nous conduisent au terminus d’autobus d’Ottawa où, à l’heure pile, un autobus Voyageur au service d’Air France, nous amène à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau de Montréal. Le vol d’Air France quitte à l’heure prévue de 20 h 5 et nous amène à Paris. Nous nous étions pourtant promis de ne plus retourner en Europe autrement qu’en première classe. Nos sièges sont serrés l’un contre l’autre. Vol plutôt désagréable.
– À l’aéroport Charles-de-Gaulle, nous devons trouver notre chemin entre le terminal 2F où nous étions débarqués et le terminal 2D d’où décollait le vol vers Lisbonne. Longue attente interminable et désagréable de cinq heures. La fatigue extrême n’aide pas la cause. Nous sommes déjà le lendemain.

4 septembre — À 13 h 05, comme prévu, nous nous envolons vers le Portugal où nous arrivons à 14 h 40, heure du Portugal. Nous n’avons toujours pas dormi.
– L’hôtel Eden d’Estoril est bien, quoique la vue « vue sur terre » soit décevante. La « terre » est loin. Il aurait fallu écrire « Vue sur buildings voisins et balcons des autres vues sur terre ».
– Nous soupons au restaurant de l’hôtel (très bon poisson corb aux câpres), arrosé d’un Vinho Verde, que nous nous découvrions. Un vin très sec d’une couleur verte très pâle au goût d’agrumes et… pétillant. Servi dans une flûte. À acheter au retour à Embrun. Nous retournons à la chambre à 21 h 15, heure du Portugal. Nous n’avons pas dormi depuis plus de 33 heures.

5 septembre — La fatigue se fait toujours sentir. Le cadran sonne à 7 h 10, nous nous réveillons à 8 h 20. Nous avons presque manqué le petit-déjeuner. Ce matin, nous découvrons les alentours de l’hôtel. Nous apercevons un petit restaurant où nous irons souper en soirée. Après cette petite découverte des environs, nous marchons 15 minutes jusqu’au « village » voisin de Cascais pour y faire quelques emplettes.
– Nous nous arrêtons au magasin Jumbo (l’icône est un éléphant) qui ne semble rien de l’extérieur. À l’intérieur, c’est gros à n’en plus finir… deux Costco si pas plus, au moins trois Loblaws. De tout, de l’écran de télé géant aux fruits et légumes, en passant par les jouets, les vêtements, les fournitures scolaires, le Porto Vintage à 98 euros et le Mateus grosse bouteille à 5,36 euros (1 euro = 1,56 $CDN).
– En après-midi, relaxation totale à la piscine de l’hôtel et découverte de la bière portugaise, très bonne (goûté la SuperBock et la Sergales). En soirée, retour au petit restaurant dont nous devrons obtenir le nom plus tard. Ouvert il y a à peine deux mois. Service super sympathique. Très bon.
– Retour à l’hôtel et envoi de messages Internet au Caffe Internet de l’hôtel (4 euros par 15 minutes).

Gaspillage

Les questions de la protection de l’environnement font les manchettes de nos jours, mais déjà, en décembre 1984, ce thème préoccupait ma mère.

…de la nature :

Avez-vous déjà constaté
Le gaspillage autour de nous?
La forêt se fait dépouiller
De ses beaux arbres, un peu partout.
L’eau limpide des lacs, des rivières
Est polluée à un tel point
Que tout en souffre, quelle misère!
Pour de l’eau pure, faut aller loin.

…de la nourriture :

Avez-vous déjà visité
Le contenu de nos poubelles?
D’la nourriture en quantité
Paraît que c’est partout pareil.
Dans les déchets des restaurants,
Et des hôtels de notre pays
Il y en aurait suffisamment,
Pour nourrir toute l’Éthiopie.

…de notre temps :

Avez-vous déjà calculé
Le nombre d’heures qui sont perdues?
À ne rien faire, à rêvasser,
Et le temps file, on ne voit plus
Qu’est-ce que n’va pas, que doit-on faire?
Ouvrez les yeux, cherchez un peu
Près de nous il y’a d’la misère,
Donner d’votre temps, c’est merveilleux.

Malgré tout, il y en a qui s’essaient

par Alain Guilbert

Dans son blogue, où il héberge gentiment mes textes, mon ami Jean-Maurice Filion parlait, il y a quelques jours, des pressions dont il était victime lorsqu’il œuvrait comme journaliste dans un journal communautaire. Ayant passé directement plus de 30 de mes 46 années de vie professionnelle dans les médias, je peux témoigner que ses affirmations sont tout à fait véridiques. Et cela non seulement dans les journaux communautaires, mais dans tous les médias quelle que soit leur taille ou leur importance.

La première véritable pression de ma carrière est venue directement du propriétaire de La Tribune, le quotidien de Sherbrooke, là où j’ai fait mes débuts en 1959. Les événements dont je veux parler se sont produits au début des années 60. Un important homme d’affaires de Sherbrooke, qui avait pignon sur rue en plein centre-ville, s’est un jour suicidé à l’intérieur de son commerce. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Les policiers ont bloqué la rue Wellington, la principale artère commerciale de l’époque, pendant plusieurs heures. Bien sûr, il fallait bien écrire un texte dans le journal du lendemain pour expliquer ce qui était survenu au centre-ville et qui avait non seulement entraîné la fermeture de la rue, mais aussi attiré des centaines de curieux.

À l’époque, quand une personne se suicidait sur la place publique, ou tout comme, l’affaire faisait l’objet d’une nouvelle dans les médias et le nom de la « victime » était souvent mentionné. Dans le cas qui nous concerne, une directive provenant directement du propriétaire du journal nous est parvenue à la salle de rédaction en fin de journée à l’effet qu’il ne fallait pas mentionner le nom de la personne décédée qui était l’ami proche d’un juge de la Cour des sessions de la paix, lequel s’était d’abord adressé directement aux journalistes pour demander que le journal taise cet incident. Ayant échoué dans sa tentative de convaincre la salle de rédaction du bien-fondé de sa requête, le juge en question s’était adressé directement au propriétaire et éditeur du quotidien.

Bien sûr, j’ai immédiatement grimpé dans les rideaux, m’opposant à un tel traitement de faveur. Dans mon esprit, les personnages « connus » devaient être traités de la même façon que les « inconnus »… simple question de justice. Si on publiait les noms de ces derniers, il n’y avait aucune raison de ne pas publier les noms des premiers. Le chef des nouvelles de l’époque, Yvon Dubé, qui est par la suite devenu le président du journal jusqu’à sa retraite, s’est rendu à mes arguments. Non seulement était-il d’accord avec moi, mais il m’a suggéré de convaincre tous mes collègues syndiqués (j’étais alors président du syndicat des journalistes) de remettre leur démission pour forcer le propriétaire à changer d’avis. Si j’obtenais toutes les signatures de mes collègues, lui, en retour, s’engageait à obtenir la démission de tous les cadres non syndiqués de façon à ce que l’ensemble de la salle de rédaction, patrons et employés, fasse front commun pour s’opposer à la demande du propriétaire.

Nous lui avions donné un ultimatum jusqu’à 19 heures pour se rendre à notre demande, à défaut de quoi nous serions tous rentrés à la maison et le journal n’aurait pas été publié. Je me souviens encore que l’avocat du journal, Me Edmund Barnard (devenu plus tard juge à la Cour supérieure), est entré dans la salle de rédaction à 16 h 59 pour tenter de régler la situation. Nous lui avons alors proposé un compromis : nous étions disposés à ne pas publier le nom de la victime du suicide survenu le même jour, à la condition absolue que nous fassions la même chose dans tous les cas de suicide à l’avenir. Plus de noms dans le journal, ce qui correspondait exactement à ce que nous voulions vraiment entendre. En effet, un suicide est presque toujours un très grand drame humain — et la personne la plus punie ou la plus touchée par un suicide n’est pas celle qui s’enlève la vie, mais ceux et celles qui l’entourent, soit le conjoint, les enfants, les frères et sœurs, les autres proches. Dans le présent cas, grâce à l’appui de notre patron, qui nous avait appuyés de façon remarquable, nous nous en sommes tirés avec les honneurs de la guerre… et nous avons réussi à faire établir une politique de rédaction qui soit plus juste pour les proches des personnes qui se donnaient volontairement la mort.

Mais les pressions dans les médias proviennent plus souvent des gens d’affaires et des politiciens «locaux» qui croient, bien à tort, que le fait d’acheter de la publicité dans les médias ou le fait d’avoir été élus à un poste quelconque leur donne un droit de regard sur le contenu rédactionnel. Même chose de la part de certaines municipalités qui, lorsqu’elles ne sont pas satisfaites d’un média, menacent de couper les avis publics que la loi les oblige à publier pour informer les citoyens. Ces avis publics représentent souvent des sommes importantes pour les médias communautaires.

Plus les médias sont petits et fragiles, plus ils sont vulnérables aux pressions, à moins que ne se trouve à la tête du média un patron fort et indépendant, qui croit en sa mission d’informer honnêtement la population et de défendre ses intérêts, et qui de plus appuie le travail de ses journalistes. Dans les médias contrôlés par les grandes chaînes comme Gesca (Power Corporation), Transcontinental ou Quebecor, il se fait aussi des pressions, mais je vois mal comment des commerçants, des entrepreneurs, ou encore des élus sur la scène municipale, provinciale, même fédérale, pourraient exercer des pressions sur André Desmarais, Rémi Marcoux ou Pierre Karl Péladeau. Malgré tout, il y en a qui tentent leur chance… j’y reviendrai un de ces jours.