Les journalistes… et le statut professionnel

par Alain Guilbert

L’ex-juge John Gomery, celui-là même qui s’est rendu célèbre en présidant la « désormais célèbre » Commission d’enquête sur les commandites, est maintenant président du Conseil de presse du Québec.

Le Conseil de presse est un tribunal d’honneur (c’est-à-dire qu’il n’a aucun pouvoir direct) auquel la plupart des médias et des journalistes acceptent de se soumettre. Ce tribunal d’honneur peut adresser des reproches ou des blâmes à des médias, ou à des journalistes, à la suite de manques à leurs obligations professionnelles, et ceux-ci acceptent volontairement de les publier ou de les diffuser selon le cas, et par voie de conséquence d’apporter des changements par la suite à leur conduite. La famille Quebecor (le Journal de Montréal, le Journal de Québec, entre autres) ne reconnaît pas le Conseil de presse et ne donne jamais suite à ses décisions.

Dans une récente opinion publiée par La Presse (et probablement ailleurs également), le juge Gomery affirmait que « le milieu journalistique, tout comme la société québécoise, doit s’engager activement dans un débat public autour de la qualité de l’information et de la pratique du journalisme ».

Citant le rapport d’un groupe de travail présidé par la journaliste Dominique Payette, le juge Gomery fait de la déontologie le pivot central en information. Ce rapport propose d’ailleurs trois mesures: le renforcement du journalisme professionnel par le biais de la création d’un titre protégé pour les journalistes, le renforcement du Conseil de presse du Québec, et l’aide de l’État à la production d’une information de qualité.

Dans mon propos d’aujourd’hui, je vais m’en tenir à la première de ces trois mesures. La discussion au sujet d’un statut professionnel de journaliste a cours depuis au moins 50 ans, soit depuis mes tout premiers débuts dans ce « métier » (ou, devrais-je dire
« profession »). À cette époque, l’Union canadienne des journalistes de langue française (UCJLF) en débattait avec beaucoup d’émotion à presque tous ses congrès annuels. Par la suite, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (qui a succédé à
l’ex-UCJLF) a mis le sujet à son agenda tous les trois ou quatre ans. Les journalistes n’auraient aucun problème, pour la plupart, à accepter un statut professionnel comme les médecins, les avocats, les ingénieurs, les comptables et autres groupes. Mais un tel statut entraînerait aussi des devoirs et des obligations, un encadrement de la profession, des examens de qualification et des règles à suivre. C’est là que le bât blesse le plus, et qui fait que les journalistes ne s’entendent jamais sur ce fameux statut professionnel.

Les journalistes sont très agressifs pour défendre la liberté de presse ainsi que le droit du public à l’information. Nombreux sont ceux et celles qui se réfugient derrière ces deux notions lorsque des reproches leur sont adressés. Les journalistes n’acceptent à peu près jamais la critique. Ils affirment toujours agir dans l’intérêt public. Ils veulent bien la
« LIBERTÉ » la plus large possible, mais pas nécessairement les obligations qui en découlent. L’un des problèmes majeurs que nous rencontrons au Québec, c’est que n’importe qui peut se donner le titre de journaliste, des grands reporters comme Pierre Nadeau aux « potineux » comme Michel Girouard. Entre les deux, vous en conviendrez, la marge est grande. Même chose du côté des médias: les grands quotidiens comme
La Presse, Le Devoir, The Gazette ainsi que les grands réseaux comme Radio-Canada, TVA, Télémédia sont des MÉDIAS au même titre que Nouvelles et Potins ou des stations radiophoniques qu’on appelle communément « radio poubelle ». Chez les premiers, on se soumet à des règles d’éthique et professionnelles qui sont habituellement définies dans les conventions collectives de travail. C’est un bon début. Chez les seconds, tout est permis. La « sensation » constitue l’objectif à atteindre. Seules les condamnations par les tribunaux peuvent parfois leur imposer certains freins.

S’il est relativement facile pour les grandes entreprises et organisations de s’adresser aux tribunaux lorsqu’elles s’estiment lésées par les médias ou les journalistes, les simples citoyens sont totalement démunis lorsqu’ils se retrouvent dans de telles situations. Mais même quand les tribunaux donnent raison aux plaignants, les dommages qu’ils ont subis demeurent la plupart du temps irréparables. Avez-vous remarqué ce qui se passe quand les médias commettent des erreurs. Même si ces « erreurs » ont fait les manchettes, souvent en première page, les corrections, elles, sont traitées en quelques lignes seulement dans un coin de page à gauche. (Pourquoi à gauche? Parce que ces pages sont moins visibles que celles de droite.) Est-ce vraiment équitable pour les victimes de ces erreurs?

Personnellement, je serais en faveur d’un statut professionnel pour les journalistes… un statut en vertu duquel tous ceux et celles qui l’auraient obtenu seraient tenus de se soumettre à des règles bien précises et d’adopter une conduite qui respecte à la fois le bon sens et l’intelligence de leurs lecteurs et de leurs auditeurs. Un tel statut entraînerait nécessairement un grand ménage au sein de la profession. Ne pourrait plus se prétendre journaliste qui le veut, tout comme ne peut se prétendre médecin, avocat ou ingénieur qui le veut. On risque d’avoir des débats qui se poursuivront durant bien des années encore avant d’en arriver là!

P.S. Quand je vois le « journaliste » Claude Poirier aux nouvelles de fin d’après-midi au réseau TVA et qu’il y présente un message publicitaire déguisé en reportage judiciaire, je me dis que journaliste, média, statut professionnel et éthique sont des mots qui seront extrêmement difficiles à accoler!

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Une réflexion sur “Les journalistes… et le statut professionnel

  1. Nous connaissons tous des exemples très tristes d’animateurs de radio-poubelle et autres dérives du métier de journaliste. Ce genre de journalisme enlève beaucoup de lustre à la profession.

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