Encore des élections… Pourquoi?

par Alain Guilbert

Donc, nous aurons des élections fédérales… les quatrièmes en sept ans. C’est beaucoup d’élections en peu de temps, surtout si on considère qu’il se passait habituellement quatre années entre deux élections.

Sauf que cette donne a changé depuis l’apparition des tiers partis. En effet, lorsque le pays ne comptait que deux plus partis importants, les « libéraux » et les « conservateurs », les choses se déroulaient bien plus simplement; l’un des partis (la plupart du temps, le parti libéral) formait le gouvernement, et l’autre constituait l’opposition. Mais on a tendance à oublier que le Canada a eu 13 gouvernements minoritaires depuis l’adoption de sa constitution en 1867.

Les plus vieux se souviendront sans doute qu’au cours des 54 dernières années, les gouvernements ont été minoritaires à neuf reprises. En 1957 et 1962, John Diefenbaker aurait eu besoin de 22 et 17 sièges pour obtenir une majorité; en 1963 et 1965,
Lester B. Pearson avait raté la majorité par cinq et deux sièges; en 1972, il avait manqué 23 sièges à Pierre Elliott Trudeau pour atteindre cette majorité; il en avait manqué six à Joe Clark en 1979; puis 20 à Paul Martin en 2004; et enfin 30 et 12 à Stephen Harper en 2006 et en 2008. Certains de ces gouvernements minoritaires ont réussi de bonnes performances en s’alliant avec l’un des partis de l’opposition. Malheureusement, cela n’a pas toujours été le cas.

Que se passera-t-il cette fois? Harper réussira-t-il enfin à former un gouvernement majoritaire? Même si plusieurs analystes prétendent que «non», je serais prêt à parier un « vieux 2 $ » que la réponse sera « oui ».

Il y a plusieurs éléments déjà connus dans cette élection. Entre autres, que les conservateurs domineront complètement les provinces de l’Ouest, où ils détiennent présentement 69 des 92 sièges, que le Bloc québécois remportera encore une fois la majorité des sièges au Québec. Il en détient présentement 47 sur 75. Dans les provinces maritimes, les sièges sont plus partagés avec 11 aux conservateurs, 17 aux libéraux et quatre aux néo-démocrates. La vraie bataille se déroulera en Ontario où les conservateurs comptent 51 sièges, les libéraux 37 et les néo-démocrates 17. Le parti de Stephen Harper n’a besoin que de 12 sièges de plus qu’il ne détient présentement pour former un gouvernement majoritaire. Je ne crois pas que ce sera un objectif difficile à réaliser.

Incidemment, plusieurs personnes croient que la dernière élection générale n’avait rien changé puisque Stephen Harper s’était retrouvé à la tête d’un gouvernement minoritaire une autre fois. Pourtant, il y avait une différence importante avec la fois précédente. Après l’élection de 2006, il ne fallait que deux des trois partis de l’opposition pour renverser le gouvernement, tandis qu’à partir de 2008, il fallait absolument que les trois partis d’opposition se mettent ensemble pour atteindre le même résultat. Ce qui a permis aux conservateurs de se maintenir au pouvoir pendant près de trois ans avant qu’une autre élection ne soit nécessaire.

Bien sûr, les conservateurs risquent de perdre quelques sièges dans la région de Québec à cause du projet d’un « nouveau colisée », mais ces sièges qu’ils perdront risquent de passer au Bloc plutôt qu’aux libéraux. Les récentes élections provinciales dans les Maritimes ont tourné à l’avantage des conservateurs, ce qui laisse présumer qu’ils feront également des gains sur la scène fédérale. Et en Ontario, tout va de pis en mal pour les libéraux provinciaux, ce qui pourrait aussi se traduire par des gains conservateurs importants, particulièrement dans la région de Toronto.

Dans une élection à l’échelle nationale, la personnalité des chefs joue un rôle important pour les électeurs. Les citoyens votent plus souvent pour un parti et son chef plutôt que pour un candidat et son parti. Et c’est ici que le bât blesse pour les chefs des partis d’opposition. De Gilles Duceppe, il y a peu à dire. Son parti ne sera jamais au pouvoir… il présente des candidats au Québec seulement. Il y jouit d’une cote de popularité bien au-dessus de la moyenne et fait élire une majorité de députés au Québec depuis quasiment une « éternité ». À force d’élire des députés bloquistes, les Québécois ne se rendent pas compte qu’ils se retrouvent dans une situation d’isolement et qu’ils ont peu de chances de jouer un rôle important dans le gouvernement comme à l’époque des Trudeau, Mulroney, Pearson et autres. Jack Layton est un chef fort sympathique. C’est son parti qui n’est pas très attirant pour les Canadiens. Avec 36 sièges sur 308 à la grandeur du pays, le NPD risque seulement d’en perdre quelques-uns. Et le chef Layton, qui ne semble pas dans une très grande forme physique après une fracture de la hanche et des traitements pour un cancer pourrait bien en être à sa dernière campagne à vie. Michael Ignatieff demeure une énigme.

Au départ de Paul Martin et de son fiasco comme premier ministre après Jean Chrétien, les libéraux ont tenu un congrès au leadership. Mais après l’histoire des commandites, ils ne se faisaient pas d’illusion. Ils savaient pertinemment bien qu’ils se retrouveraient dans l’opposition pour plusieurs années, une dizaine probablement. Les candidats « vedettes » ne se sont présentés. Les John Manley, Frank McKenna, Allan Rock, Brian Tobin et autres ont préféré rester sur la touche, pendant que les « seconds » comme Gerald Kennedy, Bob Rae, Michael Ignatieff et Stéphane Dion menaient le peloton d’une dizaine de candidats. Gerald Kennedy aurait dû être choisi, mais à la surprise générale, il a terminé quatrième aux deux premiers tours… et a décidé de transférer ses votes à Stéphane Dion. Ce dernier est devenu chef du parti. Autant il était un excellent ministre de l’Environnement, autant il n’était pas un chef… et il n’avait surtout pas le charisme que les électeurs recherchent. Bien sûr, il n’a pas tenu le coup bien longtemps. À son départ, les libéraux, qui étaient en difficultés financières et qui ne souhaitaient pas s’engager dans une autre course à la chefferie dispendieuse, ont tout simplement choisi celui qui avait terminé second à la convention précédente, Michael Ignatieff, un intellectuel qui ferait sans doute un excellent ministre des Affaires étrangères, n’a pas, à mon avis, les qualités nécessaires pour faire un chef attrayant. Je ne vois pas comment il pourra soulever de l’enthousiasme auprès des électeurs. Sa cote de popularité actuelle est plus basse que celle de Stéphane Dion, la plus basse d’un chef dans toute l’histoire du parti libéral.

Reste Stephen Harper, qui n’est pas charismatique, qui n’est pas « populaire », mais qui répond quand même aux attentes de nombreux Canadiens… qui ont maintenant tendance à se situer davantage à droite, même si pendant plusieurs années ils se situaient plus près de la gauche. Harper s’est bien sorti de la crise économique des dernières années, même si la performance canadienne est plus attribuable à la solidité de son système bancaire (comparativement aux États-Unis) qu’à celle de son gouvernement. N’empêche que certaines positions des conservateurs qui veulent des lois plus sévères, des peines plus lourdes pour les criminels, un déficit moins élevé, une réduction de la taxe sur les produits et services et autres sont susceptibles de plaire à de nombreux électeurs.

On sait bien que si Stephen Harper réussit à former un gouvernement majoritaire, il n’en fera qu’à sa tête pour plusieurs années à venir… mais si par hasard il formait à nouveau un gouvernement minoritaire, il en ferait quand même à sa tête jusqu’à l’élection suivante, qui, elle, surviendrait, après une année ou deux, plutôt qu’après quatre ou cinq années. Quant à Michael Ignatieff et Jack Layton, que le prochain gouvernement conservateur soit minoritaire ou majoritaire, ce sera la fin de leur carrière. Et quant à Gilles Duceppe, il se dira encore une fois « fier » de sa performance et n’admettra jamais qu’une forte présence du Bloc à Ottawa nuit au Québec plutôt que de l’aider.

À moins d’un changement de « vent » tout à fait imprévisible pour le moment, nous nous dirigeons lentement, mais sûrement, vers un gouvernement conservateur majoritaire.

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3 réflexions sur “Encore des élections… Pourquoi?

  1. J’ai bien hâte de savoir si votre prédiction est bonne ! Ce que je sais c’est que nous allons débourser environ 300 millions pour une autre élection, qui servira surtout à satisfaire l’égo de nos politiciens.

  2. Ton analyse reflète bien sûr l’opinion générale des observateurs politiques en ce début de campagne; mais c’est justement ça… un début de campagne. Déjà, la carapace de Harper commence à s’effriter et plusieurs journalistes se réveillent et s’aperçoivent qu’il y a anguille sous roche pour bien des dossiers. Sa propre vision d’une coalition ou d’un « accommodement raisonnable » même avec le méchant parti « souverainiste » en 2004 refait surface tout à coup. Dans son budget à propos d’un crédit spécial pour les pompiers volontaires, il reprend une idée qu’Ignatieff avait proposée il y a presque une année, soit au début de mai 2010. Dans mon coin, j’ose espérer que mes concitoyens ne redonneront pas un mandat au député sortant, mais qu’ils préféreront de loin « ma » candidate Julie Bourgeois. J’y travaille fort en tout cas!

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