Le député libéral Jerry Pickard avait été le premier à appuyer sur la gâchette. Il avait rapidement conclu que le régime offert par Postes Canada ne rendrait pas les employés « des égaux parmi les égaux » parce qu’il ne donnait pas de droit de vote et que l’employé devrait les remettre au moment de prendre sa retraite ou de quitter l’entreprise. Pickard déclarait que l’employé actionnaire « n’aurait aucune voix, aucun mot à dire, aucune équité durable ». Pour lui, il s’agissait d’un « affront aux employés ». Ouch!
Notre ministre responsable, Harvie Andre, avait manifestement été bien préparé. Il avait rapidement rappelé que le régime ne visait aucunement un partage des pouvoirs entre la direction et les employés, mais une simple « occasion de participer aux réussites financières ». De toute évidence, le total des actions que Postes Canada rachèterait du gouvernement, l’actionnaire majoritaire, ne dépasserait pas 10 p. cent de l’équité totale. Il n’avait pas mordu à l’hameçon de Pickard, en expliquant que si l’employé était autorisé à conserver ses actions après avoir quitté la société, cela équivaudrait à la privatiser d’une certaine façon. C’était un régime d’épargne, avait-il expliqué, et non pas un régime de propriété. De toute façon, personne ne serait obligé d’en acheter; ce serait purement un geste volontaire.
En fait, à une intervention du néo-démocrate Cid Samson, Harvie Andre avait argumenté que l’achat éventuel des 90 p. cent d’actions détenues par une société privée serait influencée par le fait que l’acquéreur se retrouverait avec le fardeau d’un régime d’actionnariat d’épargne, « une influence forcément marginale, mais une influence somme toute ». Samson avait demandé à Andre pourquoi il y avait tellement d’opposition de la part d’un si grand nombre d’employés. Dans son cas, il avait mordu à l’hameçon des syndicats, comme à peu près tous les députés de l’opposition d’ailleurs. Leurs questions reflétaient drôlement les messages syndicaux des mois précédents.
Un tel régime d’actionnariat n’était pas nouveau. Le puissant gérant UPS (United Parcel Service) l’avait mis en œuvre depuis longtemps et tout le monde savait qu’UPS était le modèle par excellence d’efficacité. UPS était la concurrente majeure de Postes Canada et, j’y reviendrai, aurait bien aimé lui nuire le plus possible. Quant au Syndicat des postiers du Canada, je vous l’ai écrit précédemment, leur constitution leur interdisait toute forme de collaboration avec l’employeur et ce régime constituait évidemment une collaboration. Harvie Andre avait ajouté que cette manière de penser « n’était plus acceptable au Canada ». Personne ne l’a écouté.
J’ouvre une parenthèse – Don Boudria avait dû s’absenter afin de se rendre à la soirée de sélection du candidat libéral dans Glengarry-Prescott-Russell en vue des élections que tout le monde attendait en 1993. Harvie Andre lui avait demandé sarcastiquement s’il laisserait son association choisir. Je l’avais bien ri. Boudria avait quand même trouvé le temps de lancer quelques flèches en direction de Postes Canada.
Le député progressiste-conservateur Lee Richardson avait commenté que le projet semblait une bonne chose pour les employés à cette époque de contraintes budgétaires, mais que cela pourrait être perçu comme de « la discrimination envers les autres Canadiens qui ne travaillent pas au bureau de poste ».