Le vice-président des systèmes d’information, Ken Tucker – pardon, Dr Tucker, comme il insistait – était en quelque sorte le visionnaire de Postes Canada en 1992. Nous nous remettions péniblement du récent conflit de travail, mais il fallait continuer à progresser. Une nouvelle réalité se pointait à l’horizon qui allait drôlement obliger les postes canadiennes à se réinventer.
Tucker avait convoqué un certain nombre de personnes à un remue-méninge sur l’infrastructure électronique de l’entreprise et comment celle-ci relèverait les futurs défis. Le Web était en développement, mais son existence n’était pas encore connue du grand public ni des entreprises. Par contre, Internet grandissait et commençait à être utilisé de plus en plus, particulièrement son volet de courriel. En fait, ce dernier mot n’existait pas encore. Le mot « hybride », en parlant de l’évolution naturelle des procédés, était sur plusieurs lèvres.
Hank Klassen, notre vice-président responsable de la planification à long terme, nous avait lancé un mot d’ordre : Postes Canada était une entreprise de communication de classe mondiale qui jouissait d’une position privilégiée et unique pour la diffusion des messages à la fois imprimés et électroniques. En effet, à cette époque des machines à traitement de texte et de l’omniprésence du télécopieur, la plupart des documents étaient préparés électroniquement.
Quelqu’un dont j’oublie le nom avait même avancé que nous étions près des « ordinateurs avec des transmetteurs radio intégrés ». Le mot Wi-Fi n’avait pourtant pas été inventé non plus. Le modem était un petit outil très nouveau et était séparé de l’ordinateur. À Postes Canada, j’ai d’ailleurs été un des premiers à pouvoir en utiliser un et un des premiers à bénéficier de sa propre adresse électronique… @mailposte.ca… qui serait notre premier nom de domaine Internet.
Cette rencontre était en effet la naissance d’un service énormément avant-garde de Postes Canada… Omnipost. Ce nouveau service, comme toutes les nouveautés électroniques de l’entreprise, s’ajouterait à mon dossier. J’étais le « techie » du groupe des communications.
Omnipost permettait à son abonné de gérer de quelle manière ses documents seraient acheminés à leurs destinataires… selon la préférence de ces mêmes destinataires. Pour certains, ce serait la méthode traditionnelle de l’imprimé, pour d’autres, le télécopieur, alors qu’un autre segment, tout nouveau celui-là, préférerait la livraison électronique. L’expéditeur aurait préparé ses listes en tenant compte de ces préférences et, au moment d’acheminer son document, il lui suffirait de sélectionner la liste et Postes Canada se chargerait du reste.
Nous avions alors établi un réseau de centres d’impression électronique un peu partout au pays; quand l’expéditeur destinait un document à être acheminé par courrier traditionnel, son signal électronique se rendait à un de ces centres qui l’imprimait, le plaçait dans une enveloppe, l’affranchissait et le livrait, habituellement dès le lendemain puisque le message n’avait pas à traverser de longues distances. En d’autres mots, le destinataire de Vancouver et le destinataire d’Halifax recevraient leur enveloppe le même jour que celui d’Ottawa ou de Toronto, par exemple. Les destinataires qui avaient préféré la réception par télécopieur ou électronique les recevraient instantanément bien sûr. Ça fonctionnait bien puisque je l’utilisais personnellement pour transmettre des communiqués aux médias.
Mais voilà, il fallait acheter ce service et, comme cela s’est souvent produit à Postes Canada, il n’y avait aucune publicité pour le mousser. Éventuellement, l’entreprise n’a pas suffisamment investi dans Omnipost, n’a pas modernisé son interface quand Microsoft a éliminé son système DOS, que le Web gratuit est apparu et que l’utilisation du courriel s’est généralisée.
N’empêche que Postes Canada aura fait preuve de vision avant bien d’autres administrations postales et ce ne sera pas la seule fois. Nous avions bien insisté, dans nos messages, sur le fait que nous ne devenions pas une entreprise de télécommunication, mais bien de courrier, et que nous pourrions devenir « le gendarme qui dirige la circulation à l’intersection de l’électronique et du physique ».
Le concept de la lettre changeait et Postes Canada n’avait d’autre choix que s’y adapter. Elle tente toujours de le faire 21 ans plus tard.