par Alain Guilbert
Dans mon texte précédent, je soulignais que les médailles olympiques avaient beaucoup plus de valeur que les médailles obtenues lors de coupes du monde (qui comportent plusieurs épreuves chaque année) ou lors de championnats du monde (qui ont lieu tous les ans ou tous les deux ans, selon les sports). Les médailles olympiques, vous le savez, ne sont distribuées qu’une fois tous les quatre ans. Mon ami François Godbout, un exceptionnel compagnon de travail au Comité organisateur des Jeux de Montréal et un grand joueur de tennis, me rappelait justement une citation de Pagnol sur le sujet : « Le titre olympique, pour plusieurs sports (dont le tennis), c’est comme les allumettes, il ne sert qu’une fois. » (Pagnol)
Un ex-membre du Comité international olympique, Artur Takac, qui avait accepté le poste de conseiller spécial du président au Comité organisateur des Jeux de Montréal, comparait les sports à une pyramide – il y a beaucoup de places à la base de la pyramide… mais seulement UNE au sommet. Il disait que, pour n’importe quel athlète, il était relativement facile d’être le meilleur de son école ou de son village… puis de sa région… puis de sa province. Déjà, dans ce, dernier cas, le défi n’est pas si facile… et il est encore moins facile pour devenir le meilleur de son pays; puis, défi ultime, pour devenir le meilleur au monde, particulièrement dans le cadre des Jeux olympiques où les yeux du monde entier sont braqués sur lui (ou elle). En cas d’échec, la chance de se reprendre ne reviendra que dans quatre longues années… alors que des centaines ou des milliers d’autres athlètes auront quitté la base de la pyramide pour s’approcher à leur tour de son sommet.
Et maintenant, demandons-nous s’il existe des médailles olympiques qui ont plus de valeur que d’autres. Selon moi, la réponse est définitivement affirmative! Et quelles sont ces médailles qui ont plus de valeur que d’autres? Ce sont celles qui exigent des athlètes qui les obtiennent de puiser jusqu’à leur dernière once d’énergie au plus profond d’eux-mêmes et qui peuvent supporter des niveaux de souffrance qui serait intolérable pour au moins 99,99 % d’entre nous. Quels sont ces sports ou ces épreuves? Vous les connaissez probablement autant que moi. Dans les sports d’été, je pense au marathon ainsi qu’aux courses de fond comme les 10 000 et 5000 mètres ainsi que le 3000 mètres « steeple »; il y a aussi le décathlon (10 épreuves d’athlétisme en deux jours) de même que les plus longues distances en canoé et en aviron. Vous vous souvenez sûrement d’avoir vu à la télévision la fin d’une course de 10 000 mètres avec huit avironneurs (et un barreur). Ces athlètes sont tellement vidés (je ne parle pas nécessairement du barreur) qu’il leur serait sans doute impossible de franchir 25 mètres de plus. Dans les sports d’hiver, je pense surtout aux courses longue distance, 20 km et 50 km, en ski de fond, de même que les courses les plus longues en patinage longue piste, comme le 10 000 mètres chez les hommes et le 5000 mètres chez les femmes. Oui, il y en d’autres qui répondent aux critères mentionnés; ce ne sont que des exemples.
Ce qui m’amène à vous parler d’une athlète exceptionnelle, sans aucun doute, la plus grande athlète de tous les temps dans l’histoire du sport canadien…. Clara Hugues. Cette athlète qui est née à Winnipeg et vit maintenant près de Sutton dans les Cantons de l’Est, n’a pas remporté une médaille olympique, ni deux, ni trois… mais bien 6 (SIX) au cours de sa longue carrière… soit quatre en patinage de vitesse longue piste et deux en cyclisme : une médaille d’or, une d’argent et quatre de bronze. Ses exploits ont été accomplis dans quatre Jeux olympiques différents : Atlanta en 1996, alors qu’elle avait obtenu deux médailles de bronze en cyclisme; Salt Lake City en 2002, avec une médaille de bronze dans l’épreuve de 5000 mètres de patinage longue piste; Turin en 2006, où elle a remporté la médaille d’or dans l’épreuve de 5000 mètres au patinage longue piste et la médaille d’argent dans la poursuite par équipe au patinage longue piste; Vancouver en 2010, où elle a remporté la médaille de bronze dans sa discipline préférée, le 5000 mètres au patinage longue piste. Elle a pris sa retraite « officielle » après les Jeux de Londres de 2012, à quelques semaines de ses 40 ans, après avoir raté le podium lors de la course de cyclisme contre la montre sur route, mais non sans avoir « chauffé » ses adversaires dans la première moitié de l’épreuve.
Clara est la seule Canadienne à avoir remporté des médailles olympiques tant aux Jeux d’hiver qu’aux Jeux d’été. Seulement trois athlètes au monde peuvent revendiquer un tel exploit.
Qu’est-ce qui faisait la force de Clara tout au long de sa carrière? C’est exactement ce dont je parlais précédemment dans ce texte, « sa capacité à puiser jusqu’à la dernière onze d’énergie au plus profond d’elle-même et à endurer la souffrance au-delà du ‘tolérable’ ».
Au cours de mes années à Postes Canada, nous étions bien identifiés à l’équipe et aux athlètes de ski acrobatique du Canada. Mais ce que beaucoup de moins de gens savent, c’est que nous avons aussi commandité pendant quelques années l’équipe canadienne de patinage de vitesse en général, de même que Clara Hugues en particulier. À l’époque, elle écrivait un journal, lequel était distribué aux autres athlètes de patinage de vitesse pour les motiver. Clara avait eu la gentillesse de m’inscrire sur sa liste de distribution. J’ai gardé dans mes bases de données quelques-uns de ses textes que je trouvais particulièrement inspirants.
Vous savez peut-être qu’en patinage de vitesse longue piste, la plus longue épreuve pour les femmes est de 5000 mètres, alors qu’il y en a une de 10 000 mètres pour les hommes. Un jour, une patineuse allemande avait décidé de compléter une course de 10 000 mètres pour établir, ce qu’on considérait, un « record non officiel » pour les femmes sur cette distance. Un jour Clara Hugues s’est donné comme défi de surpasser ce « record non officiel ». Elle a convaincu l’une de ses collègues de patiner avec elle pour la soutenir dans cette épreuve qui serait disputée sur la patinoire olympique des Jeux de Calgary. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que presque toute l’équipe canadienne de patinage de vitesse serait sur place pour la soutenir.
Dans le texte qu’elle a écrit à la suite de son exploit, vous découvrirez comment Clara pouvait puiser dans son énergie et repousser ses limites de tolérance à la douleur… ce qui explique très bien pourquoi elle est une si grande athlète et pourquoi ses médailles, même celles de bronze, valent beaucoup plus que bien d’autres médailles olympiques.
Le texte est rédigé uniquement en anglais… mais je suis convaincu que vous comprendrez parfaitement ce qu’elle exprime…
JUST FOR THE FUN OF IT
Athlete Journal by Clara HughesSaturday, March 12, 2005, Calgary, Alberta
Sometimes I wonder about myself, where I get ideas that seem so good at the time. With the season all but officially over, I returned home after the World Championships wondering what I was thinking when mentioning the idea of skating a 10,000m race at the Olympic Oval Finale, the season-closer for speed skating. I not only made the mistake of vocalizing this idea, I took it another step further and convinced training partner Catherine Raney to go the distance with me. My main selling point was that I would pay her entry fee and, oh yah, it would be ‘fun’.
Returning home from Europe Wednesday afternoon did not bode well for the motivation factor with the ladies open 10km a few days later on Friday night. The fact that it was night, and for my body, morning (my calculations: 3am body-clock time) did not help matters, either. Training for the week entailed shopping in Torino, Italy, where the team spent a few days before coming back, and five laps and two accelerations on the ice Thursday morning. My theory was I had enough residual fitness to get me through about anything. At least that’s what I thought…
After lying in bed all day, I left for the oval bitter after failing to sleep as planned in the afternoon. Jet lag does funny things to the body: I loathe it at the best of times and despise it more than ever while setting out the oval, feeling like I was sleep walking.
My best attempts to offhandedly convince Catherine, who I convinced to do the race in the first place, that we should bail out of the race failed and after a bumped up start time, (which we managed to delay after our coaches begged for a resurfacing, knowing my intentions of trying to break a somewhat mythical ‘unofficial’ record set by German skater Gunda-Neiman over a decade before…) we made our way to the line.
I couldn’t help but laugh that we were actually going to skate the 25-lap race. I have seen the distance covered by myriad teammates; seen them suffer through good races and bad, and now it was my turn. Unbeknownst to me, most of our training group came just to cheer us on. Their encouragement was to be invaluable when the race became, as it inevitably does, really, really hard.
From the beginning of the race, I felt the rhythm set in. Lap after lap passed and I felt like a metronome, so precise was the pace. After ten laps or so, the encouragement from the coaches changed from early technical cues to ‘STAY AWAKE’ and ‘DON”T FALL ASLEEP’. People have told me that when a skater gets into that 10km zone, it is easy to space out and before you know it, the lap times begin to slow. I was lucky that each time that happened, the coaches saw and reacted with these cues that made me refocus and build the next turn, get the rhythm back.
It wasn’t until 11 laps to go that I noticed the lap-counter board. It was a conscious effort that did not allow me to look before that, and when I saw more than half of the race was over and I was ahead of the legendary world record, I knew there was no way I was going to slow down.
At 7 laps to go it really started to hurt. But, like so many times before, I have faced the ultimatum of when the body wants to shut down and the brain has to override all rational thought and desperation. Only, I had never reached that point after so many laps. The fighter in me prevailed, and though I could feel the slobber running down my chin, I ignored the display of suffering that I was and pushed on.
The cheers of teammates pulled me through those last few laps, across the finish line and to the realization that I broke Gunda’s record by three seconds. Even Catherine set a record, chopping over a minute of the USA mark set only the weekend prior. Though exhausted, we felt giddy with the fact that we actually finished the distance. We did it, and it was fun. There was really nothing to gain by doing the race: no prize money, no ‘official’ record, and no glory save for the much-appreciated high fives from the team. Yet there was so much to gain.
After the pressure of a long season, in a pre-Olympic year where stress is but a mere fraction of what it will be the following year, it was so beautiful to go and skate ‘just for the fun of it’. Even looking at the time I skated, really, it is nothing compared to the record I broke. Gunda skated that unbelievable race on traditional, non-klap speed skates. I don’t know how she did that, and can only imagine what she could have done with the equipment I skated on yesterday.
And, as Catherine and I both agreed, we’d do it again.
Well, maybe…