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« Une amie qu’il a fait passer pour sa femme »

De la bisbille de la sorte autour de la table du Conseil des écoles catholiques de Prescott-Russell ne s’était pas vue depuis la fameuse affaire Léveillé, mais cette fois, la pagaille était entre les conseillers scolaires eux-mêmes. La nouvelle fait la une de l’édition du journal Le Carillon du 6 novembre 1985. « Le conseiller Rhéal Lalonde, d’Alfred, s’est vu retirer la vice-présidence du Conseil des écoles catholiques de Prescott-Russell, la présidence du comité d’administration des affaires de ce corps public et a perdu son droit de parole pour une réunion. » Et qu’avait-il donc fait pour mériter pareil châtiment? « Le conseiller Rhéal Lalonde avait dénoncé, sans le nommer, un confrère qui s’était présenté à un colloque sur l’éducation avec ‘une amie qu’il a fait passer pour sa femme’. Il avait aussi dénoncé la faible assiduité de certains conseillers aux ateliers. La dénonciation avait pris l’aspect d’un avis de motion qui demandait également que le cas soit porté à l’attention du comité d’orientation du conseil. » Cet avis avait été rejeté. Le président du CECPR, Bernard Clavel, avait expliqué lors de la réunion du conseil du 15 octobre, en se référant à Lalonde, qu’on « l’accuse d’avoir manqué de décorum, d’avoir interpellé plusieurs membres sans les nommer, d’avoir lancé des défis et des menaces, d’avoir proféré des calomnies et des médisances ». Lalonde avait refusé de rétracter ses propos alléguant également que les mesures de ses confrères « avaient pour but de l’empêcher de prendre la parole au conseil et de jouer son rôle de ‘chien de garde’ que lui avaient conféré ses électeurs ». Lalonde ne serait pas réélu au scrutin du 12 novembre et serait remplacé par Roch Lalonde.

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Les élections municipales avaient intéressé un grand nombre d’électeurs dans les municipalités de la région malgré « la température plus que maussade ». Quelques maires ont perdu leur poste dans différentes municipalités comme Conrad Lamadeleine qui a délogé Guy Génier à Casselman et Denis Pommainville qui a montré la porte à Gérard Bertrand dans Cambridge; dans le canton d’Alfred, Yves Laviolette a été élu. À Hawkesbury, je me suis classé sixième (1304 votes) parmi les onze candidats, ce qui suffisait à me faire élire. Le maire Aurèle Fournier a été réélu à Vankleek Hill, de même que Gérald Joly à Alfred, André Langlois à Plantagenet, Rhéal Lalonde à St-Isidore, Claude Gravel dans Plantagenet-Sud, Roger Ravary dans Longueuil, Michel Lalonde dans Hawkesbury-Est et Gaston Patenaude dans Russell.

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Dans ma chronique du 27 novembre 1985, je revenais d’ailleurs sur ma présence en politique. « Ma situation de ‘politicien’ n’est pas nouvelle pour un journaliste dans la région. À venir jusqu’à tout récemment, l’éditeur de l’Express, Jean-Robert Danis, siégeait et présidait le Conseil d’éducation. Notre directeur de l’information, Charles Burroughs, a été conseiller et sous-préfet de L’Orignal. Et pendant près d’un quart de siècle, l’éditeur-propriétaire du journal The Review de Vankleek Hill, André Boyer, a été en politique très active : conseiller et maire de Vankleek Hill, en plus d’avoir présidé le Conseil des comtés unis. Il n’y a pas de problèmes quand tout le monde sait à quoi s’attendre. » Fait à noter, pas un seul lecteur n’avait manifesté d’objection à ma candidature, comme personne ne s’était opposé à celle de mon collègue Charles plusieurs années auparavant. Quand j’ai terminé mon mandat, je n’étais plus à l’emploi du journal.

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Berniquez, Drouin (Yves), Mullin sont réélus

Les élections municipales de novembre 1985, comme c’était coutume, avaient permis la réélection de plusieurs candidats sortants, surtout aux principaux postes. À Hawkesbury, par exemple, le maire Lucien Berniquez, le préfet Yves Drouin et le sous-préfet Edward Mullin sont réélus sans opposition, mais il y a quand même onze candidats pour les six postes de conseillers. La liste complète de tous les candidats des 18 municipalités de Prescott-Russell est publiée dans Le Carillon du 23 octobre 1985. Ainsi est réélu le maire Jean-Marc Lalonde, à Rockland; le préfet Lynn St-Denis et le sous-préfet Gary Barton, à Vankleek Hill; le maire Claude Laflamme et le sous-préfet Bernard Pilon sont les nouveaux titulaires à L’Orignal (l’ex-conseiller Charles Burroughs s’étant retiré de la course à la toute fin); le maire Jean-Paul Charlebois, dans Calédonia; le maire Claude Lemay, dans Clarence; le nouveau maire Neil Levac, dans Hawkesbury-Ouest; le sous-préfet André Simard, dans Longueuil; le maire André Lavigne, dans Plantagenet-Nord; le sous-préfet Simon Poirier, dans Plantagenet-Sud. Tous sans opposition.

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« Le Conseil municipal de Hawkesbury a décidé de se doter d’un commissaire industriel à plein temps et a confié le poste à son ancien administrateur municipal, Pierre Tessier. » Tessier entrerait en vigueur le 11 novembre, veille des élections municipales. Le maire Lucien Berniquez avait expliqué aux membres de la Chambre de commerce de Hawkesbury, comme le rapporte un article du 30 octobre 1985, que « le commissaire industriel a été mis sous contrat pour une période de six mois et que le contrat sera renouvelable par tranche de six mois ». Ce qui n’en faisait pas l’emploi le plus stable. La réaction de Tessier : « C’est un défi que l’on me lance. »

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Du déjà vu, mais à Embrun plutôt qu’à Russell. Décidément, cette région attire les projets de dépotoirs comme on le constate depuis 2010 ou 2011. Cette fois, comme le rapporte le journal du 30 octobre 1985, « plus de 1 200 résidants d’Embrun et des environs se sont catégoriquement opposés à l’implantation d’un dépotoir régional, tel que proposé par la firme d’ingénieurs Bertrand-Hewitt Enterprises Ltée. « L’endroit proposé pour le lieu d’enfouissement sanitaire technique se situe à environ quatre kilomètres au nord du village d’Embrun. Il comprend 150 acres de terrain dont quelque 55 acres serviront à dissimuler l’exploitation du lieu d’enfouissement de la vue du public. Actuellement, 40 acres de ce terrain sont dégagés, cinq acres sont utilisés pour l’exploitation d’un commerce (ferraille) et 105 acres sont couverts de broussailles et d’arbres. » Les arguments des opposants sont quasiment identiques à ceux qui seront soulevés plus de 25 ans plus tard par les citoyens contre un projet de dépotoir dans une partie du canton située cette fois au nord du village de Russell : pas dans ma cour s.v.p. Le projet n’a pas eu lieu cette fois-là non plus.

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J’en parle dans ma chronique du 30 octobre 1985. « Lynne Brisebois, la fille de Rolland et Michèle Brisebois, de L’Orignal, perce de plus en plus sur la scène artistique. Il y a deux semaines, elle a remporté la première manche de sa participation au concours de Montréal En Direct, à Télé-Métropole, ce qui lui a même valu un reportage dans le journal Écho-Vedettes. » Lynne est toujours dans le milieu artistique sous son nom d’artiste, Alex Bay. Je la revois de temps en temps.

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Sont-ils riches aujourd’hui?

La Caisse populaire de Hawkesbury célébrait son 35e anniversaire et pour marquer l’événement, ses dirigeants avaient décidé que la caisse « ouvrira un compte d’épargne à tous les nouveau-nés, fils ou fille d’un sociétaire ». Comme on peut le lire dans l’édition du 18 septembre 1985 du journal Le Carillon, « cette mesure a pour but de souligner l’importance accordée à la famille par cette institution financière coopérative, en même temps qu’on assurera la relève à une date ultérieure. Chaque nouveau-né dont les parents sont sociétaires de la Caisse populaire de Hawkesbury aura donc droit à une part sociale et à un dépôt initial de dix dollars dans un compte d’épargne ouvert à son nom. » Intéressant! J’aimerais bien savoir combien de ces « nouveau-nés » sont encore, aujourd’hui, sociétaires de la Caisse populaire de Hawkesbury. La Caisse devrait s’en vanter si le nombre est important.

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En cet été et cet automne de 1985, le débat public tourne autour du « parachèvement des écoles secondaires catholiques » et les opinions sont très partagées aux quatre coins de la province. Il s’agit, essentiellement, de prolonger le financement des écoles secondaires catholiques jusqu’au niveau de la 13e année (qui existait alors) au lieu de la 10e année. L’intérêt des contribuables, comme je le note dans mon éditorial du 25 septembre 1985, est inexistant. « Le sort des Expos, des Concordes, des Canadiens ou des Nordiques soulève un intérêt plus grand que les questions d’ordre politique ou social. La frivolité de la société humaine n’est plus à démontrer. Les lions qui mangeaient les chrétiens attiraient plus grande foule que les discours de Socrate ou de Platon. » Je déplorais le désintéressement du public surtout pour les questions scolaires.

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Son visage et ses cheveux blancs bouclés étaient reconnaissables au loin à Hawkesbury et à L’Orignal. « Le Dr Pierre Arcade Perrier est décédé lundi matin des suites d’une longue maladie. Il était âgé de 72 ans. Le Dr Perrier, aimable figure d’un homme jovial adorant les enfants et les jeunes, a longtemps œuvré auprès de la jeunesse. » L’article était publié dans le journal du 25 septembre 1985. « En 1947, alors qu’il avait été conseiller municipal l’année précédente, le Dr Perrier lançait le slogan ‘La jeunesse est l’espoir de demain’ comme thème de sa campagne électorale à la préfecture municipale. Le 1er décembre de cette année-là, il se faisait élire avec une majorité de 211 voix sur le préfet sortant Omer Laurin. Le maire était alors le Dr Charles-Émile Lafrance. (…) Le Dr Perrier était réélu sans opposition en novembre 1951, mais était défait en 1953, alors qu’il postulait la mairie. Cette année-là, le peuple avait donné un mandat très fort au nouveau maire Rosaire Gascon, le préférant au Dr Perrier, à Me Omer Chartrand et à Maurice Théorêt. » Des médecins et des avocats en politique municipale, il n’y en a plus tellement dans les petites communautés.

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Un article d’apparence anodine dans les pages intérieures du journal du 9 octobre 1985. Il était question de ma candidature à un des six postes de conseillers au Conseil municipal de Hawkesbury lors du scrutin du 12 novembre suivant. « Filion explique que son expérience de contribuer directement au service communautaire, par l’entremise du hockey mineur, lui a donné le goût d’en faire davantage, en sollicitant un mandat de la population locale. » J’y reviendrai bien sûr. Cela confirmait aussi en quelque sorte que le journalisme ne comblait plus toutes mes aspirations.

L’éditeur André Paquette avait par ailleurs signé un éditorial dans lequel il rappelait la philosophie et les politiques du journal, de même que ses attentes si jamais j’étais élu. De toute façon, la réputation du journal d’ouvrir ses colonnes à toutes les critiques imaginables à son endroit était en quelque sorte garante que quelqu’un quelque part surveillerait mes agissements et ma capacité à différencier mes deux rôles.

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Boudria en faisait sa priorité

Le pont Perley entre Hawkesbury et Grenville était maintenant la priorité du député fédéral Don Boudria. C’est que Boudria venait d’être nommé « critique libéral des Travaux publics » par le chef de l’Opposition libérale, John Turner, et qu’à titre de « critique des Travaux publics, j’aurai un accès encore plus grand au ministre et aux dossiers » pouvait-on lire dans Le Carillon du 11 septembre 1985. Ce n’était pas d’alors que la piètre qualité du « seul pont reliant les deux rives de l’Outaouais entre Ottawa et Montréal » inquiétait les citoyens et les politiciens. Boudria ne chômait pas à la fin de sa première année comme député fédéral. Comme le précise l’article, « il conservera aussi son rôle actuel de critique d’Approvisionnement et Services, de vice-président du Comité du caucus pour les opérations gouvernementales et de vice-président du Caucus libéral de l’Ontario ». Le pont Perley sera sa priorité pendant encore plusieurs années avant qu’un nouveau pont voit le jour.

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Internet n’existait pas encore et il était alors possible de réclamer certaines interdictions comme l’avaient fait les 2 200 signataires d’une pétition visant à « Ramener la religion au foyer ». Aujourd’hui, les réactions pro ou contre envahiraient rapidement les réseaux sociaux. La pétition de gens de Hawkesbury et de L’Orignal avait été présentée au député fédéral Don Boudria après que le groupe eut conclu que les autorités municipales n’avaient pas la compétence nécessaire pour légiférer dans le sens qu’il souhaitait. « La pétition réclame du gouvernement canadien l’interdiction de vendre, louer ou exhiber des ‘livres, journaux, magazines, portraits, audiovisuels, disques, vidéocassettes où il y a nudité, ou toute lecture ou tout matériel visuel ou qui peut être entendu, destiné à éveiller l’appétit sexuel ou à l’inclination érotique’. » On peut aussi lire dans l’article du 18 septembre 1985 que selon Bertrand Jetté, le porte-parole du groupe, les signataires de la pétition lutteront « énergiquement contre la pornographie, l’avortement, les drogues et même le divorce. Il soutient que le divorce est une forme de ‘violence contre l’enfant’ puisque celui-ci se retrouve souvent abandonné et victime de la séparation de ses parents. » Certains conservateurs de Harper adoreraient une telle pétition aujourd’hui.

Ma réaction en éditorial : « Toute forme d’extrémisme, qu’il soit politique ou religieux, est dangereux. Les exemples à travers le monde sont trop nombreux pour les énumérer. Il faut se demander, en effet, où s’arrêteront l’interdiction et le contrôle des âmes. »

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Qu’est-ce qu’on fait quand on est député de l’Opposition officielle? On s’oppose, même si le raisonnement peut sembler douteux. Ainsi, dans le journal du 18 septembre 1985, « le député de Glengarry-Prescott-Russell aux Communes s’oppose au projet de loi visant à interdire la sollicitation en public aux fins de prostitution ». Ses arguments? « M. Boudria reconnaît que ‘nous traversons une période difficile sur le plan économique, et le racolage fournit un revenu lorsque le chômage sévit’. » Et il en rajoutait : « La prostitution est une activité qui permet de gagner sa vie, et même s’il s’agit d’un métier que beaucoup d’entre nous réprouvent, il n’en existe pas moins. Beaucoup de femmes s’y livrent à contrecœur, car elles ne savent pas faire autre chose. » Boudria avait par contre fait remarquer « que le projet de loi ne contient aucune mesure pour réduire ou éliminer les démarches des clients dans la rue ».

Ce qui me rappelle mes premières années à Postes Canada alors que les libéraux étaient encore dans l’Opposition. Un jour, après avoir accompagné mon président-directeur général devant un comité des Communes, j’avais reproché à « mon » député de ne pas être juste envers mon employeur. Il m’avait expliqué que c’était son rôle dans l’Opposition de s’opposer. Je lui avais répliqué de laisser quelqu’un d’autres faire ce travail, pas mon député.

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50 emplois pour des ceintures

« La compagnie Belts-By-Us, de St-Eugène, recevra un prêt d’encouragement à terme de 130 000 $ de la Corporation de développement de l’Est ontarien. (…) Le prêt s’ajoute au capital de 215 000 $ investi par la compagnie et contribuera à payer une partie des salaires des 50 nouveaux emplois créés par l’ouverture de cette nouvelle usine. » Comme on peut le lire dans Le Carillon du 28 août 1985, « cette entreprise confectionnera des ceintures, bretelles et autres accessoires vestimentaires, en mettant l’accent sur le marché américain ». Je dois reconnaître que je n’ai jamais entendu parler de cette entreprise par la suite.

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Fernand Guindon était un politicien très connu de l’Est ontarien et sans doute l’un des plus respectés. Dans le journal du 28 août 1985, on apprend qu’il est décédé à l’âge de 68 ans. « Fernand Guindon, de Cornwall, a d’abord été élu à l’Assemblée législative ontarienne comme député de Glengarry, en 1957. Deux ans plus tard, il sollicitait et obtenait le poste de député de Stormont; il devait être réélu trois fois à ce poste. Il a fait son entrée en cabinet provincial en 1967 et est alors devenu vice-président de la Commission des parcs du Saint-Laurent. Plus tard, il devait occuper les postes de ministre du Tourisme et de ministre du Travail. En 1974, il a abandonné la scène provinciale afin de tenter sa chance sur la scène fédérale. Il devait toutefois être défait dans la circonscription de Stormont-Dundas par le libéral et ancien maire de Cornwall, Ed Lumley. Depuis sa retraite, il avait également été vice-président de la Société des loteries de l’Ontario. » Il était président fondateur de Guindon-Glenoco, une entreprise de produits pétroliers de Cornwall.

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Il siégeait au Conseil municipal de L’Orignal depuis 1977 et il en était alors sous-préfet quand il a annoncé sa candidature à la mairie de son village le 12 novembre suivant. La nouvelle de la candidature de Charles A. Burroughs, mon bras droit et chef de l’information au journal Le Carillon, est publiée dans le journal du 28 août 1985. Avant son élection du Conseil, Charles s’était fait avantageusement connaître dans sa communauté par la Commission de la bibliothèque et par sa présidence du Comité du centenaire de L’Orignal en 1976, en plus de plusieurs autres organismes locaux. J’y reviendrai.

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Décidément, la question ne serait jamais tranchée puisqu’elle revenait à la surface quasiment une fois par année. « Le statut particulier pour certains et confus pour d’autres de l’école catholique St-Joseph de Russell soulève une nouvelle vague de mécontentement chez les parents francophones. » Un groupe de parents, comme le signale un article dans le journal du 11 septembre 1985, demande « que l’école de Russell soit une fois pour toutes proclamée école française et qu’un comité administratif soit mis sur pieds pour assurer que les élèves qui fréquentent l’école soient bel et bien francophones ». Le problème découlait de l’augmentation galopante des inscriptions d’élèves de langue maternelle anglaise. « L’inscription est d’ailleurs passée de seulement quelque 70 élèves en 1976 à plus de 300 maintenant. » Pour le directeur général du Conseil des écoles catholiques de Prescott-Russell, Jean-Paul Scott, « l’école de Russell est une école française avec des programmes adaptés aux anglophones qui sont inscrits à l’école. Ce type d’école semble satisfaire les parents. Selon toutes les indications que nous avons eues, c’est un petit groupe de parents seulement qui désapprouvent le contexte actuel. » Voilà! Fin de la conversation. En 2013, la situation de l’école St-Joseph de Russell est à peu près la même… école française avec une grande proportion d’enfants dont la langue maternelle est l’anglais. Ils en sortent bilingues éventuellement.

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De brèves anecdotes de l’été 1985

Après le départ de Monique, une nouvelle recrue arrive au service de nouvelles, Sylvie Gauvreau, de Ste-Cécile-de-Masham, une bachelière en communication de l’Université d’Ottawa. Je dois avouer n’avoir aucun souvenir d’elle; elle n’a pas dû rester longtemps à notre service. J’en parle dans ma chronique du journal Le Carillon du 24 juillet 1985. Dans cette même chronique, j’avais signalé qu’une stagiaire en journalisme passait un deuxième été avec nous. Dianne Paquette était étudiante en communications à l’Université d’Ottawa. Elle rejoindra la salle de rédaction du journal quelques années plus tard pour ensuite passer au journal Le Droit jusqu’à il y a quelques années.

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J’ose affirmer que tous les citoyens de Hawkesbury avaient rencontré leur greffier municipal Jean-Baptiste Cuillerier au moins une fois pendant sa longue carrière à ce poste. Lorsqu’il prendrait sa retraite le 26 novembre suivant, après les élections municipales, il serait remplacé par le trésorier municipal Jean-Jacques Poulin, lui-même employé municipal depuis 20 ans. Comme journaliste, je côtoyais les deux depuis justement 20 ans.

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La nouvelle clinique Trillium ouvre ses portes au 1040 rue Ghislain, juste de l’autre côté du nouvel Hôpital général de Hawkesbury et la région. En plus des bureaux des professionnels de la santé, les docteurs Jean Fairfield, Jacques Bergevin, François Théorêt (alors mon médecin de famille) et Lowesha Kapijimpanga, les clients y trouvent aussi une pharmacie, celle de Lise St-Denis. Il y avait aussi les médecins Arnold, Borduas, Caron et Therrien. Neuf spécialistes y venaient comme consultants de façon régulière. L’édifice est toujours là et a toujours la même vocation.

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Les locataires étaient contents, mais pas les propriétaires. « La nouvelle loi sur la révision des loyers prévue par le gouvernement de l’Ontario signifie que les responsabilités des propriétaires et des locataires seront modifiées avec effet rétroactif au 1er août 1985. » La publicité est dans le journal du 21 août. « À compter de ce jour, une ligne directrice de la révision des loyers de 4 % s’appliquera à la plupart des immeubles d’appartements, aux maisons jardins de locations, aux duplex, aux logis en copropriété et aux logements individuels tels que les maisons. (…) Jusqu’au 1er août 1985, une ligne directrice permettant une hausse de 6 p. 100 des loyers s’appliquait à la plupart des logements locatifs privés, sauf dans les cas d’unités habitées après 1975 et certaines unités louées à 750 $ par mois ou plus. »

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Une autre longue grève prend fin. « Une entente est intervenue vendredi entre le local 495 du Syndicat des employés unis du textile et l’usine Dominion Textile de Hawkesbury, mettant ainsi fin à près de quatre mois de grève. » Les détails dans le journal du 28 août 1985.

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Le témoignage d’une famille éprouvée (3)

La présentation de Monique Castonguay devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006, est aussi un témoignage à la première personne de ce qu’a vécu sa famille entière en lendemain de cet terrible acte de terrorisme. Je tenais à partager ce témoignage avec mes lecteurs et à le consigner sur le Web dans mon blogue. Comme je l’écrivais lundi, il n’y a pas eu d’autres événements du genre qui ont touché des communautés de Prescott-Russell d’une telle façon. Voici la dernière de trois parties :

Au moment de la présentation du rapport de M. Rae, prévue le 23 novembre 2005, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir une invitation spéciale à me rendre à l’avance au dévoilement. Le privilège de prendre connaissance du rapport avant sa présentation était réservé aux membres de l’exécutif de l’association des familles.

En cherchant les représentants des familles des victimes, la télévision d’État a coupé au montage la personne blanche au milieu du groupe; ils ont dû me prendre pour une employée chargée des relations avec les familles, puisque j’étais blanche. On n’en sort pas. À chaque fois que ce genre d’exclusion se produit, c’est comme si on nous enlevait le droit d’inclure Rachelle au nombre des victimes d’Air India, et de pleurer sa perte.

Dans son rapport, M. Rae avait recommandé une commission d’enquête à pouvoirs réduits, en espérant que la Chambre des communes lui accorde par la suite des pouvoirs supplémentaires au moment opportun, s’il était confronté à un refus de collaborer de la part des personnes qu’il devait entendre. Cette forme d’enquête supposait la participation volontaire de tous, sans réserve. M. Rae a été confirmé responsable de cette enquête les jours suivants, juste avant le déclenchement des élections qui pouvaient tout compromettre.

Nous apprenions par la suite que les pouvoirs limités de la commission auraient pu mettre en péril la réalisation des objectifs des travaux de la commission. De plus, le jeu politique prévoit que les projets embryonnaires d’un gouvernement ne survivent pas nécessairement à une élection, que le gouvernement soit réélu ou non. Nous aurions eu à recommencer les mêmes doléances auprès du gouvernement suivant.

Dès l’entrée au pouvoir du gouvernement actuel, le Premier ministre Stephen Harper a signifié son intention de donner suite à la tenue d’une enquête publique, une enquête publique avec pleins pouvoirs judiciaires. C’est inhabituel de la part d’un jeune gouvernement minoritaire d’agir aussi rapidement sur une question qui a déjà traîné aussi longtemps sur les tablettes. Nous avons été agréablement surpris que nos réclamations de justice soient considérées aussi tôt dans le cours de son mandat.

Il fallait revenir à notre but premier : cette enquête concerne tout le cafouillage qui a entouré l’acte de terrorisme le plus important qui ait été perpétré au Canada.

J’ai assisté à la rencontre du Premier ministre Harper avec des membres des familles à Ottawa en février. Il s’en est suivi votre nomination, Monsieur le Commissaire, et peu de temps après, une nouvelle rencontre au printemps entre les familles et vous.

Nous avons été étonnés, et soulagés à la fois de franchir cette nouvelle étape. Bien qu’elle nous redonne espoir, c’est aussi pour nous, en quelque sorte, l’occasion de la dernière chance de mettre en lumière toute la tragédie : celle du 23 juin 1985, autant que celle de l’enquête et du procès durant les années qui ont précédé et suivi l’attentat.

L’inauguration des travaux de la Commission, le 21 juin cette année, a été pour nous un point marquant dans la recherche de la justice. J’ai été particulièrement touchée de voir défiler les noms de chacune des victimes sur un écran géant durant le moment de silence. Trop souvent, la référence que l’on fait aux victimes se borne au chiffre 329, une simple statistique, et combien de fois la minute de silence n’a pas été respectée dans l’auditoire. Cette nouvelle approche a véritablement créé un climat de recueillement et de respect où nous étions tous unis dans cet hommage ultime rendu à la mémoire de nos chers disparus. Cet instant précieux a été des plus émouvants pour chacun des participants; il avait sa raison d’être.

Durant les heures qui ont suivi, j’ai été invitée avec certains autres membres des familles à me rendre à la Chambre des communes, dans la galerie des invités du Premier ministre, afin d’assister aux débats de la journée après le repas. On devait y faire référence à l’inauguration de la Commission lors de la période de questions. Sur place, on m’a désigné une place bien à l’écart des autres invités représentant les Indo-Canadiens. Au moment où on a souligné l’ouverture des travaux de la Commission, un groupe d’une quinzaine d’hommes portant le turban, que nous n’avions pas vus le matin, lors de l’ouverture des travaux de la Commission, se sont levés pour signifier leur présence dans la galerie réservée au public; ils sont partis immédiatement après. Je ne peux faire autrement que de m’interroger : qui étaient-ils? Était-ce une nouvelle tentative d’intimidation afin de faire pression sur les travaux de la Commission? J’ose espérer que non et que la Commission conservera son intégrité.

Depuis cet assassinat collectif, les membres de notre famille ont passé par toute une gamme de sentiments relatifs au deuil : le choc initial, le refus de croire, la colère, la culpabilité de l’avoir laissée partir, et la tristesse. L’acceptation devrait en être la dernière étape. Un deuil normal dure de six mois à quatre ans en moyenne. Oui, nous avons accepté que Rachelle ne soit plus des nôtres, mais nous n’accepterons jamais la façon dont elle a été enlevée à la vie, non plus les tentatives de nous induire en erreur en nous cachant la vérité.

Cependant depuis 21 ans, le cours de l’enquête, la reprise des communications après des années de silence, le procès, l’incroyable verdict, les rencontres, les entrevues avec les médias et la lecture des livres publiés sur a question, nous ont tour à tour ramené encore et encore au début du processus normal du deuil. À chaque fois, nous avons ressenti la vive douleur de la perte injustifiable de celle qui nous était chère. Combien de fois faudra-t-il encore revenir aux premières émotions de ce deuil?

Il est clair pour nous que, tout comme les révélations du procès et celles des livres qui ont été écrits sur le sujet, ce que nous découvrirons durant les travaux de la Commission risque de nous blesser de nouveau. C’est un risque à courir afin de faire toute la lumière sur la question. Rachelle n’en aurait pas fait moins elle-même si elle avait été confrontée à la même perte d’un proche ou d’un ami.

Jusqu’à maintenant, la justice et la sécurité de notre pays ont failli honteusement. Le résultat du procès en mars 2005 est un pied de nez à la mémoire de 331 personnes qui ont été assassinées en incluant les victimes de Narita, au Japon; le verdict donne de façon tacite l’assentiment de notre justice à tout autre complot terroriste. Il est primordial que l’enquête publique aille au fond des choses. Nous espérons que cette enquête publique puisse recommander les correctifs nécessaires aux procédures et aux lois canadiennes. Cette enquête créera, de plus, une ouverture au gouvernement canadien afin qu’il puisse reconnaître et réparer ses torts auprès des familles des victimes et de toute la population canadienne, malgré les vingt-et-une années écoulées.

La Commission d’enquête publique représente pour un peuple comme le nôtre la seule voie civilisée et démocratique ayant pour but de corriger les erreurs du passé. Celle-ci permettra, nous l’espérons, d’identifier les failles à la Cour fédérale comme à celles des provinces, devant des aberrations telles que les verdicts de non-culpabilité et de culpabilité à accusations réduites accordés par la Justice de la Colombie-Britannique. Une étude exhaustive s’impose également afin d’identifier ces lacunes trop souvent utilisées à l’avantage des responsables mis en accusation. Il y a amplement de place à l’amélioration. La Commission nous offre cette possibilité, et nous comptons sur vos recommandations.

Il y aurait lieu également d’étudier la collaboration avec les agences de sécurité et de renseignements d’autres pays, les différentes juridictions de sécurité et toutes les parties impliquées de près ou de loin dans cet attentat. Il en va de même concernant la position des gouvernements qui se sont succédé au pays quant au débat sur l’acte de terrorisme le plus important qu’ait connu le Canada, le plus sérieux au monde touchant le transport aérien avant ceux du 11 septembre 2001. Le gouvernement canadien pourra modifier ses lois et ses ententes internationales à la lumière des révélations de l’enquête. Si en 1985 le mandat de notre Service de sécurité ne prévoyait pas collaborer avec les forces de l’ordre, il faut admettre que sans cette collaboration vitale, d’autres machinations aussi déplorables telles que celle qui visait à détruire les édifices du Parlement d’Ottawa, ou à faire exploser les avions américains en partance de Londres, tout récemment, n’auraient pu être évitées. Bien que ces événements éveillent en nous des souvenirs malheureux, nous avons tous été soulagés qu’on ait pu, dans les deux cas, entraver le cours d’actes dévastateurs répugnants, et épargner la vie de centaines d’innocents.

Nous en venons à penser que la Loi sur le terrorisme devrait permettre de retirer la citoyenneté canadienne à tout Néo-Canadien qui se sert du Canada comme pied-à-terre dans le but de commettre un acte terroriste, ou de gérer des cellules terroristes satellites afin de détruire d’autres vies humaines au Canada ou ailleurs dans le monde. C’est usurper la citoyenneté canadienne en faisant le faux serment de respecter les lois du pays. Qu’en est-il actuellement? Sommes-nous à la merci de ces groupes de lâches?

La tenue des travaux de la Commission a le pouvoir de soulager les membres des familles des victimes du lourd fardeau de tenter de mener l’enquête eux-mêmes et de faire la preuve qu’il y a eu défaillance à plusieurs niveaux depuis 1985. Une enquête publique comme celle de la Commission accordera également aux membres des familles (y compris la nôtre) la possibilité de vivre complètement leur deuil, jusqu’au bout. Un procès tel que celui qui s’est terminé en 2005, doublé d’une série de gouvernements qui sont entêtés en 20 ans à ne pas reconnaître les évidences et les responsabilités du Canada, ne fait qu’ajouter au cauchemar de tous les instants que vivent les membres des familles éprouvées. Si l’enjeu de cet attentat nous était étranger dans notre pays, cette tragédie a véritablement pris racine au Canada!

Nous aurions également désiré que les travaux de la Commission puissent se pencher, dans le contexte de la tragédie d’Air India, sur les contributions politiques versées par des personnes qui pourraient être impliquées dans cette machination terroriste et qui auraient tout avantage à ce que les coupables demeurent impunis. Malheureusement, le mandat la Commission est limité. Nous resterons sur notre faim de justice quant aux éventuels liens entre ces gens-là et les élus de nos gouvernements depuis juin 1985, de même que sur la nationalité des membres des partis politiques canadiens qui sont appelés à diriger nos provinces ou notre pays.

Les procédures de la Commission laissent entrevoir un processus long et lourd, qui risque de se perdre dans les dédales de multiples injonctions lucratives aux bureaux d’avocats. Nous vous enjoignons de comprendre notre douleur, et notre désir de prévenir tout dérapage, et de maintenir la direction de cette enquête afin d’en arriver à des analyses et à des conclusions appropriées et hautement justifiées.

Comme on l’a constaté durant le procès des présumés auteurs de cet attentat (couronné d’un verdict de non-culpabilité rendu en Colombie-Britannique 20 ans après le fait), plusieurs témoins importants étaient morts depuis la tragédie (deux d’entre eux ont même été assassinés avant de pouvoir témoigner), d’autres n’avaient plus de souvenir indiscutable des événements. Ces oublis ont donné lieu au « doute raisonnable », cette douloureuse expression bouche-trou qui semble avoir été apprêtée à plusieurs sauces durant le procès. Le tour de force reste de s’assurer de mener rapidement une enquête en profondeur. Il nous tient à cœur que vous puissiez éviter d’escamoter les éléments importants qui ont mené à ce désastre et au cafouillage de nos institutions canadiennes au cours des vingt-et-une années qui ont suivi.

Nous souhaitons spécifiquement que l’enquête permette d’expliquer et révéler :

UN – Les raisons qui ont entouré la négligence du gouvernement à prévenir cette tragédie (services secrets, sécurité, avertissements du gouvernement de l’Inde, entre autres sources), alors qu’on savait qu’Air India n’offrait qu’une seule envolée par semaine vers l’Inde, ce qui donne à croire que les passagers ont été tout simplement été envoyés à l’abattoir faute d’une action de prévention immédiate appropriée;

DEUX – Les raisons et les lois qui ont entouré le manque de surveillance à l’aéroport de Vancouver, les services de sécurité confiés à une entreprise privée par le gouvernement fédéral en place, les systèmes habituel et manuel de vérification des bagages qui ont été défaillants simultanément au moment de vérifier les bagages contenant les bombes;

TROIS – Les raisons qui ont entouré l’incompétence et le manque de jugement des employés de la sécurité chargés d’enquêter sur le dossier (la mauvaise préparation, l’ignorance de la langue des individus à surveiller, le refus d’échanger des renseignements cruciaux entre les services secrets et la GRC, les conflits de personnalités reconnus par les autorités, la destruction de matériel à conviction, l’inaction face à une bombe testée et l’excuse du « coup de fusil »), le manque de sanctions apparent envers le personnel fautif et de prise de mesures pour rectifier la situation;

QUATRE – Les raisons qui ont entouré le manque d’appuis aux familles des victimes individuellement et la désinformation sur les positions réelles du gouvernement canadien qui a tenté de se soustraire de ses responsabilités face à cette tragédie;

CINQ – Les raisons qui ont entouré la mauvaise préparation de la Couronne en vue d’un long procès onéreux, rendu stérile par son verdict; le manque d’encadrement par la sécurité auprès du juge lorsqu’il a dû s’absenter pour les funérailles de son frère (le rendant ainsi, lui et les membres de sa famille, vulnérables à toute forme d’intimidation);

SIX – Les raisons et les lois qui ont permis aux terroristes de se financer à même les deniers publics et les campagnes de recrutement de fonds de leur communauté religieuse;

SEPT – Bien que le mandat de la Commission ne prévoie pas enquêter à ce niveau, nous aurions bien aimé connaître les raisons véritables qui ont entouré le refus des membres des gouvernements précédents de mener une enquête publique sur la tragédie d’Air India, en particulier lorsqu’un vote favorable a été inscrit sur la motion de l’Opposition le 12 avril 2005 à la Chambre des communes.

Il est primordial que la Commission d’enquête publique puisse obtenir toutes ces réponses, sans pour autant nuire à la progression des enquêtes policières présentement en cours ni à la sécurité nationale. C’est à cette seule condition que nous accepterons l’utilisation des audiences à huis clos.

Les événements qui ont marqué les deux dernières décennies ont laissé les membres de notre famille déçus, désillusionnés, sans voix auprès des autorités, trahis par une justice qui donne trop de latitude aux terroristes et aux malfaiteurs, et peu confiants sur la volonté du gouvernement de réellement faire tout en son possible afin d’aider non seulement les membres des familles des victimes, mais aussi la Justice. D’un point de vue strictement culturel, notre famille est entraînée au cœur d’un remous auquel nous pouvons difficilement nous identifier, d’une part en raison de la majorité culturelle, d’autre part à cause du processus judiciaire auquel nous n’étions aucunement initiés. La Commission d’enquête nous apporte un vent d’espoir.

Il est déplorable que le Canada soit utilisé comme tremplin à des horreurs comme celle que nous avons vécue, que notre pays serve de terrain à des règlements de compte politiques de sources étrangères, et que ces actions répréhensibles soient souvent menées par des personnes qui ont obtenu une citoyenneté canadienne grâce à un serment d’allégeance bidon. L’objectif de cette vendetta contre le gouvernement de l’Inde était de détruire deux de ses avions; ce faisant, ils ont assassiné 331 personnes. Le dommage a davantage atteint le Canada, pays de paix, par la perte de pas moins de 280 de ses citoyens, dont 60 enfants. Qu’est-ce qui a été fait pour contrer le terrorisme entre 1985 et septembre 2001?

Les événements du 23 juin 1985 semblent aussi avoir donné le ton à d’autres actes terroristes de par le monde, qui mettent en scène des citoyens qui font fi du gouvernement et de ses lois dans le pays qui les accueille, et qui utilisent des méthodes de financement à même les deniers publics et les œuvres de charité. Leurs leaders se cachent derrière leurs militants et leur font prendre les vrais risques à leur place pour commettre des actes meurtriers et des tueries aux multiples victimes innocentes (en utilisant dorénavant des avions). Et le règne des ces mouvements terroristes se perpétue ici, dans nos villes canadiennes comme ailleurs, sous la forme d’intimidation, de règlements de compte et d’assassinats. La violence n’a jamais rien réglé, et à long terme, entraîne une escalade d’actions plus meurtrières les unes que les autres.

Les membres de notre famille sont meurtris par les événements des dernières décennies, bafoués par les revers des autorités et de la justice depuis 21 ans, épuisés de réclamer justice. Rachelle était pour nous tous, d’abord le premier enfant d’Hervé et Dolorès, une fille, et aussi une sœur, une confidente, une compagne de jeu, une belle-sœur, une marraine, une petite-fille, une filleule, une nièce, une tante, une cousine, une amie, une collègue, une camarade de classe, une voisine, un grand amour, une personne affirmée, déterminée, engagée et ouverte au monde, une jeune femme talentueuse et brillante, une employée dévouée, une citoyenne canadienne et une contribuable.

Nous espérons donc la conclusion de cette enquête publique dans les meilleurs délais, et que le gouvernement prenne des mesures afin de modifier en conséquence notre système judiciaire, et que justice puisse avoir lieu là où ce sera possible. Les révélations de cette enquête devront inciter le gouvernement à s’engager sérieusement à corriger les méandres et les échappatoires de nos lois. Trop d’événements ont entravé le cours de la justice et la sécurité de la population, les travaux de la Commission serviront, nous l’espérons sincèrement, à prévenir le retour d’événements semblables.

Mon témoignage à la Commission s’achève ici. Le récit que je vous ai livré relate la façon dont la famille Castonguay a vécu ces pénibles événements et les demandes que nous adressons à la Commission. Il est prévu qu’il n’y aura pas de contre-interrogatoire pour les membres des familles par les procureurs de la Commission; je ne désire pas non plus m’y exposer à l’extérieur des cadres de ce témoignage. Je souhaite de tout mon coeur que l’attention soit maintenant entièrement tournée vers le but de la Commission : celui d’identifier les lacunes dans tout ce qui entoure la tragédie d’Air India, ce jour-là et toutes les années qui l’on précédé et ont suivi, et de recommander les correctifs qui s’imposent afin rendre mon pays un endroit où la justice se fait respecter de tous. Personne au Canada ne devrait avoir à revivre les événements des 21 années que nous venons de vivre. Les membres de ma famille désirent maintenant s’abstenir de commentaires et vivre leur deuil pour que dans un avenir proche, Rachelle puisse enfin reposer en paix.

Note du blogueur : Vous pourrez retrouver les principales observations de cette enquête publique, au cours de laquelle Monique a témoigné, sur le site Web suivant : http://epe.lac-bac.gc.ca/100/206/301/pco-bcp/commissions/air_india/2010-07-23/www.majorcomm.ca/fr/reports/finalreport/principales-observations.pdf.

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Le témoignage d’une famille éprouvée (2)

La présentation de Monique Castonguay devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006, est aussi un témoignage à la première personne de ce qu’a vécu sa famille entière en lendemain de ce terrible acte de terrorisme. Je tenais à partager ce témoignage avec mes lecteurs et à le consigner sur le Web dans mon blogue. Comme je l’écrivais lundi, il n’y a pas eu d’autres événements du genre qui ont touché des communautés de Prescott-Russell d’une telle façon. Voici la deuxième de trois parties :

Puis, nous avons été invités à une cérémonie inaugurale des travaux de construction du monument commémoratif dédié à la tragédie d’Air India, sur le terrain du Parc de la Confédération de la Commission de la capitale nationale, près du lac Dow à Ottawa. Les cérémonies étaient à peine commencées que le ministre représentant le gouvernement canadien a été soudainement invité à quitter rapidement, entouré d’agents de police en civil. La cérémonie a été bâclée, et la foule, invitée à se disperser. Les parents de Rachelle et moi sommes rentrés à la maison, sans trop nous presser, intrigués comme tout le monde de ce qui avait bien pu se produire. Le lendemain, dans un quotidien d’Ottawa, on expliquait qu’un individu portant une arme camouflée sous une serviette de bain se promenait dans la foule. Et on nous avait laissé courir ce risque!!! Qui sommes-nous donc aux yeux des autorités? Aucune explication officielle sur cet incident ne nous a été fournie. Une adaptation du plan du monument présenté ce jour-là a été réalisée lors des mois qui ont suivi. Le monument porte les noms de toutes les victimes des deux attentats du 23 juin 1985. Vous comprendrez maintenant mieux notre réaction à décliner la plupart des autres invitations à des rassemblements rattachés à la tragédie d’Air India depuis ce jour. Cette année toutefois, Maurice et moi avons assisté à une cérémonie spéciale qui a eu lieu le 23 juin afin d’amorcer de nouveaux travaux destinés à améliorer le site du monument et à le rendre plus accessible, grâce à un budget spécial du gouvernement fédéral.

Rachelle n’a jamais été oubliée de ses collègues universitaires. Le Département de géographie de l’Université d’Ottawa, auquel elle a consacré plusieurs heures de travail professionnel et bénévole, a choisi d’établir une bourse en son nom : la bourse Zamborski-Castonguay a été créée en 1990. M. Zamborski était le fondateur du département de géographie à l’Université d’Ottawa. Vous saisirez ici l’importance de l’implication de Rachelle auprès de l’Université d’Ottawa puisque son nom figure tout à côté de celui du fondateur du département.

Et un lundi soir de septembre 2002, nous avons été brutalement ramenés en arrière, invités à replonger dans la douleur qui a ranimé des souvenirs que nous espérions avoir enfouis dans les tiroirs de l’horreur. L’agente Kate Galliford de la GRC de Vancouver a téléphoné. Elle devait joindre les membres des familles des victimes. Elle avait retrouvé le nom de Maurice dans la paperasse de l’enquête initiale de 1985. La GRC en Colombie-Britannique tient lieu de police provinciale.

L’enquête n’était pas terminée. L’Agente Galliford devait nous prévenir de nous attendre à des développements majeurs imminents dans le dossier d’Air India. Du coup, elle nous a reportés au plus fort de notre chagrin devant l’assassinat inacceptable de Rachelle. Les responsables restaient impunis, mais il subsistait une chance pour que justice soit enfin rendue dans cette affaire.

Maurice a pris l’appel et je suis restée en ligne sur un autre appareil. L’Agente Galliford s’est identifiée et a expliqué la raison de son appel. L’émotion nous étouffait après toutes ces années de silence. N’y tenant plus, sans dire un mot, Maurice a tout doucement raccroché le téléphone; il me revenait donc de prendre le reste des détails et de renseigner les autres membres de la famille sur le peu que je venais d’apprendre. Pour l’instant, il n’y avait rien de plus à dire. La GRC de Vancouver devait tenir une vidéoconférence avec les membres des familles éprouvées à Ottawa, Toronto et Montréal au sujet des nouveaux développements. Tous ces renseignements étaient disponibles en anglais seulement, ce qui rendait la communication plus difficile pour certains membres de la famille, dont la mère de Rachelle, qui s’exprime difficilement en anglais. C’était une barrière importante.

Le coup a porté durement, j’étais déstabilisée. Le lendemain, je téléphonais aux autres frères et sœurs de Rachelle. Toutefois, j’avais prévu de me rendre sur place, en soirée, afin d’en informer les parents de Rachelle. Si moi, je me sentais fortement ébranlée, il serait encore plus difficile pour eux de revenir en arrière.

Par ailleurs, je m’interrogeais sur qui donc pouvait bien être cette agente de la GRC? Était-ce une démarche authentique? Ou était-ce une plaisanterie de mauvais goût? J’ai tout de même fait confirmer l’identité de l’Agente Galliford par une autre source au cours des jours qui ont suivi, afin de me rassurer.

De par mon expérience passée, je savais qu’en procédant ainsi, la démarche de la police pouvait servir à informer les membres des familles, bien entendu, mais elle pouvait également s’avérer une fuite calculée destinée à provoquer une action de la part de ceux qui étaient soupçonnés, et mener ainsi à leur arrestation. Cette hypothèse laissait présager que les auteurs de ce massacre auraient eu des liens avec des proches des membres de certaines familles des victimes. Ceci aurait aussi expliqué l’absence de substance du message initial de l’Agente Galliford. Le mot d’ordre, bien entendu, était de n’en parler en aucun cas en dehors de la famille…

Il n’en demeure pas moins que cet appel ravivait les plaies. Hervé et Dolorès, ses parents, ont écouté le message sur les nouveaux développements en essuyant leurs larmes. Nous étions loin d’avoir accepté le décès de Rachelle; pour certains membres de la famille, il était même impossible encore d’en parler. Nous évitions de mentionner son nom aux réunions familiales. Au moment où l’Agente Galliford a réveillé tous ces souvenirs en nous, certains membres de la famille ont demandé de ne pas être contactés directement par qui que ce soit au sujet de l’attentat. Le rappel de la fin brutale qu’avait connu Rachelle, le fait qu’on lui avait dérobé sa vie, l’atrocité et la douleur, tout revenait en lumière.

Les arrestations et le dépôt des accusations contre trois individus ont eu lieu quelques jours plus tard, les événements se sont alors précipités, sans vidéoconférence. Il y a eu par la suite, toutefois, un certain nombre de rencontres destinées aux familles des victimes, organisées par la GRC et le Bureau du Procureur général de la Colombie-Britannique. Encore une fois, dans notre pays aux deux langues officielles, toute l’information était disponible pour nous dans l’autre langue officielle. J’en parle ici afin d’illustrer les obstacles que nous avons rencontrés. Une employée bilingue du Bureau du Procureur général, toutefois, a pris la peine de téléphoner régulièrement chez les parents de Rachelle dans le but de s’assurer qu’ils comprenaient tous les renseignements disponibles.

J’ai pris part à presque toutes les rencontres à compter de ce jour, et Maurice m’y a accompagné au moins cinq fois. Chacune de ces réunions était empreinte d’émotions de la part de tous les participants. La GRC et le Bureau du Procureur général tentaient de tout mettre en oeuvre afin de rétablir et maintenir les communications avec les familles. Ils avaient recruté des personnes dévouées, sensibles, compatissantes, organisées et efficaces pour faire le lien avec les familles. Ce lien avait cruellement fait défaut pendant de trop nombreuses années.

Plusieurs participants à ces rencontres étaient désabusés et sans espoir face aux procédures qui se mettaient en branle, et devant la lenteur avec laquelle l’enquête avait progressé. Puis, le groupe s’est amenuisé, nous étions de moins en moins nombreux à assister à ces rencontres. Nous n’étions plus que deux familles représentées à rencontrer la GRC et les Services de renseignements canadiens, à la suite du verdict de non-culpabilité de mars 2005.

Durant tout le procès, les membres des familles ont eu droit à une foule de renseignements et au compte-rendu des comparutions grâce à un site Internet sécurisé, avec versions imprimées de ces pages Web, ainsi qu’à de multiples rencontres. Le Bureau du Procureur général avait aussi prévu de couvrir les frais d’un séjour à deux membres de chaque famille durant une semaine afin qu’ils puissent assister au procès à Vancouver. Après que tous les autres membres de la famille aient décliné l’invitation, je m’y suis rendu seule. Vous comprendrez que la mort de Rachelle dans de pareilles circonstances a suscité des craintes et de fortes appréhensions à l’endroit des voyages en avion chez certains membres de la famille. Qui peut les en blâmer? Ils sont aussi craintifs envers les représentants les plus visibles de la culture indienne.

Dans les bureaux du Procureur général, une salle était réservée aux familles. Le personnel était très patient et immensément attentionné à notre endroit. Au moment où j’ai aperçu la mosaïque de photos des victimes sur le mur du coin de recueillement, j’ai soudainement imaginé tous ces gens souriants qui étaient montés à bord avec la joie au coeur. J’ai réalisé à ce moment-là jusqu’à quel point notre famille ne pouvait être seule dans la douleur. J’ai vu l’atrocité de familles entières décimées, et la perte impardonnable de tant d’enfants.

Par ailleurs, lors du trajet du retour entre mon hôtel et l’aéroport, je me suis fait enguirlander par un chauffeur de taxi sikh qui m’avait prise pour une représentante du Bureau du Procureur général (qui réglait les frais de ma course). Celui-ci s’offusquait à ce qu’un jeune ressortissant indien en attente de sa citoyenneté canadienne, ayant été reconnu coupable d’une infraction sérieuse quelques jours plus tôt, soit retourné en Inde sans pardon. Il gesticulait et haussait le ton. Je n’ai rien dit, je ne connaissais pas l’individu ni ses limites. Pour lui, je n’avais pas le profil d’une représentante type de victime du vol 182 d’Air India. Il n’était pas le premier et ne sera pas le dernier à faire cette erreur. Quelques jours plus tôt, lors d’une pause durant le procès, une femme qui était avec le groupe des proches des accusés a tenté de m’intimider en claquant violemment chaque porte de la salle de toilettes alors que j’y étais; elle aussi devait me prendre pour une employée du Procureur général, puisque j’étais de race blanche. J’avais réussi à croiser le regard d’un des accusés lors de son entrée dans la salle. J’essayais de trouver le pourquoi d’un tel massacre. Il m’a simplement paru surpris de me voir parmi le groupe des familles.

La méprise vient de l’image qui a été présentée des victimes du vol 182 d’Air India que tous ont contribué à véhiculer, de l’ignorance, de l’indifférence, de l’apathie et même du racisme à tous les niveaux. Si je peux me permettre de vous expliquer comment nous vivons cette situation, à chaque fois qu’il est question de notre lien avec cette tragédie, nous, les Franco-ontariens, blancs et catholiques, nous devons nous justifier :

-Rachelle était-elle indienne? Non.

-Alors, elle était mariée à un Indien? Non.

-Mais alors, que faisait-elle dans un avion d’Air India? Les passagers des lignes aériennes ne sont pas déterminés par les races; pensez à Swiss Air, ou Japan Air Lines.

-Mais, je croyais qu’il n’y avait que des Indiens à bord de cet avion, et pas de Canadiens? Il y avait 280 Canadiens à bord, dont plusieurs étaient de descendance indienne, et 59 d’autres nationalités.

-Et si elle était francophone, c’est qu’elle résidait ou était originaire du Québec, alors? Non, c’était une Franco-ontarienne, née dans l’Est ontarien, et qui demeurait à Ottawa.

Et la plus récente qui démontre à quel point notre société est fermée aux autres cultures, que j’ai entendu moi-même de la part d’un représentant des médias qui tentait d’expliquer son apathie devant ce dossier : -‘Excusez-moi, j’ignorais qu’il y avait des blancs à bord’…

Même si les recommandations de la Commission n’y pourront rien, vous constaterez avec moi qu’il y a beaucoup de progrès à réaliser du point de vue de la considération offerte aux ethnies dans notre société canadienne.

Peut-être faut-il revoir ce qui nous porte à penser que les différences de races visibles peuvent créer le sentiment que leurs représentants n’appartiennent pas réellement au même pays que nous. Et mon commentaire touche autant les agents de police qui ont de la difficulté à faire la filature des individus d’une autre race, comme on l’a raconté lors du procès. Les personnages qui ont peuplé les émissions de télé de mon enfance et de mon adolescence offraient une image plutôt caricaturale de quiconque était de race indienne ou portait un turban : Michel le Magicien de la Boîte à surprise, Sadu Bedisha du Grenier, le fakir Yvon Yva, tous personnifiés par des blancs aux manières fortement stéréotypées. Ils étaient différents et ils faisaient partie « des autres », et dans nos quartiers homogènes et blancs, nous n’y étions confrontés que rarement. Les gens de minorités visibles illustraient le fascicule sur comment se brosser les dents, et demeuraient des « gens d’ailleurs ».

Et c’était la même chose pour ce qui était de la violence et du terrorisme. Nous étions en sécurité dans un pays de paix. Oh, il y a bien eu les événements d’octobre 1970 au Québec, qui avait fait un mort. Face à cette crise de terrorisme, le gouvernement avait demandé l’intervention des Forces armées canadienne pour patrouiller dans les rues de nos villes. On n’avait pas lésiné sur les moyens. Mais, c’était maintenant chose du passé. Les problèmes, c’était dans les autres pays. Dans notre cas, la réalité nous a rattrapés le 23 juin 1985, avec 331 victimes. Et cette fois-ci, il n’y a pas eu d’intervention, ni musclée, ni autre. Nous sommes passés d’un extrême à l’autre. Que faudrait-il pour que la réponse se situe au juste milieu?

L’indifférence (ou l’ignorance) ont établi la norme depuis 21 ans face à cet attentat terroriste issu du sol canadien. On n’a jamais voulu le reconnaître comme tel : un attentat terroriste. Par association d’idées, le mot d’ordre qui semblait être véhiculé par les autorités canadiennes et les propos des gouvernements qui se sont succédé au pays, laissaient croire que la question ne touchait pas le Canada, que les passagers étaient de nationalité indienne, de religion sikh ou hindoue, et que l’enquête devait être menée par quelqu’un d’autre, parce que l’avion avait explosé au-dessus des eaux internationales près de l’Irlande. Les médias ont emboîté le pas, du moins dans l’Est du pays, et la population s’en est trouvée rassurée : Le Canada était exempt de terroristes.

L’exclusion, pour nous, s’est également fait sentir au sein même des familles des victimes. C’est comme si tous ceux qui ne correspondaient pas au portrait type du passager de cette envolée devaient être exclus de la transmission des informations, des manifestations et des regroupements. Pour nous, de race blanche, étant francophones de l’Ontario, et catholiques, il était impossible de satisfaire ces prérequis (devenir tout à coup une famille d’origine indienne, de religion sikh ou hindoue). Si des renseignements destinés aux familles étaient communiqués à certains membres des familles, le message ne nous est pas toujours parvenu. Je vous donne en exemple les rassemblements commémoratifs, où aucune prière ou intention n’est habituellement prévue pour les francophones ou les catholiques. Nous devenons tout à coup la minorité visible au sein d’une minorité visible, l’ethnie qui devrait se conformer et adapter ses coutumes au reste du groupe. Et pourtant, nous représentons réellement une des 329 victimes. Je tiens à vous rassurer ici, car les difficultés à communiquer tendent de plus en plus à s’aplanir; il existe beaucoup plus d’ouverture dans le groupe, surtout depuis l’an dernier.

Alors, en même temps que le procès avait lieu, la production d’un livre souvenir retraçant le profil de plusieurs des victimes était destinée à nous aider à apaiser notre douleur. Cette initiative imprégnée de respect et de compassion était financée par le Bureau du Procureur général de la Colombie-Britannique. Le résultat est à la fois touchant, et poignant, mais soulève à nouveau les passions contre ces meurtres gratuits. Écrire, pour ce livre, la biographie de Rachelle près de 20 ans après sa disparition a été pour moi un exercice particulièrement difficile; je ne voulais rien oublier, je tenais à ce qu’on puisse la reconnaître. Dans la production de cet album, le comité de bénévoles a respecté ma demande de placer dans l’ordre la version originale de sa biographie en français avant la traduction du document en anglais, par respect pour les membres de sa famille. On nous a aussi fait parvenir une photo de l’océan, vue du site du monument commémoratif d’Ahakista, le site le plus près de l’endroit où Rachelle a péri. Regarder cette photo, c’est un peu comme se rapprocher d’elle.

Durant ce temps, les représentants du Bureau du Procureur général et de la GRC avaient commencé à vouloir minimiser les dégâts au fil des rencontres régionales avec les familles; s’ils s’étaient montrés assurés de condamner des coupables lors des premières rencontres, les propos devenaient maintenant plus nuancés. Certains témoins importants avaient été intimidés et n’ont pas osé parler, d’autres ont été tués à leur tour à la façon de règlements de comptes du crime organisé. En approchant du verdict, on commençait à laisser entendre la possibilité de n’avoir qu’un seul coupable.

Au lendemain du jugement, les grands quotidiens anglophones ont fait leur page frontispice avec les noms des 329 victimes; les journalistes qui ont suivi le procès ne comprenaient rien aux raisons évoquées pour expliquer ce verdict. Lequel des politiciens fédéraux a déclaré sur les ondes d’une station de radio d’Ottawa « People are sick and tired of Air India »? En fait, je ne veux même plus le savoir!

Nous étions dégoûtés plus que jamais du traitement que nous venions de recevoir de la justice canadienne. C’était envoyer un message clair aux groupes de terroristes : que le Canada n’est pas en mesure de sévir contre des crimes semblables perpétrés dans notre pays. Le procès aura été un écran de fumée destiné à faire taire les membres des familles des victimes qui réclament justice depuis 21 ans. Et la justice dont je parle ici n’est pas seulement celle de trouver et punir des coupables, c’est aussi celle d’avoir un système légal et judiciaire approprié pour faire face à toute éventualité.

Au cours des semaines qui ont suivi, comme un baume sur mes plaies, j’ai découvert l’existence d’une association formée des familles des victimes qui était sur pied depuis les premiers jours. Je l’ignorais jusqu’à ce jour. Puisque les procédures judiciaires avaient pris fin, cette association a pris le relais par défaut du système de courriel mis sur pied par le Bureau du Procureur général afin de nous informer. Le système auquel je fais référence était parmi les plus efficaces, mais devait cesser ses opérations en raison du verdict de non-culpabilité, créant un grand vide, malgré les besoins pressants que nous éprouvions tous d’en savoir davantage sur ce qui allait arriver. Ce sont des personnes bénévoles très dévouées qui ont pris la relève. Nous échangeons dans une langue commune à la plupart de nous : l’anglais.

Le procès aura été long et très coûteux au gouvernement de la Colombie-Britannique. Comment dénoncer le fait que des témoins importants ont été assassinés eux aussi avant de comparaître ou réduits au silence grâce à l’intimidation? Que les témoins qui ont osé parler doivent maintenant renoncer à leur vie calme et paisible d’avant, ne plus revoir leurs parents et leurs amis, et soient forcés à changer d’identité et à s’isoler dans d’autres localités? Que la justice représentée par un seul homme ne les ait pas crus, eux, mais qu’il ait donné foi à des témoins qu’il a lui-même reconnu être des filous?

Au lendemain de cette aberration, les médias de l’Est du pays n’ont pas insisté; on avait trouvé d’autres manchettes qui intéresseraient davantage leur auditoire (rappelez-vous, on croyait encore que les passagers ne comptaient ni Canadiens ni personnes de race blanche ni francophones, et que le terrorisme aérien en Amérique du Nord avait commencé avec le 11 septembre 2001). Et voilà, c’en était fait de la justice. Nous étions à nouveau seuls devant un verdict qui ajoutait l’insulte à l’injure.

Où est donc cette loi contre le terrorisme au Canada? Qu’offre-t-elle de plus que ce que nous avions avant sa proclamation? Qui s’est assuré de protéger le juge et les membres de sa famille contre l’intimidation lorsque celui-ci a dû s’absenter pour se rendre aux funérailles de son frère? Qui a remarqué que le ton du juge avait déjà avait changé à son retour durant la dernière portion du procès? Et notre système actuel de lois ne prévoit-il pas des sanctions contre les menaces et l’intimidation? Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu davantage d’accusations découlant de ce procès? Ce sont toutes des questions auxquelles nous ne trouvons pas de réponses.

Un seul des trois accusés avait plaidé coupable pour la fabrication de la bombe et il a écopé de cinq ans de prison. Cinq ans! S’il ignorait à quoi devait servir la bombe, comme il l’a prétendu, pouvons-nous au moins convenir dans notre société qu’une bombe, c’est une arme de destruction massive? Si la loi canadienne ne permettait pas plus de cinq ans d’incarcération dans son cas (parce qu’il en avait déjà purgé plusieurs pour d’autres chefs d’accusation), est-ce que c’était la Loi contre le terrorisme qui préconise ce calcul discutable? Nous avions été outrés par ce premier verdict, la non-culpabilité allait nous écoeurer d’un système de justice aux interprétations douteuses et de toutes les tractations qui les entourent.

Et rapidement, le bureau de la ministre de la Sécurité publique s’est mis en œuvre. Celle-ci a demandé à rencontrer les membres des familles. L’association des familles des victimes réclamait la tenue d’une enquête publique depuis le début dans toute cette affaire, et redoublait ses efforts suite au verdict. Sans la détermination et la persévérance de l’association, nous n’aurions pas, aujourd’hui, la possibilité de revoir l’approche canadienne face à un tel désastre. Nous sommes d’ailleurs très reconnaissants à l’endroit de l’association. Mais en mars dernier, le gouvernement nous donnait comme message : « Mais que peuvent-ils donc vouloir de plus? Ils viennent d’avoir un méga procès sur cette tragédie! » C’était bien là, la méprise : la tragédie était celle du 23 juin 1985, mais elle était aussi la tragédie des années de cafouillage qui ont précédé et suivi l’attentat!

Alors le ministère de la Sécurité publique a pressé les membres des familles de l’Est du pays de se rendre à Toronto, avec frais de transport et de séjour payés. Vite, vite, il fallait s’y rendre, que vous soyez disponibles ou non. Le jour de la rencontre, immédiatement après m’avoir personnellement assuré de donner suite à notre demande d’enquête publique sur l’attentat, sur l’enquête qui a suivi, et maintenant sur le procès, la ministre a rapidement repris un avion vers Ottawa. Aussitôt arrivée à la Chambre des communes, elle s’est inscrite contre la tenue d’une enquête publique! Et je l’ai vue voter en direct à la télévision. Qui donc pouvions-nous maintenant croire? Combien de nouveaux affronts fallait-il encaisser?

Dans les jours qui ont suivi, la ministre a nommé Bob Rae et une firme d’avocats privée pour mener une enquête auprès des membres des familles afin d’identifier ce qui pourrait justifier une enquête, et sur le type d’enquête il fallait mener. On allait recommencer la rencontre avec les familles. Une autre équipe de nouveaux venus dans le dossier se mettait à la tâche, redoublant de pression auprès des membres des familles pour qu’ils se rendent à des rencontres, avec de très courts préavis. Tel a été le cas pour la rencontre où M. Rae devait entendre les familles de la région de Toronto. Encore une fois, les organisateurs ont insisté pour que les membres de notre famille soient présents; on nous disait qu’il y avait de fortes possibilités que le Premier ministre soit présent. À un certain moment, j’ai senti qu’il était essentiel d’informer la représentante du bureau de M. Rae que les membres des familles n’étaient pas des criminels à traiter comme un troupeau et qu’il vaudrait mieux s’adresser à ces personnes en respectant leur douleur.

Ghislain Castonguay, le premier neveu de Rachelle, qui vit dans la région de Toronto, a assisté à la réunion au nom de la famille et a été entendre M. Rae et le Premier ministre Paul Martin.

À compter de cette date, la rumeur s’est intensifiée à voulant que le gouvernement canadien défraie une partie du voyage à deux personnes par famille qui désiraient se rendre en Irlande pour les célébrations du 20e anniversaire de la tragédie. Pour la troisième fois en moins de deux mois, il fallait se presser à prendre la décision, donner les noms immédiatement de ceux qui s’y rendraient. Sensiblement pour les mêmes raisons que celles évoquées pour se rendre à Vancouver lors du procès, je m’y suis rendue seule. Cependant, ce geste du gouvernement à l’égard des familles, qui rendait le voyage possible, a été hautement apprécié; il m’a permis de réaliser un souhait qui m’était cher.

Toutefois durant les semaines précédant le départ, il demeurait très difficile d’obtenir quelques renseignements que ce soit sur le déroulement de ces trois jours de célébration, ni sur les cérémonies protocolaires, ni sur les endroits, ni sur le mode de transport préconisé sur place. Pour quelques familles, ce pèlerinage s’effectue chaque année. Dans mon cas, c’était mon premier séjour en Irlande. Lorsque je demandais des renseignements aux responsables du ministère de la Sécurité publique, on me disait : « Tous les renseignements destinés aux familles ont été remis au représentant des familles, et celui-ci nous assure que tous ont été contactés…» C’est une autre occasion où les familles qui n’étaient pas de descendance indienne étaient exclues du circuit d’information. Comme j’étais de race blanche, on ne croyait tout simplement pas devoir m’informer de l’horaire des célébrations et de ce qui s’offrait aux familles.

Finalement, après maintes réclamations, ce sont les employées du Bureau du Procureur général de Colombie-Britannique qui ont repris du service afin d’informer les familles sur le cérémonial prévu, les distances à parcourir, et qui a fait noliser un autobus en Irlande afin de combler le besoin en transport entre les localités. À toutes ces dames, je dois un immense merci.

C’est à cette même époque, au mois de mai, que nous avons reçu la nouvelle qu’aux termes de la loi, la Couronne ne pouvait en appeler du verdict de non-culpabilité. Nous vivions une autre déception amère.

Alors, afin de tirer le maximum des tarifs aériens, il a fallu allonger la durée de mon voyage en Irlande de trois jours, et ajouter à mes frais de séjour. Pour ma part, il me fallait revenir dès le lendemain de la cérémonie à Ahakista afin d’assister au mariage d’une nièce de Rachelle, Annie, la preuve que la vie poursuit son cours malgré tout.

Puisque j’allais voyager sans d’autres membres de la famille, j’ai décidé de les apporter, à ma façon, surtout par égard pour sa mère, Dolorès. Le ruban rose orné de fine dentelle faite à la main que je porte depuis ce jour lorsque je me rends aux rencontres officielles a été confectionné par Dolorès. Rachelle, sa fille aînée, était pour elle l’enfant avec laquelle elle a appris son métier de mère. On reste toujours plus près de son premier enfant.

Au moment du voyage, le 23 juin, nous avons été privilégiés de la présence des chefs des grands partis politiques canadiens, en plus de celle du Premier ministre. Une horde de caméras de télévision et d’appareils photo suivait les politiciens, si bien qu’on a demandé aux familles de se tasser sur le gazon froid et mouillé par la pluie du matin, afin de ne pas nuire au cadre des retransmissions télévisuelles. On nous a aussi avisés de limiter le nombre de couronnes de fleurs, ce qui devait laisser plus d’espace aux couronnes officielles, et de les déposer avant ou après les cérémonies.

Plus d’une dizaine de dénominations religieuses ont présenté une prière ou un chant qui leur était propre; le prêtre catholique invité a dit une prière œcuménique neutre, en anglais. Une représentante de famille catholique et francophone, n’y tenant plus, a improvisé le Notre Père, en anglais, j’y ai répondu en français pour moi-même, isolée dans la foule. Les nôtres (catholiques) avaient droit à autant d’égards que les autres victimes de cette tragédie!

Après un bain de foule des politiciens canadiens, ceux-ci ont rapidement pris le chemin du retour, puisqu’en fin de journée, ils devaient voter sur le budget fédéral à la Chambre des communes, au Canada. Le matin même à Ottawa, on avait proclamé la journée de l’anniversaire comme la Journée nationale contre le terrorisme.

Ce voyage allait aussi me confronter à une surprise particulièrement angoissante. J’ai eu plusieurs échanges et conversations avec d’autres membres des familles qui s’étaient rendus sur place vingt ans auparavant afin d’identifier un être cher, ainsi qu’avec les bénévoles qui ont vécu cette catastrophe au quotidien pendant plusieurs jours. Il en est ressorti que des membres des familles présentes sont allés jusqu’à se battre entre elles afin de récupérer une des dépouilles, certains en sont venus aux coups et ont dû être séparés par les agents de sécurité de l’hôpital de Cork qui servait de morgue. L’unique exemplaire de certaines radiographies dentaires a été égaré durant le voyage en Irlande. Une famille de descendance indienne réclamait le corps d’une femme blanche. On m’a aussi raconté l’histoire d’un père qui a réussi à récupérer le corps de sa fille alors qu’elle allait se faire enterrer comme le petit garçon d’une autre famille, simplement en faisant remarquer que sa fille avait les oreilles percées. Le corps de Rachelle n’a jamais été retrouvé; les autorités nous ont recommandé de ne pas nous rendre sur place en 1985. Il n’en fallait pas moins pour que le doute s’installe en moi, à ce point-ci, nous n’en étions plus à un revers près… Rachelle aurait pu être réclamée par quelqu’un d’autre et être enterrée ailleurs sous un autre nom…

J’ai tenté d’aller consulter l’enquête du Coroner sur place au Palais de justice de Cork. On m’a recommandé de faire une demande par écrit. À mon retour, j’allais faire une demande d’une copie du document, qu’on m’avait assuré pouvoir obtenir gratuitement. J’ai demandé en particulier de voir la section portant sur la façon dont l’identification des corps avait été faite, de voir les figures des femmes retrouvées, et j’en ai profité pour demander copie des interventions du procureur qui représentait le Canada à l’enquête. Après une correspondance infructueuse, j’attends toujours la réponse de l’Ambassade canadienne vers qui le bureau du Coroner a préféré se tourner. Toutefois, en mai cette année, grâce à l’intervention de représentants de la GRC, on m’a démontré que les identifications avaient été bien réalisées, ce qui a été un soulagement pour nous. Pour ce qui est de l’intervention du procureur canadien, si la Commission aborde la question au cours de ses travaux, je n’en aurai plus besoin.

De retour dans l’Est ontarien après mon voyage en Irlande, j’attendais la rencontre prévue avec M. Rae dans la région d’Ottawa. Comme je n’étais pas disponible au mois d’août pour la rencontre collective, j’ai dû négocier afin de voir M. Rae seule, au début d’octobre. Finalement, ce contretemps m’a permis de lui faire part du malaise que nous éprouvions à nous exprimer au cours des grands rassemblements, face aux différences culturelles, religieuses et linguistiques. C’était la première fois que j’osais en parler. M. Rae allait en tenir compte dans son rapport. La rencontre s’est déroulée entièrement en français.

La journaliste du Vancouver Sun, Kim Bolan, s’est rendue à Ottawa quelques semaines plus tard afin de lancer son livre sur l’affaire Air India et le procès qui s’en est suivi. Organisé par une librairie d’Ottawa, aucun média de la région n’était présent au lancement, les médias francophones n’ont pas été avisés. Nous étions cinq représentants des familles à rencontrer Mme Bolan. La tension était forte dans la salle, en raison de l’intimidation faite à l’endroit de Mme Bolan par le groupe visé dans son livre.

Mme Bolan a toutefois fait remarquer que si nous devions être des citoyens canadiens pour avoir le droit de voter, la loi ne l’exigeait pas pour autant des membres des partis politiques. De plus, les partis politiques qui mènent successivement nos gouvernements ne remettent pas nécessairement en question l’origine des contributions monétaires qui sont versées dans leur coffre. C’est une question importante sur laquelle nous avions cru que la Commission devrait se pencher dans le contexte de l’attentat, du point de vue de l’influence et des pressions auprès des autorités gouvernementales dans le but de reléguer l’Affaire Air India aux oubliettes.

À suivre demain…

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Le témoignage d’une famille éprouvée (1)

La présentation de Monique Castonguay devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006, est aussi un témoignage à la première personne de ce qu’a vécu sa famille entière en lendemain de ce terrible acte de terrorisme. Je tenais à partager ce témoignage avec mes lecteurs et à le consigner sur le Web dans mon blogue. Comme je l’écrivais hier, il n’y a pas eu d’autres événements du genre qui ont touché des communautés de Prescott-Russell d’une telle façon. Voici la première de trois parties :

Monsieur le Commissaire,

Merci d’avoir accepté la responsabilité de mener à bien une enquête publique de cette importance. Nous, de la famille de Rachelle Castonguay, espérons que cette Commission puisse aller au fond des choses qui ont entouré l’attentat contre le vol 182 d’Air India, le 23 juin 1985. Cette Commission d’enquête jettera la lumière sur les non-dits et sur ce qu’on aura évité de dire aux membres des familles éprouvées par cet acte de terrorisme aérien. Car c’est bien d’un acte de terrorisme dont il est question, le plus meurtrier qu’ait connu le Canada, et ce, avant que ne surviennent les événements du 11 septembre 2001 à New York.

Depuis 21 ans, les démarches entourant la tragédie d’Air India restent énigmatiques et nébuleuses. Les renseignements qui parviennent aux familles des victimes de sources officielles et non officielles indiquent que cet acte de terrorisme aurait pu être évité, c’est-à-dire, qu’on a laissé monter 329 personnes à bord du vol 182 par manque de conscience, par manque de jugement et par négligence. Rachelle Castonguay était de ce nombre, et je parlerai aujourd’hui au nom de sa famille et de ses proches.

Nous avons de grandes attentes à l’endroit de cette enquête publique. Nous savons très bien que rien ni personne ne réussira à ramener Rachelle à la vie; elle repose au fond de l’océan Atlantique, parmi ceux et celles dont le corps n’a jamais été retrouvé. Cependant, il faut que des changements aux lois et réglementations soient apportés afin d’éviter qu’un désastre semblable ne survienne à nouveau, ici, au Canada. Il faut que les agents représentant la loi et l’ordre soient plus conscients des préoccupations des groupes de pression, ainsi que des expériences de vie des immigrants en provenance de pays où la destruction et la violence se conjuguent au quotidien. Je tenterai de relever ces points tout au long de ma présentation. Cette participation a pour but de contribuer à l’analyse constructive des événements des 22 dernières années.

Mon nom est Monique Montpetit Castonguay, je suis mariée à Maurice Castonguay, le frère de Rachelle. Notre fils avait 7 mois et demi lors de la disparition de Rachelle. Je suis née à St-Polycarpe (au Québec), j’ai grandi à Salaberry-de-Valleyfield, et j’habite Casselman (en Ontario) depuis l’âge de 16 ans. Je suis agente de communications au gouvernement fédéral, à Ottawa.

À mes yeux, aucune cause, aucune raison, aucune mission ne peuvent justifier le meurtre gratuit de Rachelle Castonguay. Elle était ma belle-sœur. Résidente d’Ottawa, née à St-Isidore-de-Prescott (en Ontario), Rachelle était une femme brillante de 32 ans, promise à un excellent avenir. Son travail consistait à mener des études sociales des populations dans certains secteurs géographiques pour le compte du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien; elle détenait d’ailleurs une maîtrise de l’Université d’Ottawa dans ce domaine. Elle avait d’ailleurs réalisé plusieurs études sur les populations autochtones du Canada, notamment les bandes amérindiennes Métis et Déné. Rachelle était célibataire, sans enfants et vivait seule.

En retour, Rachelle était entourée de ses deux parents, Hervé et Dolorès, elle était l’aînée de quatre frères et de deux soeurs, Louis, Maurice, Denise, Robert, André et Julie. Elle était la tante quatre neveux et nièces, et avait de trois de ses grands-parents. Au moment de son décès, elle ne comptait pas moins de 34 oncles et tantes ainsi que plus de 75 cousins et cousines. Vous pouvez ajouter à son environnement d’innombrables amis, des collègues de travail, des confrères et consœurs de classe et d’université. Tous ces gens sont issus majoritairement de l’Est ontarien et l’Outaouais québécois, mais certains sont aussi dispersés dans les quatre coins du pays ainsi qu’à l’étranger. Toutes ces personnes ont été directement touchées par la mort violente de Rachelle.

Rachelle pouvait être sérieuse et dédiée à son travail lorsque le contexte l’exigeait, mais avant tout, elle respirait la joie de vivre. Elle trouvait toujours du temps pour chacun de nous, malgré un emploi du temps toujours bien rempli.

Alors, avec un groupe d’amis, Rachelle avait entrepris d’aller visiter l’Inde, mais en choisissant cette fois-ci une approche différente du circuit touristique habituel, ce que leur offrait l’agence de voyage World Adventure Tours. Elle partait avec ce petit groupe de francophones dans le but de s’imprégner de la culture indienne durant deux semaines; elle prévoyait même y faire de l’escalade dans les montagnes de l’Himalaya.

Par ailleurs, elle avait fait ajouter une semaine à son voyage en Inde dans le but de recueillir des données qui lui serviraient à étoffer la thèse de doctorat en géographie sociale qu’elle préparait.

Rachelle voyageait souvent. Mon mari et moi pensions à tort que la date de son départ était fixée plus tard dans l’été. Nous ne l’avions pas revue depuis plusieurs semaines. Alors, le coup de fil de l’avant-midi du dimanche 23 juin a résonné comme un rappel à l’ordre. Au bout du fil, son frère Louis (emporté par le cancer depuis) m’a dit promptement : « Passe-moi Maurice! » Maurice, je me souviens, tondait le gazon. Je suis allé le chercher rapidement en lui confiant qu’il devait se passer quelque chose de sérieux puisque Louis n’avait pas pris le temps de blaguer, comme à son habitude.

La nouvelle est tombée au moment où Maurice a pris l’appareil; il a simplement répété, abasourdi, ce qu’il venait d’entendre : « L’avion de Rachelle a ‘crashé’!!?? » Déjà, il en était question dans certains bulletins de nouvelles à la radio. C’était un avion d’Air India en provenance du Canada qui avait explosé au-dessus de l’océan Atlantique. Des amis de Rachelle qui avaient retenu le numéro de son envolée avaient commencé à téléphoner à Denise. Denise était son contact principal; elle avait été la conduire la veille, à Mirabel avec une autre amie, Colette Allard, qui prenait le départ avec elle. Malheureusement, tous les détails donnés à la radio concordaient : la ligne aérienne, le numéro de l’envolée et l’heure du départ. Denise avait averti Louis avant de se rendre chez ses parents sur la ferme familiale à St-Isidore-de-Prescott. Louis, partenaire sur la ferme et voisin, devait les joindre après avoir informé Maurice, et son autre frère Robert, également partenaire sur la ferme et voisin de ses parents. André et Julie demeuraient encore chez leurs parents à cette époque.

Un sentiment de panique nous envahissait. « Aucun survivant » répétait la radio.

Personne ne sait exactement quoi faire dans de pareilles circonstances. Qui devait agir et comment? En même temps, malgré nous, on l’imaginait en chute libre, on partageait sa peur et la terreur de ses derniers instants.

Tentant de joindre la ligne aérienne en espérant qu’il y ait erreur quelque part dans les renseignements donnés dans les bulletins de nouvelles, ou que Rachelle ait pu être retenue à terre pour quelque raison que ce soit, nous étions face à un mur. À ce moment, peu de renseignements étaient disponibles aux membres des familles, et à peine plus aux médias. La compagnie, toutefois, prenait les noms et les numéros des personnes qui réclamaient des passagers afin de dresser une liste préliminaire. R. Castonguay. C’était tout ce qui identifiait Rachelle dans le registre de la compagnie. L’ère des ordinateurs en étaient seulement à ses premières heures.

Maurice et moi sommes restés à la maison, en attente de nouveaux développements. Nous en savions bien peu. Denise nous a appris par téléphone que la veille, l’avion avait été retardé à Toronto. Durant ce délai, ensemble à Mirabel, tout le monde avait fait des blagues quant à un éventuel détournement d’avion – rappelez-vous, le détournement d’avion était la méthode préférée des terroristes aériens en 1985, ils s’en tenaient uniquement à menacer de tout faire sauter afin d’attirer l’attention publique et de se rendre à une autre destination.

J’étais encore journaliste ce jour-là; j’avais à peine donné ma démission, la semaine précédente, et il me restait une semaine de travail auprès de l’hebdomadaire Le Carillon de Hawkesbury. Le téléphone était encore le meilleur outil de communication en 1985. J’ai tenté d’en savoir davantage en utilisant le numéro réservé aux médias pour joindre le bureau d’Air India à New York. On situait l’explosion au-dessus de l’Atlantique, près des côtes d’Irlande, mais on en ignorait la cause. Les équipes de secours procédaient au repêchage des corps des victimes, avec peu de probabilités de survivants, mais on nous spécifiait que le secteur était exempt de requins (une information qui s’est révélée fausse par la suite, et qui a fait très mal aux membres des familles éprouvées).

Malgré un dimanche au ciel ensoleillé, le service téléphonique menant à la maison de la ferme familiale est tombé en panne tout le reste de la journée. Les membres de la famille sur la ferme avaient l’option de se rendre chez un voisin plus éloigné pour téléphoner, ou de se rendre chez nous, au village de Casselman, ce que les parents de Rachelle ont décidé de faire. Denise et son mari Michel n’ont pas tardé à se joindre à nous. Les autres membres de la famille étaient restés sur place pour assurer les travaux sur la ferme.

C’est à ce moment que la compagnie aérienne a rappelé pour confirmer la présence de Rachelle à bord de l’appareil qui s’était abîmé. En retour, la compagnie nous a demandé le nom de la ou des personnes qui seraient disposées à se rendre en Irlande le soir même ou le lendemain matin, afin d’aller identifier les victimes repêchées dans la mer et de rapatrier les corps. Il fallait décider vite. Hervé et Dolorès ne pouvaient pas s’absenter de la ferme pour une aussi longue période et ils étaient moins familiers avec le transport aérien. Après de courtes discussions, Denise s’est portée volontaire à la condition de ne pas s’y rendre seule. Celle-ci disposait de renseignements susceptibles de faciliter l’identification, y compris la description des vêtements que portait Rachelle à son départ. Son mari et Maurice ont convenu de l’accompagner. Toutefois, ils devraient attendre au lendemain matin afin d’obtenir un passeport en règle pour voyager outre-mer.

Le ministère des Affaires étrangères allait rouvrir exceptionnellement leur bureau d’émission de passeports de Hull, au Québec, un 24 juin, journée fériée de la St-Jean-Baptiste, afin de traiter les demandes de passeport des familles éprouvées. Cependant, Maurice et Denise n’avaient pas l’acte de naissance requis et ils devaient obtenir un baptistère de la paroisse de St-Isidore-de-Prescott comme pièce d’identification principale. Pour comble, le curé était exceptionnellement en vacances. Afin de solutionner cette nouvelle impasse, nous avons demandé l’intervention d’un ancien curé de St-Isidore et ami de la famille qui était évêque auxiliaire à l’Archevêché d’Ottawa, Mgr Gilles Bélisle. Finalement, le sacristain de la paroisse a publié en soirée les documents officiels en suivant les instructions prescrites par le responsable de l’Archevêché. Le lendemain, Maurice, Denise et Michel ont dû se rendre à Hull dès 8 heures, revenir à Ottawa afin de faire prendre une photo de passeport, retourner à Hull, et revenir à Ottawa pour faire authentifier leurs photo et demande, avant de retourner pour une troisième fois à Hull et obtenir leur passeport.

Ils ont ensuite pris la route de Montréal, où ils devaient tout d’abord rencontrer les responsables d’Air India dans un bureau du centre-ville; ils étaient censés partir pour l’Irlande immédiatement après cette réunion. Dans la salle avec les autres familles, les responsables ont indiqué qu’un seul représentant par famille était autorisé à se rendre sur place, en raison d’une trop grande affluence de visiteurs à Cork, en Irlande. Le départ se ferait le surlendemain. Donc toutes les personnes qui avaient fait le déplacement vers Montréal ont dû rebrousser chemin et attendre.

Maurice est devenu le représentant de la famille qui devait se rendre en Irlande à ce moment-là. Il est retourné le mercredi matin, seul, au bureau d’Air India à Montréal, convaincu de se rendre en Irlande, mais encore une fois, on a reporté son départ. On lui a recommandé de rester au Canada. C’est que de moins en moins de victimes étaient repêchées, et on l’aviserait si un corps correspondant à la description de Rachelle était retrouvé. En début de semaine, son dentiste, qui était aussi un des amis de Rachelle, était venu de lui-même porter à la maison ses radiographies dentaires afin de faciliter son identification, le cas échéant. Les documents ont été remis le mercredi aux représentants d’Air India qui en faisaient la demande. Ceux-ci avaient aussi obtenu les empreintes digitales de Rachelle (probablement de son dossier de la Fonction publique).

Maurice s’est établi un bureau de travail au sous-sol de la maison pendant les jours qui ont suivi, attendant les appels et les développements. On lui a remis deux billets de la compagnie Air India dont il pourrait disposer au cours de la prochaine année qui lui permettraient de se rendre à la destination de son choix. Les billets sont restés inutilisés.

La gardienne de notre bébé s’acquittait d’une partie des messages téléphoniques en notre absence. De mon côté, j’étais retournée au journal compléter ma dernière semaine de travail là-bas. Autant le métier de journaliste peut parfois donner accès à des sources d’information hors d’atteinte du grand public et ouvrir des portes lorsqu’il s’agit d’entrer en communication avec les personnages les plus importants, autant je me suis sentie personnellement impuissante devant l’ampleur de la catastrophe. Le nombre de corps repêchés diminuait de jour en jour, et nous ne savions toujours pas ce qui avait mené à l’explosion de l’avion en plein vol. On commençait à en déduire que c’était une bombe.

Les médias d’information avaient diffusé les noms des victimes de la région dès le lendemain; c’est alors que des malfaiteurs ont commencé à cambrioler les demeures des victimes, tels des pilleurs de tombes. La Sûreté municipale d’Ottawa a invité la famille de Rachelle dès le mardi à vider l’appartement de son contenu dès que possible. Son père, Hervé, s’y est rendu le mardi soir avec son gendre Michel, afin de fouiller les papiers personnels de sa fille, à la recherche d’un quelconque testament et de factures à payer, comme le lui avait recommandé son avocat. Cette démarche a été pour lui une des plus éprouvantes, après le décès de sa fille aînée. Le lendemain, c’est donc dans ce pénible atmosphère que sa mère Dolorès, ses sœurs Denise et Julie, ses frères Louis et Maurice (à son retour de Montréal), ses belles-sœurs Lorraine et Lise, son beau-frère Michel, ainsi qu’une amie, Lise Thériault, ont dû empaqueter les effets personnels de Rachelle en vitesse afin de les ramener à la maison de ses parents. Des amis et des collègues de travail de Rachelle, ne croyant pas à ce qu’ils entendaient, ont été voir à son appartement au moment du déménagement de ses affaires, ou se sont rendus à son bureau pour constater de visu que Rachelle n’était plus là.

Suite à l’explosion, dès les premiers jours, plusieurs rencontres de prières et vigiles organisées par des membres des familles et des amis ont eu lieu dans la région d’Ottawa. Les différences culturelles entre notre famille et celles de la majorité des passagers (de descendance indienne) se sont précisées pour nous à compter de ce moment-là; nous constations à regret qu’il n’existait presque aucun repère auquel nous pouvions nous identifier au cours de ces rencontres qui puisse être franco-ontarien ou catholique, dans tout ce qui s’est mis en branle autour des événements du 23 juin. De plus, bien peu d’interventions et de messages officiels adressés aux familles se sont faits dans notre langue.

Un représentant de la Gendarmerie royale du Canada, le premier à communiquer avec la famille, a joint Maurice à la maison vers le 27 juin pour indiquer que toutes recherches en vue de retrouver d’autres victimes allaient bientôt cesser et qu’il fallait considérer ne jamais rapatrier le corps de Rachelle. On semblait être plus intéressés à récupérer des pièces de l’appareil, comme la boîte noire. Devant les faibles possibilités de ramener sa dépouille au pays, les parents de Rachelle ont fait célébrer un service funèbre commémoratif dans sa paroisse natale, à St-Isidore-de-Prescott. Le monument familial au cimetière porte maintenant l’inscription du nom de Rachelle, même si elle n’y repose pas physiquement. Le soir du service, je m’entends encore dire à une connaissance qu’à mes yeux l’auteur de cet attentat était ni plus ni moins qu’un tueur en série, que son crime était équivalent à avoir poignardé les 329 victimes une à une. C’était quelqu’un de lâche qui n’avait pas eu le cran d’aller jusqu’au bout et de revendiquer son méfait afin de s’en éviter les conséquences.

La photo la plus récente de Rachelle, celle qui a été la plus circulée, avait été prise la veille de son départ par un collègue de travail. Bien que sa photo ait été reproduite à plusieurs exemplaires pour ses parents et amis, il n’y a jamais eu de cartes mortuaires imprimées en son nom; c’était au-delà des forces de ses parents, atterrés par le chagrin.

Entre-temps, les médias ont continué de faire état qu’une bombe aurait été à l’origine de cette tragédie, mais aucun groupe n’a eu l’audace de revendiquer ce massacre. Puis plus rien. Silence. Néant. Plus rien ne transpire de l’enquête, ni des autorités, ni des médias qui étaient notre seule source de renseignements. Le gouvernement du Canada avait offert des condoléances aux familles des victimes dans une lettre officielle signée de la main du Premier ministre, en nous assurant de tout l’appui possible dont nous pourrions avoir besoin… Mais quelle aide gouvernementale exactement pouvait bien nous servir? Et d’autre part, quelle aide gouvernementale était donc disponible? Rien ni personne n’en faisait état. Nous étions tous ébranlés et fortement secoués par la tournure des événements, et laissés à nous-mêmes.

Comme toutes les familles des victimes, nous avons notre fierté et voulions conserver notre dignité; nous avons appris à redresser l’échine malgré l’adversité, et à nous débrouiller seuls.

Maurice s’est acquitté de faire fermer le dossier d’employée fédérale de Rachelle, ainsi que de toute la paperasse bureaucratique qui s’ensuivait. Un avocat embauché par Hervé, le père de Rachelle, effectuait les autres démarches légales d’usage dans le cas d’un décès outremer, et lorsque le corps de la victime n’est pas retrouvé. C’est le cas de la certification du décès; personne n’ose vraiment y croire jusqu’au moment où le document, le certificat de décès officiel, nous arrive sous les yeux.

De mon côté, mon nouvel emploi aura duré trois semaines; je me suis donc retrouvée à la recherche d’un emploi.

Puis l’enquête du Coroner de Cork en Irlande nous ramène quelques informations par la voie des médias. Le gouvernement canadien y est représenté et tout se déroule bien, selon la version officielle. La théorie de la bombe à bord est de plus en plus fondée. Nous apprendrons par la suite, par le biais d’un article d’un quotidien de Cork obtenu par un membre d’une autre famille des victimes, que l’avocat canadien a refusé de reconnaître cette théorie de bombe parce que la valise échouée après un séjour de trois semaines dans l’océan ne portait pas de trace d’explosif. Celui-ci a par la suite offert une argumentation flamboyante au Coroner quant à la juridiction de ses recommandations sur le gouvernement du Canada. Les quotidiens de Cork en Irlande en ont fait leur manchette, les médias du Canada n’en ont peu ou pas parlé. Les familles étaient tenues à l’écart de ces détails disgracieux, et rien n’a transparu dans la version officielle. J’ai retrouvé ces articles en microfiches à la bibliothèque municipale de Cork l’an dernier, lors de mon séjour en Irlande pour le 20e anniversaire de cette tragédie.

Au cours de l’automne suivant l’attentat, la GRC a demandé de rencontrer Maurice pour lui présenter une série de photos des femmes parmi les victimes dont la dépouille n’avait pas été réclamée. Procédure éprouvante, s’il en est une, mais qui devait tout de même avoir lieu. L’agent savait qu’elles étaient toutes de descendance indienne, que les radiographies dentaires et les empreintes digitales prouvaient que toutes ces femmes n’étaient pas Rachelle, mais il devait faire son boulot. C’est alors que Maurice a obtenu le renseignement suivant : il n’y avait que neuf femmes blanches à bord, et Rachelle était de celles-là. Mais il avait fallu se soumettre à cette nouvelle épreuve.

Depuis le 23 juin 1985, il y a eu quelques demandes d’entrevues de la part des médias, et certains autres appels au moment des anniversaires de la tragédie. On était à la recherche d’émotions vives, du chagrin en direct qu’on pourrait traiter en deux phrases si possible. Mais puisqu’il n’y avait pratiquement pas de développements connus par les familles, les médias de l’Est du pays en ont conclu qu’il n’y avait donc rien de plus à ajouter. Ceux-ci avaient rapidement cessé de questionner les autorités à ce sujet. Ils ne faisaient pas le lien, non plus, avec l’attentat de Narita qui avait tué deux bagagistes au Japon le même jour. Nous ne savions même pas qu’une enquête se poursuivait à la GRC et encore moins qui la menait et où. Les membres de notre famille, lassés d’avoir à rouvrir leurs blessures en public au bénéfice de chaque entrevue, ont commencé à décliner les demandes des médias afin de tenter d’amorcer leur deuil.

D’autre part, la sortie du livre de Salim Jiwa sur cet événement, à l’automne 1986, nous a révélé les premiers détails de la teneur politique du complot. C’était un groupe terroriste qui était à l’origine de cet assassinat collectif. Rachelle n’avait rien à voir dans cette guerre intestine! Elle n’avait pas de sang indien et on ne pouvait pas lui prêter d’intentions politiques au moment où elle a acheté son billet d’avion de la compagnie Air India!

Plusieurs d’entre nous ont lu le bouquin. On y précise que les sauveteurs qui ont repêché les corps des victimes devaient se battre contre les requins… C’était le début d’une série de nouvelles blessures au coeur des membres de notre famille.

J’ai tenu plusieurs emplois durant les années suivantes, dont l’un à la Chambre des communes. Sans chercher à questionner, une rumeur est toutefois parvenue à mes oreilles. De source bien informée, j’ai appris que la préparation de l’attentat contre Air India était bel et bien connue des services de sécurité du Canada avant le 23 juin 1985. Les employés en discutaient ouvertement au café comme s’il s’agissait d’un banal fait divers.

Puis en mai 1987, le ministère des Affaires extérieures a fait parvenir à chaque famille un coffret souvenir contenant une vidéocassette et des documents portant sur l’inauguration d’un monument commémoratif à Ahakista, en Irlande; ce sont des images touchantes qui inspirent le recueillement. Depuis juin 1985, certains membres des familles de victimes ont gardé le contact par téléphone avec Hervé, le père de Rachelle, et sont même venus le visiter à la maison, afin de discuter et échanger sur certains développements.

Nous avons appris par les médias, au fil des ans, que le chef présumé du groupe de terroriste avait été tué quelque part en Inde, coincé dans une embuscade. Pour nous, nos espoirs de justice s’arrêtaient là. Ça signifiait que les autorités allaient clore l’enquête, puisqu’un coupable tout désigné était mort. Nous ne pouvions plus rien espérer.

À suivre demain…

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Air India nous avait touchés directement

Cela avait été toute une semaine pour celle qui faisait partie de ma salle de rédaction depuis neuf années. Dans ma chronique du 26 juin 1985, je fais référence à son départ du journal Le Carillon pour aller occuper le poste de chef d’équipe en radiologie à l’hôpital Montfort d’Ottawa. « Monique Castonguay, de Casselman, quitte en effet son poste de journaliste cette semaine. » Elle était la première à montrer le chemin aux autres. Charles Burroughs devait quitter son poste l’année suivante; et moi, l’année après. Mais ce n’était pas tout.

À la une de cette même édition, nous lisons que sa belle-sœur, Rachelle Castonguay, était au nombre des 329 victimes du fameux Vol 182 d’Air India auquel on fait encore référence aujourd’hui. « À 32 ans, Rachelle Castonguay, célibataire, avait décidé de prendre un mois de vacances aux Indes, avec une tournée de World Expedition dans l’Himalaya. Elle se récompensait en quelque sorte pour le nouveau poste d’analyste en recherches et affaires universitaires qu’elle venait d’obtenir du ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien. Quand elle a embarqué dans l’avion, à l’aéroport Mirabel, elle ne se doutait évidemment pas que quelques heures plus tard, à 3 h 13 du matin de notre heure, le Boeing 747 Jumbo allait littéralement se pulvériser au-dessus de l’Atlantique, à 170 milles nautiques des côtes irlandaises. Parti de Toronto, l’avion se rendait à Bombay, avec escale à Londres. Les causes exactes de la tragédie ne seront sans doute pas connues avant plusieurs mois, mais l’hypothèse d’une puissante bombe apparaît présentement comme la plus plausible. » Le reste, comme on dit, fait tristement partie de l’histoire. Pendant de très nombreuses années, le sort de Rachelle est devenu une énorme préoccupation pour Monique et son mari Maurice, le frère de Rachelle, ainsi que toute la famille Castonguay. Chaque fois que nous nous parlions – parce que nous n’avons jamais perdu contact –, la question revenait. Il y avait eu bien sûr de nombreuses autres victimes, dont 28 résidants de la région d’Ottawa, mais celle-là nous touchait directement… d’abord la communauté de St-Isidore/Casselman, mais aussi les ex-collègues de Monique au journal. Pour nous, la vie continuait, mais pour Monique et sa famille, ce sont au moins deux décennies difficiles qui s’ensuivraient. Leur vie ne serait jamais plus la même.

En passant, Monique me dit que le 23 juin (2013), au monument du Parc des Commissaires au Lac Dow, à Ottawa, il y aura une cérémonie à la mémoire des 329 passagers et des deux bagagistes de Narita – c’est ouvert à tout le monde et ça commencera à 17 heures. Sur le site de Sécurité publique Canada, on peut lire ce qui suit à propos de ce monument commémoratif :

« Le site commémoratif qui a été donné et conçu par la Commoission de la capitale nationale est composé d’un sentier menant à une place publique fermée de forme ovale, asphaltée et pavée. On y retrouve également une plaque de bronze sur laquelle apparaissent les noms de toutes les victimes de cette tragédie du 23 juin 1985. La plaque est orientée vers l’est, en direction de l’Irlande, pays où la tragédie est survenue. La place publique avoisinante favorise la réflexion et le souvenir. Les fusains de l’Est et les plantations de seringa qui fleurissent en juin sont des symboles vivants de paix. »

Dans mon billet de demain, de mercredi et de jeudi, je reproduirai la présentation de Monique devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006. Je sais que ce sont des souvenirs insoutenables pour la famille Castonguay, mais que je ne connais pas d’autres événements qui continuent à marquer pendant si longtemps notre petite histoire locale.

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En Ontario, le libéral David Peterson est le nouveau premier ministre à la suite d’une forme de coalition convenue avec le Nouveau parti démocratique de Bob Rae. Les conservateurs minoritaires de Frank Miller avaient été défaits rapidement et, pour éviter une élection, les deux partis de l’opposition avaient décidé d’offrir une alternative au lieutenant-gouverneur John Black Baird. Les rumeurs avaient voulu que Jean Poirier, le député de Prescott-Russell, hérite d’un ministère, question de nommer un Franco-Ontarien, mais Peterson lui avait préféré René Fontaine et Bernard Grandmaître, deux vieux routiers libéraux. Par contre Poirier avait été nommé secrétaire parlementaire à l’Environnement, un domaine qui l’intéressait énormément de toute façon.

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Michel Denis était chef intérimaire de la Sûreté municipale de Hawkesbury depuis le départ de Maurice Durocher. Dans le journal du 10 juillet 1985, on apprend qu’il est maintenant officiellement le nouveau chef. Âgé de 34 ans, il était policier à Hawkesbury depuis une douzaine d’années. « On le considère comme un policier de la nouvelle école. »