Je vous avais parlé que le tour des syndicats approchait au comité des Communes, mais avant eux, ce sont les concurrents qui avaient eu leur mot à dire le 24 novembre 1992. Comme toujours, les concurrents en avaient profité pour aborder toutes sortes de questions qui n’avaient rien à avoir avec le régime d’actionnariat. Car toute discussion sur un amendement à la Loi sur la Société canadienne des postes leur offrait une possibilité de faire modifier d’autres éléments.
Il s’agissait de Doug Moffat et Mike Tierney, d’UPS, John Sanderson, de CanPar, Kal Tobias, le président de l’Association canadienne des entreprises de messagerie, Tom Reid (je ne me souviens pas qui il représentait) et Jim Passmore, un consultant bien connu alors dans ce secteur. Ils avaient formé une sorte de coalition de concurrents et ils harcèleraient Postes Canada pendant plusieurs années, surtout sept mois plus tard. Ça, c’est une autre histoire que je vous raconterai.
Les concurrents répétaient leur même refrain et accusaient Postes Canada de prix abusifs (pas assez élevés selon eux) et d’interfinancement. Sur ce dernier point, la société d’État ne devrait pas profiter de la Poste-lettres, son service de base protégé par privilège, pour les concurrencer avec leurs Messageries prioritaires, leur service haut de gamme. Ce sera leurs arguments principaux lors de l’examen du mandat de Postes Canada par George Radwanski; un exercice frustrant imposé par un ministre libéral mécontent très porté sur l’ingérence. Ça aussi je vous raconterai plus tard.
Du côté des députés ce jour-là, il y avait surtout des députés progressistes-conservateurs, soit Jacquelin Holtzman, la présidente du comité, Jean-Marc Robitaille, Darrell Gray, Ross Reid et Lee Richardson, sans oublier le libéral Don Boudria (qui lisait son journal à un certain moment) et le néo-démocrate Phil Edmundston.
Sanderson, qui s’était fait demander par Gray s’il croyait qu’UPS utilisait ses revenus américains pour prendre de l’expansion au Canada, avait répondu que UPS traitait son volet canadien comme une entité indépendante et s’était empressé d’ajouter que la concurrence déloyale de Postes Canada aboutirait à la disparition de nombreux emplois du secteur privé et que Postes Canada se retrouverait la seule entreprise de messagerie au Canada. Une déclaration évidemment exagérée et qui n’ajoutait aucune crédibilité à l’intervention de la coalition. Évidemment, cela ne s’est jamais produit; en fait, la concurrence deviendrait encore plus grande à l’avenir.
Quelques députés avaient déploré que même le vérificateur général ne puisse obtenir de l’information concurrentielle de Postes Canada et que cela compliquait une bonne analyse du dossier. Ross Reid ne voyait aucun problème avec un certain interfinancement parce que Postes Canada, après tout, avait un mandat de « politique sociale pour combler les besoins du public ». Postes Canada avait évidemment la confiance du gouvernement dans son projet de régime d’actionnariat et la teneur des interventions des députés conservateurs au comité reflétait cet engagement.
Un petit détail qui démontrait l’antagonisme des concurrents. Le député Gray avait demandé à Tobias si Postes Canada pouvait adhérer à l’Association canadienne des entreprises de messagerie et celui-ci avait répondu que ce ne serait « pas dans un intérêt supérieur qu’elle soit membre », bien que ça lui ferait plaisir de discuter avec les dirigeants de Postes Canada. Cette association comptait quand même 116 membres au pays, des joueurs nationaux à des joueurs locaux. Leur rengaine était connue; le comité n’en serait pas influencé, heureusement.