par Alain Guilbert
Certains jours, quand j’observe nos hommes politiques à l’œuvre, je m’ennuie sérieusement d’une époque maintenant révolue. Je comprends qu’on ne peut pas, et qu’on ne doit pas, vivre dans le passé, mais bien dans le temps présent. Quand je vois les Harper, Ignatieff, Charest, Marois, et sur la scène municipale, les Tremblay et Labeaume, je ne peux faire autrement que de rêver du dynamisme et du charisme des Pierre Elliott Trudeau, Jean Lesage, René Lévesque, et sur la scène municipale, Jean Drapeau. Ces gens-là avaient bien sûr leurs défauts, mais par ailleurs quelle colonne vertébrale ils avaient.
Devant le pitoyable spectacle offert par Gérald Tremblay à la tête de la Métropole (du Québec à défaut du Canada), on a presque envie de pleurer. Quel exemple de leadership peut bien donner un homme qui ne se souvient de rien, qui n’est au courant de rien, qui demande au ministre des Affaires municipales de décider pour lui ce qu’il doit faire (dans le dossier qui l’oppose au Vérificateur général de la ville de Montréal)? Croyez-vous vraiment que Jean Drapeau aurait fait appel à une tierce partie pour prendre une décision à sa place? Jamais au grand jamais… Croyez-vous que Jean Drapeau aurait passé son temps à blâmer les journalistes à la moindre « mauvaise » nouvelle? Il les ignorait tout simplement tant et aussi longtemps qu’il n’avait pas lui-même décidé de leur parler.
Jean Drapeau ne trébuchait pas au premier obstacle. Il se fixait des objectifs élevés et les atteignait. Quand il a voulu tenir l’Exposition universelle de Montréal (Expo 67), il l’a fait, et de façon spectaculaire. Il s’est servi de cet événement fabuleux pour doter la Métropole du Canada (elle l’était à l’époque) d’un métro, dont elle avait un urgent besoin. Il s’est même servi de la terre extraite du sous-sol de la ville pour construire une île artificielle dans le fleuve St-Laurent (l’île Notre-Dame) et y accueillir près de la moitié des pavillons et sites de l’Expo.
Quand il a voulu obtenir les Jeux olympiques, il a d’abord essuyé un échec. En effet, lors de sa réunion générale de 1966, le Comité international olympique avait accordé les Jeux de 1972 à Munich (Allemagne). La candidature de Montréal s’était retrouvée bonne troisième derrière Munich et Moscou. Le maire Drapeau avait alors annoncé qu’il soumettrait à nouveau la candidature de Montréal en 1970 pour les Jeux de 1976. Les experts (ou pseudo-experts) étaient convaincus que Montréal n’aurait aucune chance contre Moscou, surtout que les Jeux de 1968 avaient déjà été présentés en Amérique du Nord (à Mexico). C’était mal connaître Jean Drapeau. Certains avaient sans doute oublié qu’entre la réunion du CIO de 1966 et celle de 1970, il y avait eu à Montréal un événement grandiose, l’Expo 67.
Le maire Drapeau avait profité de « son » exposition universelle pour accueillir le monde entier dans « sa » Métropole. Et au nombre des 55 millions de visiteurs de l’Expo 67, on a retrouvé la presque totalité de la centaine ou presque de membres du CIO à titre d’invités d’honneur. Chacun d’eux a eu l’occasion de découvrir un visage inoubliable de Montréal, le tout dans une incroyable atmosphère de fête qui s’est étendue sur la moitié d’une année. Quand les membres du CIO ont eu à voter à nouveau sur la candidature de Montréal, à Amsterdam en 1970, celle-ci a facilement devancé Moscou dès le premier tour de scrutin et à la surprise générale des observateurs et « pseudo-experts ». Jean Drapeau, lui, n’avait jamais douté. La preuve : dès la fin du vote gagnant, un avion nolisé, avec à son bord des chefs et un festin composé à 100 % de mets canadiens, se posait à Amsterdam pour offrir à la famille olympique un avant-goût de notre gastronomie. Voilà comment se comporte un « vrai gagnant ».
Jean Drapeau avait des défauts. Plusieurs lui reprochaient une certaine arrogance, sa tendance à fuir, ou tout au moins à éviter, les médias. Mais je me souviens encore d’un commentaire de l’éditorialiste Marcel Adam publié dans La Presse à la suite d’une des nombreuses victoires électorales de Jean Drapeau, malgré l’opposition de nombreux groupes de pression et de nombreux médias. Il écrivait à peu près ceci : « Pour comprendre l’attachement et la fidélité des Montréalais à l’endroit de Jean Drapeau, il faut se rappeler qu’il est l’un des rares hommes politiques, ou même le seul, à leur avoir donné des raisons d’être fiers ». Quand je regarde de près les hommes politiques d’aujourd’hui, les Harper, Ignatieff, Charest, Marois, Tremblay, Labeaume et autres, je n’en vois aucun dont je puisse dire qu’il (ou elle) me rend « FIER ».