« Nous sommes en 1992 après Jésus-Christ. Tout le Québec est occupé par des bureaux de poste… Tout? Non! Un petit village d’irréductibles Clémentois et Clémentoises résiste au déserteur. Et la vie n’est pas facile pour les porte-parole ‘postescanadiens’ retranchés à Québec, Montréal, Halifax et Ottawa. »
L’histoire n’est pas aussi drôle que celle d’Astérix. En fait, le bureau de poste de Saint-Clément venait tout récemment de fermer par suite du départ à la retraite du maître de poste et les irréductibles villageois n’allaient pas se laisser faire. Saint-Clément est un petit village du Bas-Saint-Laurent, assez rapproché de L’Isle-Verte, dont on parle tant dans les médias ces temps-ci.
Le 4 décembre 1992, des citoyens envahissent le bureau de poste et l’occupent afin de protester contre la décision de la Société canadienne des postes d’offrir ses services dans un commerce local au lieu de nommer un autre maître de poste. L’occupation durera 59 jours et servira d’exemple à plusieurs autres communautés dont le bureau de poste était la cible d’une « conversion ».
Je me souviens avoir passé une semaine à notre bureau de Québec pendant que ma collègue Hélène Barnard se rendait sur le terrain. Aucun de nos arguments ne portait des fruits. L’occupation d’un petit village, comme l’autre démonstration de force du petit village de Barachois-la-Malbaie, près de Percé, et la renaissance de Dignité rurale du Canada (Rural Dignity of Canada), dont la fondation remontait à février 1987. Sa mission était de « protéger et promouvoir les services essentiels des communautés rurales ». Cynthia Patterson, si ma mémoire est bonne, en était l’âme inspiratrice et dirigeante. Le mouvement avait pris naissance pour protester contre la fermeture des succursales bancaires et des gares ferroviaires. La fermeture des bureaux de poste devenait la goutte qui faisait déborder le vase de la patience.
La conversion des bureaux de poste avait été jugée essentielle au retour à la rentabilité de Postes Canada et à la croissance de son efficacité opérationnelle. C’était une mesure parmi tant d’autres, dont celle de ne pas offrir un service de facteurs dans les nouvelles subdivisions résidentielles plusieurs années auparavant. La valeur comptable du bureau de Saint-Clément, par exemple, était d’un plus 60 000 $ alors que sa valeur marchande était plutôt d’un maximum de 25 000 $ et probablement moins. Comme la très grande majorité des bureaux de poste ruraux, ses frais d’exploitation étaient nettement supérieurs à ses revenus.
De nombreuses municipalités donnent leur appui à Saint-Clément et les journalistes y trouvent matière à de nombreux reportages. Même le magazine Time s’y intéresse. Les lettres des lecteurs ne se comptent plus. Les tentacules de Dignité rurale s’étendront à la largeur du pays. Les conversions continueraient même pendant qu’elles devenaient un enjeu électoral. Les libéraux s’étaient engagés à y mettre fin. C’est ce qu’ils ont fait quasiment dès leur élection. Les plans de rentabilité de Postes Canada devaient être revus et rajustés. L’entreprise, à mon avis, en paye encore le prix.
À Saint-Clément, la fierté des gens qui avaient attiré l’attention du pays et d’ailleurs était devenue un exemple. Encore aujourd’hui, sur le site Web de la municipalité de Saint-Clément, on peut y retrouver un résumé de cette révolte :
« La Municipalité de Saint-Clément s’est fait connaître en 1992-1993 à la grandeur de la province, et même dans une bonne partie du Canada. Elle a parlé haut et fort puisqu’elle se voyait imposer la fermeture de son bureau de poste, et ce, suite à la retraite du maître de poste.
L’occupation continue des locaux du bureau de poste de Saint-Clément, qui a débuté de 4 décembre 1992 pour ne se terminer que 59 jours plus tard, marquait la contestation de toute une population contre la machine gouvernementale. Bien que le bureau de poste ait tout de même été fermé, on considère que l’effort n’a pas été vain puisqu’aucun autre établissement postal n’a ensuite été fermé au pays. Une fierté pour les gens de notre communauté. Cet exemple de solidarité a intéressé les médias de tout le continent ainsi que des chercheurs universitaires en développement rural. Un livre a aussi été publié, relatant l’historique des événements ‘En quête d’une communauté locale’ [Raymond Beaudry et Hugues Dionne].
Suite à la fermeture de l’édifice qui abritait le bureau de poste, la municipalité s’est portée acquéreur du bâtiment en 1993 et les locaux sont demeurés fermés jusqu’en 1995. En 1996, c’est un Centre d’accès communautaire Internet (CACI) qui y était implanté, d’ailleurs ce fut le premier CACI à être implanté au Bas-St-Laurent. L’édifice a été rebaptisé Centre IR Ouellet en hommage aux maîtres de postes qui s’y sont succédé.
En décembre 1997, suite à une entente conclue entre la Société canadienne des postes et la municipalité de Saint-Clément, les services postaux réguliers ont été déménagés au Centre IR Ouellet et se retrouvaient donc dans leurs locaux d’origine. Voué aux communications le Centre IR Ouellet offre aujourd’hui la technologie du courrier électronique combiné avec les services postaux réguliers. »
Source : http://www.st-clement.ca/Message.aspx?id=msg_occupation
Pourtant, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes vous dira qu’il y a eu fermeture de plus de 1500 bureaux de poste au pays.
Avec l’annonce de la disparition du service de livraison à domicile au cours des cinq prochaines années verra-t-on la naissance d’une « Dignité urbaine du Canada »? J’en douterais. À moins que Denis Coderre…