Les syndicats avaient fait valoir leurs points de vue en avant-midi du 26 novembre 1992, tandis qu’en après-midi, c’était au tour de la haute direction, par la voix de Georges Clermont, alors vice-président de groupe responsable des affaires générales. En effet, tout l’exercice du régime d’actionnariat pour les employés n’en était pas un de relations de travail à proprement parler, mais bien d’épargne et de motivation. Clermont était accompagné de plusieurs cadres de Postes Canada, dont le vice-président des finances, Ian Bourne, et l’avocat-conseil général Peter McInenly. Seuls Clermont et Bourne prendront la parole, celui-ci, bien sûr, étant celui qui pouvait fournir les « chiffres ».
Harvie Andre, le ministre responsable, avait déjà à peu près tout dit et Clermont a répété l’essentiel des arguments et d’autres détails du programme. Comme il l’avait précisé, tout ça était un concept parce qu’il faudra d’abord attendre ce que le parlement décidera et élaborer ensuite les vrais mécanismes en consultation avec le Conseil du trésor et ainsi de suite. En d’autres mots, ce n’était pas un « done deal », bien que ce le soit presque.
Ainsi, à une réponse de Jerry Pickard, critique libéral de Postes Canada ce jour-là en l’absence de Don Boudria (ce qui faisait mon affaire parce que je n’aimais pas que mon député critique mon employeur, comme je vous l’ai déjà écrit), Ian Bourne avait mentionné que l’avoir net de la Société canadienne des postes était de l’ordre de 1,4 milliard de dollars; ce qui signifiait que la valeur du régime d’actionnariat pourrait atteindre quelque 140 millions de dollars.
Bourne avait clarifié la situation en ce qui a trait aux droits de vote liés aux actions, un concept qui avait été avancé par certains députés de l’opposition depuis le début de l’audience du comité des Communes chargé d’étudier le projet de loi C-73. Selon Bourne, « la véritable raison d’être d’actions est de partager les gains et les bénéfices, et pas nécessairement de partager le contrôle ». Bourne avait aussi reconnu que la vente des actions ne se conclurait pas nécessairement la première année et qu’en fait elle se prolongerait sur un certain nombre. Une politique sur les dividendes sera également élaborée une fois la loi adoptée et les mécanismes convenus avec le gouvernement. Évidemment, tous les Canadiens profiteraient de ces dividendes étant donné que la société d’État leur appartient.
Quant à Cid Samson, le néo-démocrate, il avait repris un refrain cher aux députés… l’absence de contrôle d’accès à l’information de Postes Canada et le secret qui entoure tout ce qu’elle fait. « Quand est-ce que cela arrêtera », avait-il demandé.
Comme mot de la fin, Clermont avait répondu à la question, « est-ce que vous achèterez des actions » et sa réponse avait été « oui, assurément ». Voilà pour les différents témoignages devant les députés. Toutes ces questions et tous ces arguments seraient répétés lorsque les Communes débattront du projet de loi quelques mois plus tard. En fin de compte, en août 1993, on apprendra que chaque action vaudra 10 $ et qu’un employé (cadre ou autre) ne pourra en acheter plus de 120 pour un total d’avoir net de 130 millions de dollars. Les 10 p. cent d’actions, par la force des choses, seront achetées du gouvernement, qui restera l’actionnaire majoritaire.
Postes Canada avait prévu un grand lancement du régime d’actionnariat pour les employés le 18 septembre 1993. Il n’aura jamais lieu. Quand les libéraux de Jean Chrétien ont obtenu un gouvernement majoritaire deux de leurs premières décisions ont été d’empêcher la mise en force du régime d’actionnariat alors que la Loi sur la Société canadienne des postes modifiée avait reçu la sanction royale (la Loi n’a jamais été changée et il encore possible, en 2014, de créer un mécanisme d’actions) et l’imposition d’un moratoire sur la fermeture… pardon, la conversion de bureaux de poste en comptoirs postaux. Ce moratoire sera d’ailleurs renouvelé quelques fois, y compris par les conservateurs de Stephen Harper, ceux-là même qui se préparent à valider le nouveau programme de redressement financier de Postes Canada.
Ah oui, j’oubliais… Non, je ne deviendrais donc pas actionnaire de la Société canadienne des postes comme je l’avais souhaité.