Malgré tout, il y en a qui s’essaient

par Alain Guilbert

Dans son blogue, où il héberge gentiment mes textes, mon ami Jean-Maurice Filion parlait, il y a quelques jours, des pressions dont il était victime lorsqu’il œuvrait comme journaliste dans un journal communautaire. Ayant passé directement plus de 30 de mes 46 années de vie professionnelle dans les médias, je peux témoigner que ses affirmations sont tout à fait véridiques. Et cela non seulement dans les journaux communautaires, mais dans tous les médias quelle que soit leur taille ou leur importance.

La première véritable pression de ma carrière est venue directement du propriétaire de La Tribune, le quotidien de Sherbrooke, là où j’ai fait mes débuts en 1959. Les événements dont je veux parler se sont produits au début des années 60. Un important homme d’affaires de Sherbrooke, qui avait pignon sur rue en plein centre-ville, s’est un jour suicidé à l’intérieur de son commerce. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Les policiers ont bloqué la rue Wellington, la principale artère commerciale de l’époque, pendant plusieurs heures. Bien sûr, il fallait bien écrire un texte dans le journal du lendemain pour expliquer ce qui était survenu au centre-ville et qui avait non seulement entraîné la fermeture de la rue, mais aussi attiré des centaines de curieux.

À l’époque, quand une personne se suicidait sur la place publique, ou tout comme, l’affaire faisait l’objet d’une nouvelle dans les médias et le nom de la « victime » était souvent mentionné. Dans le cas qui nous concerne, une directive provenant directement du propriétaire du journal nous est parvenue à la salle de rédaction en fin de journée à l’effet qu’il ne fallait pas mentionner le nom de la personne décédée qui était l’ami proche d’un juge de la Cour des sessions de la paix, lequel s’était d’abord adressé directement aux journalistes pour demander que le journal taise cet incident. Ayant échoué dans sa tentative de convaincre la salle de rédaction du bien-fondé de sa requête, le juge en question s’était adressé directement au propriétaire et éditeur du quotidien.

Bien sûr, j’ai immédiatement grimpé dans les rideaux, m’opposant à un tel traitement de faveur. Dans mon esprit, les personnages « connus » devaient être traités de la même façon que les « inconnus »… simple question de justice. Si on publiait les noms de ces derniers, il n’y avait aucune raison de ne pas publier les noms des premiers. Le chef des nouvelles de l’époque, Yvon Dubé, qui est par la suite devenu le président du journal jusqu’à sa retraite, s’est rendu à mes arguments. Non seulement était-il d’accord avec moi, mais il m’a suggéré de convaincre tous mes collègues syndiqués (j’étais alors président du syndicat des journalistes) de remettre leur démission pour forcer le propriétaire à changer d’avis. Si j’obtenais toutes les signatures de mes collègues, lui, en retour, s’engageait à obtenir la démission de tous les cadres non syndiqués de façon à ce que l’ensemble de la salle de rédaction, patrons et employés, fasse front commun pour s’opposer à la demande du propriétaire.

Nous lui avions donné un ultimatum jusqu’à 19 heures pour se rendre à notre demande, à défaut de quoi nous serions tous rentrés à la maison et le journal n’aurait pas été publié. Je me souviens encore que l’avocat du journal, Me Edmund Barnard (devenu plus tard juge à la Cour supérieure), est entré dans la salle de rédaction à 16 h 59 pour tenter de régler la situation. Nous lui avons alors proposé un compromis : nous étions disposés à ne pas publier le nom de la victime du suicide survenu le même jour, à la condition absolue que nous fassions la même chose dans tous les cas de suicide à l’avenir. Plus de noms dans le journal, ce qui correspondait exactement à ce que nous voulions vraiment entendre. En effet, un suicide est presque toujours un très grand drame humain — et la personne la plus punie ou la plus touchée par un suicide n’est pas celle qui s’enlève la vie, mais ceux et celles qui l’entourent, soit le conjoint, les enfants, les frères et sœurs, les autres proches. Dans le présent cas, grâce à l’appui de notre patron, qui nous avait appuyés de façon remarquable, nous nous en sommes tirés avec les honneurs de la guerre… et nous avons réussi à faire établir une politique de rédaction qui soit plus juste pour les proches des personnes qui se donnaient volontairement la mort.

Mais les pressions dans les médias proviennent plus souvent des gens d’affaires et des politiciens «locaux» qui croient, bien à tort, que le fait d’acheter de la publicité dans les médias ou le fait d’avoir été élus à un poste quelconque leur donne un droit de regard sur le contenu rédactionnel. Même chose de la part de certaines municipalités qui, lorsqu’elles ne sont pas satisfaites d’un média, menacent de couper les avis publics que la loi les oblige à publier pour informer les citoyens. Ces avis publics représentent souvent des sommes importantes pour les médias communautaires.

Plus les médias sont petits et fragiles, plus ils sont vulnérables aux pressions, à moins que ne se trouve à la tête du média un patron fort et indépendant, qui croit en sa mission d’informer honnêtement la population et de défendre ses intérêts, et qui de plus appuie le travail de ses journalistes. Dans les médias contrôlés par les grandes chaînes comme Gesca (Power Corporation), Transcontinental ou Quebecor, il se fait aussi des pressions, mais je vois mal comment des commerçants, des entrepreneurs, ou encore des élus sur la scène municipale, provinciale, même fédérale, pourraient exercer des pressions sur André Desmarais, Rémi Marcoux ou Pierre Karl Péladeau. Malgré tout, il y en a qui tentent leur chance… j’y reviendrai un de ces jours.

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Une réflexion sur “Malgré tout, il y en a qui s’essaient

  1. Dans une petite communauté où tout le monde se connaît ou presque, des injustices se produisent trop souvent malheureusement. Les membres de l’élite locale s’échange des faveurs !

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