par Alain Guilbert
J’aime le vin… Je ne sais pas pourquoi je me suis attaché à ce divin breuvage parce qu’il n’y avait pas d’alcool à la maison quand j’étais enfant. Mon père est décédé à l’aube de mes 4 ans, tandis que ma mère a dégusté ses premières bières après avoir franchi le cap des 50 ans.
Quand j’ai goûté du vin pour la première fois de ma vie, je devais avoir 14 ou 15 ans. J’étais encore étudiant (pensionnaire) au Séminaire de St-Hyacinthe. Pendant les vacances d’été, avec des amis, nous avions acheté une bouteille de Manoir St-David, qui se vendait alors 78 cents (oui, oui, vous avez bien lu… 0,78 $) à la Commission des liqueurs (comme la SAQ s’appelait à l’époque). Les magasins de la Commission des liqueurs ressemblaient à des banques. Il y avait un comptoir avec des grillages… et il fallait demander ce qu’on voulait au commis qui se tenait derrière le grillage. Si le produit demandé n’était pas disponible, c’est le commis qui nous proposait autre chose. On ne pouvait savoir ce qui était disponible ou pas derrière le grillage.
Inutile de vous dire que le Manoir St-David, un vin plutôt liquoreux, n’était pas très bon à boire. Mais c’est avec cela que nous avons déclenché nos premiers « feelings » d’alcool.
Quand je suis arrivé à l’Université de Sherbrooke, j’ai découvert les « partys » de bière entre étudiants. Nous achetions un baril de « draught » et nous arrêtions de boire quand il était vide. C’était le bon temps!!!
Mais il y avait aussi du vin… C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert que de nombreux membres de ma génération avaient fait le même genre d’apprentissage en évoluant à travers les mêmes vins que moi.
Au début, nous achetions du Ben Afnam, un vin « supposément » algérien qui se vendait en cruches d’un gallon, un vin qui donnait vraiment mal à la tête si on en absorbait plus de deux verres. (Des années plus tard, un ami ingénieur qui s’était rendu en Algérie pour y réaliser des travaux, et qui avait lui aussi bu du Ben Afnam lorsqu’il était plus jeune, avait pris le temps de s’informer sur l’origine de ce vin pour découvrir qu’il n’avait jamais existé, qu’il s’agissait sans doute d’une sorte de mélange trafiqué plus ou moins légalement avec un arrière-goût de pétrole.) L’autre vin très populaire à cette époque était le Mateus rosé, tout simplement imbuvable. Après l’avoir essayé à une ou deux reprises, je n’y ai plus jamais touché.
Puis, comme mes amis, j’ai gravi un échelon ou deux dans la gamme de dégustation. Du côté des blancs, nous achetions du Liebfraumaulch ou du Black Tower, deux vins allemands aussi sucrés l’un que l’autre, tandis que du côté des rouges, c’était le Chianti, celui vendu dans des bouteilles recouvertes de paille, bouteilles qu’on retrouvait dans toutes les chambres où les logements d’étudiants, de même que dans toutes les boîtes à chansons de l’époque, parce qu’on insérait des chandelles dans le goulot et que la cire fondante s’accumulait sur l’enveloppe de paille.
Quand on a eu assez de boire du vin blanc trop sucré, on est passé au Clos St-Odile, qui, lui, faisait définitivement partie des vins blancs secs. Du côté des rouges, nous avons « gradué » au Mouton Cadet, un vin pas trop cher et sans doute le meilleur que nous n’avions jamais bu, et aussi à la fiole du pape, un Châteauneuf du pape bas de gamme vendu dans une bouteille déformée et givrée. Au moins, dans les deux cas, et sans doute pour la première fois de ma vie, il s’agissait de vrai vin.
Plus tard, quand j’ai œuvré au Comité organisateur des Jeux Olympiques (Cojo) de Montréal 76, nous avons dû installer notre centre de presse principal à la toute nouvelle Place Desjardins, face à la Place des Arts. Ce centre de presse aurait dû normalement se trouver dans la tour du Stade Olympique, mais comme tout le monde le sait, la tour n’existait pas encore au moment des Jeux Olympiques. Il y avait un excellent restaurant à l’intérieur de la Place Desjardins qui s’appelait Le Grilladin. Et le grand patron des Communications, Jean Loiselle, un fin connaisseur de vins, avait fait mettre de côté exclusivement pour nous (les directeurs du service des Communications) une immense réserve de Château La Garde, le meilleur vin que je n’avais jamais bu de toute ma vie. Et Dieu sait combien nous en avons bu de bouteilles entre le début de mars et la fin d’août 76!!!!
C’est à partir de ce moment que je me suis vraiment intéressé aux vins. Des cours de dégustation, que j’avais d’ailleurs suivi en compagnie de mon regretté ami Claude Masson, des guides, des livres, des encyclopédies ont tous contribué à mon éducation. La rencontre de Denis Marsan, sans doute le plus grand connaisseur de vins de toute l’actuelle Société des alcools, a aussi été déterminante dans l’évolution de ma connaissance des vins. Au moment où j’ai commencé à meubler un cellier dans les années 80, c’est lui qui me conseillait sur les vins à acheter, sur leurs caractéristiques, sur leur temps de garde, etc.
Aujourd’hui, je ne me prétends pas un expert, mais je possède une relativement bonne connaissance des vins, particulièrement de ceux provenant de la France, et aussi d’autres pays comme l’Italie, le Canada (où on trouve de très bons vins, si on cherche un peu) et les États-Unis. Certains amis me demandent parfois conseil en cette matière, et il me fait toujours plaisir de les renseigner du mieux que je peux. Heureusement, le temps du Manoir St-David, du Ben Afnam et du Black Tower est bien loin derrière moi… mais il s’agissait possiblement d’un apprentissage incontournable pour me permettre d’évoluer au cours des années. Je suis certain que plusieurs des amis de ma génération se reconnaîtront dans ces différentes étapes.