Appelez le médiateur

Le conciliateur Marcel Danis perdait son temps en effet. Au pays, la situation du courrier s’aggravait, nos centres de livraison alternatifs étaient un échec total, des grévistes poursuivaient leurs tactiques d’intimidation. Postes Canada avait finalement conclu une entente avec le syndicat pour la livraison des chèques sociaux (sécurité de la vieillesse, régime de pension du Canada, assurance-chômage) à la porte des prestataires. Le syndicat avait proclamé qu’il s’agissait là d’une « victoire pour les Canadiens » et non pas pour les syndiqués.

Disons qu’un incident couvert profusément par les médias avait aidé la cause du syndicat. La télé avait montré une « petite vieille » attendant son courrier dans un centre alternatif alors qu’il y avait canicule (ça arrive encore en août). Il n’en suffisait pas plus pour forcer une entente de livraison, mais nous étions encore loin d’une nouvelle convention collective. Je ne me souviens plus où exactement, mais Postes Canada avait été blâmée pour le meurtre d’un travailleur social par un voisin qui avait perdu les pédales lorsqu’il n’avait pas trouvé son chèque dans sa boîte aux lettres. Un autre voisin nous accusait carrément. Ce n’était plus drôle du tout. L’entente de livraison nous avait tenus occupés avec les médias pendant au moins deux jours en cette fin d’août 1991.

Gilles Courville, de qui j’ai parlé hier, avait rappelé que la « Société a modifié ses positions à plusieurs reprises depuis deux ans, mais pas le SPC ». Il reconnaissait que Danis avait joué un rôle catalyseur, mais que le rythme des échanges était insatisfaisant. La rhétorique des deux parties s’amplifie, le fossé se creuse, les clients s’impatientent, surtout les petites et moyennes entreprises.

Les journalistes sont de plus en plus nombreux. Un journaliste de CKVL, à Montréal, demande une entrevue avec Courville. Son nom… Denis Coderre… Il coanime l’émission « Point de vue » avec Jean-Pierre Charbonneau. Coderre n’a plus besoin de présentation en 2014. Courville reçoit aussi une demande d’entrevue avec Jean-Luc Mongrain, animateur de l’émission « Mongrain de sel » sur les ondes de TVA. La grève perdure depuis onze jours.

Le 5 septembre, Marcel Danis confirme au ministre du Travail que son travail de conciliation n’a pas porté ses fruits. C’était à prévoir au départ. Danis parle de deux choix… la médiation ou une loi de retour au travail. Un médiateur prend la relève.

Allan B. Gold, le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, avait été le médiateur-arbitre dix ans auparavant, en 1981, lors de la grève de 42 jours du Syndicat des postiers du Canada. Les principaux enjeux à cette époque étaient l’impartition des tâches, l’utilisation des travailleurs occasionnels, les quarts de jour, ainsi que les questions de santé et sécurité. Les deux parties semblent favorables à la présence de Gold à laquelle ils sont habitués, même si les intervenants ne sont pas les mêmes. Comme manifestation de bonne volonté, le syndicat met fin à ses grèves tournantes « de manière temporaire » et l’entreprise cesse d’utiliser ses centres de livraison alternatifs, bien que la société ne s’engage pas à les démanteler parce qu’après tout, « nous n’avons pas d’entente ».

Vers le 10 septembre, la situation se complique par une grève d’employés du Syndicat canadien de la fonction publique dans les aéroports canadiens. La grève nuit surtout aux Messageries prioritaires à Ottawa, Toronto, Montréal et Vancouver. Comme si Postes Canada avait besoin de ça. Les envois de courrier du régime intérieur étaient les seuls affectés.

Pendant ce temps, en coulisses, Gold tente de raccorder les deux parties. Le service de traitement et de livraison se poursuit, mais le climat n’est pas de tout repos et tout le monde connaît les risques. Les formulaires du recensement de Statistique Canada de 1991 sont bloqués dans les bureaux de poste. Pierre Cremer, de l’Asssociation de la presse francophone, nous mentionne que le journal communautaire Le Soleil de Colombie risque de disparaître si le conflit n’est pas réglé. L’incertitude règne chez nos clients.

Nous sommes le 20 septembre et les députés fédéraux sont de retour à Ottawa. Dans les corridors du Château Laurier, la possibilité d’une loi de retour au travail pour clore le conflit est le sujet de conversations, et de la part des deux parties et de la part des médias.

Je pourrais m’éterniser encore longtemps parce que ce n’était pas fini. Éventuellement, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney déposerait un projet de loi pour régler le conflit et imposer l’arbitrage exécutoire. Je me souviens d’une interminable séance du comité des Communes qui étudiait le projet de loi. Nous y étions bien sûr.

Le projet de loi n’a pas eu besoin d’être adopté parce que le Syndicat des postiers du Canada et Postes Canada conviendraient d’une convention à la dernière heure. L’employeur n’avait à peu près rien gagné; le syndicat n’avait rien perdu. Je vous reviendrai avec d’autres récits sur des grèves; il y en aurait d’autres. Et les effets néfastes sur la réussite financière de Postes Canada allaient se poursuivre. Ce n’est pas pour rien si, en 2014, la direction de Postes Canada parle du besoin d’un redressement majeur.

Cinq ans plus tard, en 1996, le Canadian Union of Postal Workers (CUPW) se donnerait un nouveau nom français. Le Syndicat des postiers du Canada devenait une référence historique. Le mot Canada disparaissait du nom. Il fallait dorénavant s’y référer comme le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).

Après la signature d’un projet de convention collective, en quittant le Château Laurier pour retourner au bureau et à la maison, je me retrouvais à attendre un taxi en compagnie des gars aux tee-shirts noirs que je croissais dans les ascenseurs et qui m’ignoraient. En attendant le taxi, ce sont les poignées de mains, les grands adieux… et les grands sourires. Comme si rien ne s’était passé pendant les trois mois précédents.

Disons que c’était une expérience inoubliable… mais que je ne répéterais pas.

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