L’initiative était très ambitieuse et ne cadrait pas du tout avec les aspirations des grands syndicats et encore moins de certains politiciens libéraux. Elle visait à donner aux employés une participation dans la réussite financière de la Société canadienne des postes, quand celle-ci commencerait à accumuler les profits. En 1992, ce n’était pas encore fait, mais les mesures de redressement mises en place par Don Lander et sa haute direction commençaient à porter ses fruits ou, en tout cas, à laisser place à l’espoir.
Logiquement, un actionnaire a habituellement à cœur les intérêts supérieurs de son entreprise et il se comporte en conséquence. La société avait donc élaboré un régime par lequel les employés intéressés pourraient acquérir des actions sans droit de vote dans l’entreprise qui les employait. Il ne s’agissait pas d’actions en tous points égales à celles que l’on pouvait acquérir d’entreprises cotées en bourse, par exemple, mais elles constituaient une forme d’épargne à long terme… et un vote de confiance dans l’avenir de leur employeur.
Le Régime d’actionnariat d’épargne pour les employés – ou l’Employee Share Saving Plan comme l’appelait mes collègues anglophones – avait soulevé un énorme enthousiasme aux étages supérieurs de l’édifice Sir Alexander Campbell. Nous l’avions d’ailleurs annoncé avec fanfares et trompettes au printemps de 1992. Pourtant, la grève de l’automne 1991 était encore dans les mémoires collectives.
Nous avions mis quelques mois à peaufiner le programme et à le soumettre au gouvernement pour qu’il puisse modifier la Loi sur la Société canadienne des postes de 1980 en conséquence. Le 18 novembre 1992, j’accompagne le vice-président de groupe Georges Clermont et une délégation de dirigeants de la Société à la première journée d’audience du comité des Communes chargé d’étudier le projet de loi C-73. Celui qui parlait le plus était évidemment notre ministre responsable, le progressiste-conservateur Harvie Andre; c’était son projet de loi après tout. C’était aussi un de mes dossiers de relations avec les médias. Du côté de l’opposition officielle, il y a mon député, le libéral Don Boudria. (À ce moment-là, il m’appelle encore Jean-Maurice, comme il le faisait depuis que nous nous connaissions. Une fois qu’il deviendra honorable ministre, plusieurs années plus tard, je deviendrai Monsieur Filion.)
Harvie Andre avait d’abord résumé le « côté noir » de l’histoire de Postes Canada, soit ses mauvaises relations avec les syndicats, et les énormes progrès des récentes années. Mais il avait reconnu que les problèmes persistaient et que le gouvernement et la direction de la société ne pouvaient rester immobiles. Il avait rapidement soutenu que l’initiative ne visait pas la privatisation des postes canadiennes.
Andre avait rappelé que les conservateurs n’avaient jamais hésité à privatiser si cela était justifié, mais que ce n’était pas le cas. Son gouvernement ne cherchait qu’à « l’amélioration continue » de la part de Postes Canada et qu’ultimement, il voulait que les employés, sur une base individuelle et non syndicale, se transforment « de vieux adversaires en nouveaux partenaires ».
Je poursuis mon récit au cours des prochains jours. C’est une longue histoire que je trouve encore intéressante plus de 20 ans plus tard. Dès l’annonce du nouveau régime, j’avais pris la décision de devenir un actionnaire.