par Alain Guilbert
Jennifer Heil, la plus grande skieuse acrobatique de tous les temps, vient de prendre sa retraite; un geste qui me ramène plus de 10 ans en arrière au moment où elle a fait ses débuts au sein de l’équipe nationale. C’est aussi à ce moment que Postes Canada a noué une très forte association avec l’Association canadienne de ski acrobatique, une association qui dure encore.
Cette association avait commencé timidement au début de l’année 1999, quand mon collègue Daniel Sawaya, vice-président, Marketing, avait accepté de commanditer une épreuve de la Coupe du monde qui se déroulait à Mont Tremblant. Et comme il avait apprécié cette expérience, Postes Canada avait renouvelé sa commandite pour deux épreuves de la Coupe du monde l’hiver suivant, la première à Whistler-Blackcomb, en décembre 1999, et la seconde à Mont Tremblant, en janvier 2000. Et comme Daniel ne pouvait se rendre à Whistler, c’est moi, à titre de vice-président, Communications, et responsable des commandites, qui y avait été délégué pour représenter Postes Canada. Je dois avouer que ce n’était pas un grand sacrifice pour moi qui adorait le ski et qui dévalait les pentes depuis bien longtemps à raison d’une cinquantaine de sorties par année.
Lors de mon séjour à Whistler, j’ai eu un véritable coup de foudre pour le ski acrobatique, ses dirigeants et ses athlètes, dont entre autres le fort sympathique Nicolas Fontaine, alors le roi de l’épreuve des sauts. À mon retour à Ottawa, j’ai présenté un bref compte-rendu de mon expérience à mon patron de l’époque, André Ouellet, le président et chef de la direction de Postes Canada. Je lui ai souligné l’excellence de ces athlètes qui descendaient les bosses à une vitesse vertigineuse ou, selon le cas, qui s’envolaient dans les airs à partir des tremplins de sauts comme s’ils étaient des oiseaux. Je lui ai également fait part des difficultés financières auxquelles faisait face l’Association canadienne de ski acrobatique, qui avait perdu ses principaux commanditaires après les Jeux olympiques de Nagano. Ces difficultés étaient suffisamment sérieuses qu’elles empêcheraient possiblement plusieurs athlètes de participer aux épreuves suivantes de la Coupe du monde. Je lui ai suggéré que Postes Canada devienne un commanditaire majeur de cette équipe, ce qu’il a aussitôt accepté. Ce fut là le début d’une longue et fructueuse relation entre les deux groupes.
J’ai aussitôt entrepris des négociations avec l’Association canadienne de ski acrobatique, négociations qui ont rapidement mené à une entente que nous avons pu rendre publique avant le début de l’épreuve de la Coupe du monde qui avait lieu à Mont Tremblant en janvier 2000, à peine trois semaines après celle de Whistler-Blackcomb. En vertu de l’entente, Postes Canada s’engageait à supporter concrètement l’équipe canadienne jusqu’aux Jeux olympiques de 2002 à Salt Lake City et aussi à accorder son appui financier aux deux épreuves de la Coupe du monde présentées chaque année au Canada, l’une dans l’Ouest et l’autre dans l’Est. Notre entente contenait aussi une clause qui nous permettait de commanditer des athlètes à titre individuel. C’est à partir de ce moment que mon association avec le ski acrobatique est devenue une histoire d’amour. Ma présence autour de l’équipe lors des épreuves de la Coupe du monde au Canada et aux championnats canadiens à la fin de chaque saison m’a permis de côtoyer les athlètes de près et plusieurs d’entre eux sont devenus des amis personnels.
C’est d’ailleurs en 2000 que j’ai connu Jennifer Heil, un tout petit bout de femme de 17 ans, née en Alberta, qui faisait ses débuts comme « bosseuse » avec l’équipe canadienne. En mars 2010, elle remportait sa première médaille d’or à titre de championne canadienne des bosses à Mont Gabriel. C’était le début d’une grande aventure qui s’est poursuivie sur 11 années et qui lui a permis de monter sur le podium à 58 reprises, lors des championnats canadiens, des épreuves de la Coupe du monde, des championnats du monde et des Jeux olympiques, un bilan tout à fait exceptionnel, sinon incroyable! En 2001, lors des championnats du monde à Whistler, à peine âgée de 18 ans, elle se faisait remarquer sur la scène internationale avec une 7e place. Mais c’est vraiment à Salt Lake City, lors des Jeux olympiques de 2002, qu’elle est partie pour la gloire. Alors que personne ne l’attendait parmi les toutes premières, elle a terminé 4e, à quelques « poussières » du podium». J’ai eu le plaisir de la voir en personne lors de cette épreuve. Sa performance avait été tout simplement éblouissante. Si elle avait été mieux connue des juges, elle se serait fort probablement retrouvée sur le podium. J’étais certain ce jour-là qu’elle décrocherait éventuellement une médaille d’or aux Jeux olympiques.
En revenant des Jeux de Salt Lake, mon patron André Ouellet, qui lui s’était enthousiasmé pour les performances des « sauteurs » canadiens, m’avait confirmé que Postes Canada poursuivrait sa commandite de l’équipe canadienne de ski acrobatique pour quatre années supplémentaires, soit jusqu’aux Jeux de Turin, en Italie. Et si nous avions commandité deux athlètes à titre individuel jusqu’alors, soit Nicolas Fontaine, dans les sauts, et
Tami Bradley, dans les bosses, cette fois, je disposais des budgets pour en commanditer quatre nouveaux, tout en maintenant nos liens avec Nicolas. J’avais choisi deux « sauteurs », Deidra Dionne, qui avait remporté une médaille de bronze à Salt Lake, et Jeff Bean, qui avait terminé 4e. Dans les « bosses », et oui, vous l’avez deviné, j’avais sélectionné, en plus de Stéphanie St-Pierre, Jennifer Heil! Pendant ces quatre années où elle a survolé les parcours de bosses à travers le monde et où elle montée sur la plus haute marche du podium à de nombreuses reprises, elle a fièrement porté les couleurs de Postes Canada et sur son uniforme (commandite d’équipe) et sur sa tête (commandite individuelle). Inutile de dire combien nous étions fiers d’elle. Pendant ces quatre années où elle a porté nos couleurs, Jennifer avait les yeux fixés sur un seul objectif : Turin. Et dès le premier jour des Jeux, elle semait l’enthousiasme dans tout le Canada en accrochant autour de son cou, à la suite d’une éblouissante performance, cette médaille d’or olympique dont elle rêvait depuis longtemps.
En 2006, au moment des Jeux de Turin, j’étais déjà à la retraite depuis quelques mois. J’ai donc dû me contenter de regarder l’épreuve à la télévision plutôt qu’en personne comme à Salt Lake. Mais je n’en étais pas moins fier. Sur une photo (prise quelques semaines plus tard) où je me trouve avec Jennifer qui tient sa médaille d’or dans les mains, elle a écrit :
« Alain, You deserve a large part of this medal! Tks for everything! » (Tu mérites une bonne part de cette médaille. Merci pour tout!). J’ai quelques souvenirs auxquels je tiens beaucoup… cette photo en fait partie. Après Turin, Jennifer a pris une année sabbatique, loin de la compétition, avant de revenir à l’action et de fixer son nouvel objectif sur les Jeux de Vancouver. La pression était grande sur elle. Le Canada s’attendait vraiment à une médaille d’or de sa part. Mais elle a raté la première marche du podium par des
« poussières », remportant la médaille d’argent malgré une pluie diluvienne qui a quelque peu terni la compétition. Pour moi, sa 4e place à Salt Lake ainsi que sa 2e place à Vancouver équivalent à des médailles d’or, presque autant que celle de Turin. Combien d’athlètes ont autant dominé leur sport qu’elle ne l’a fait depuis sa 4e place de Salt Lake City en 2002?
Jennifer Heil n’est pas qu’une grande athlète… c’est aussi une très grande personne. Comme Clara Hugues, notre super patineuse de vitesse, Jennifer s’est engagée dans l’œuvre « Right to Play » qui vient en aide aux enfants des pays pauvres et qui les encourage à faire du sport. Elle s’est aussi engagée dans une autre œuvre qui s’appelle « parce que je suis une fille » (Because I am a girl) qui vient en aide aux jeunes filles dont les droits sont souvent bafoués, question de leur aider à réaliser leurs rêves, même les plus ambitieux.. Elle a personnellement donné 25 000 $ à cette œuvre et a demandé à tous ses commanditaires (elle en a plusieurs depuis sa médaille d’or de Turin) de contribuer aussi à cette œuvre, ce qui lui a permis de recueillir jusqu’à maintenant presque 500 000 $.
Et maintenant qu’elle est retraitée et qu’elle dispose plus de temps libre, elle vise à atteindre un million de dollars pour cette cause qui lui tient vraiment à cœur. Lors d’une récente chronique dans La Presse, Philippe Cantin l’a appelée « la championne humaniste », un titre qui lui va très bien.
Depuis deux ou trois ans, elle invite des enfants défavorisés à une fin de semaine en montagne pour les initier au ski acrobatique. Sait-on jamais, peut-être y trouvera-t-elle quelqu’un capable d’assurer sa relève? Et en plus de terminer ses études en administration à l’Université McGill, Jennifer a aussi l’intention de venir en aide aux athlètes d’élite canadiens. Voilà une personne extraordinaire que je me sens privilégié d’avoir côtoyée durant plusieurs années. Bonne chance Jenn dans ta nouvelle vie!