Stephen Lewis est le chef du Nouveau parti démocratique en Ontario et il s’arrête à Hawkesbury afin d’appuyer le candidat de son parti, Yvon Montpetit, dans le cadre des élections provinciales du 21 octobre 1971. Le Carillon du 14 octobre en parle, notamment que Lewis avait caractérisé le journal comme étant « socialiste » et contre son candidat. Lewis n’avait pas hésité à reprocher aux conservateurs leur inertie passée. « L’Est de l’Ontario a toujours été une région oubliée et que rien d’important ne s’y était produit pendant les 28 années du règne conservateur. » Lewis ne comprenait pas l’absence d’industries de service dans le secteur et ne pouvait admettre « qu’une région si longtemps représentée par les conservateurs a été pendant si longtemps oubliée ». En rétrospective, il avait raison.
Dans la salle des nouvelles, nous n’étions pas d’accord avec les intentions éditoriales du propriétaire. Cela n’a pas d’importance; il prendrait lui-même la plume; c’est son journal après tout. Dans l’édition du 14 octobre, celle précédant l’élection, André Paquette y va d’un long éditorial qu’il intitule « Lettre d’un père à son fils ». Son fils avait maintenant droit de vote depuis que le gouvernement ontarien avait abaissé à 18 ans le droit de vote dans la province. Paquette réagissait entre autres à un reportage publié dans Le Petit Journal de Montréal et qui se référait à Montpetit comme « l’avocat des pauvres de Hawkesbury ». Paquette écrit à son fils : « Comme le dit Le Petit Journal, Yvon Montpetit, c’est un ‘adolescent attardé’ et moi j’ajoute qu’il manque gravement de maturité. Il s’est fait élire maire sans passer par l’expérience du Conseil… et maintenant il voudrait te représenter à la législature ontarienne. C’est comme si tu voulais bâtir ta maison en commençant par le toit, ça ne tiendrait pas. »
Paquette cite également des affirmations de Montpetit dans Le Petit Journal liées à une séparation éventuelle du Québec : « Si le Québec se sépare? Je ne sais pas. Pour dire vrai, mon sentiment est que l’Est de l’Ontario devrait négocier avec le Canada et le Québec son annexion au Québec si jamais le Québec se sépare évidemment. » Montpetit avait répété ce que plusieurs citoyens de Hawkesbury disaient à hautes voix. Et de conclure Paquette, « c’est parfaitement clair… Yvon Montpetit nous a vendus d’avance ». Comme vous voyez, Lewis ne s’était pas plaint pour rien. Dans l’édition de la semaine suivante, celle du mercredi 20 octobre, (le journal avait été devancé parce qu’il produirait une édition spéciale le vendredi), Paquette revient à la charge et recommande à ses 25 000 lecteurs de voter Bélanger et donc, de réélire le gouvernement de William Davis.
La campagne de 1971 avait été solide. Trois candidats « forts » étaient en lice et les échanges publicitaires étaient fougueux. Il y avait longtemps qu’une campagne électorale régionale n’avait pas soulevé autant d’intérêt. Bélanger savait que la concurrence était majeure et il avait sorti ses canons et ses boulets rouges. Dans une publicité, il rappelle entre autres qu’il a obtenu plus de 24 millions de dollars en subventions au cours des quatre années précédentes.
Au Conseil municipal, le préfet Philibert Proulx, également candidat libéral, avait reproché au conseiller Claude Demers, également agent officiel du candidat néo-démocrate et maire Yvon Montpetit, (vous comprenez la situation), d’avoir promis aux résidants du secteur Old Mill de régler leurs problèmes en échange de leur appui électoral au candidat Montpetit. Il en est question dans l’édition du 20 octobre et ce n’est là qu’un exemple de la nature du débat à cette époque.
Quoi qu’il en soit, lors du scrutin du 21 octobre, c’est un balayage conservateur en Ontario. Le parti obtient 79 sièges, alors que les néo-démocrates et les libéraux en récoltent 19 chacun. Dans Prescott-Russell (chiffres officiels publiés le 28 octobre), Albert Bélanger écrase littéralement ses rivaux avec 10 950 votes, devançant largement Philibert Proulx avec ses 5 451 votes et Yvon Montpetit, avec ses 4 723. Une majorité de 5 499. En passant, Bélanger célébrait ses 50 ans le jour même des élections. Un beau cadeau, il va sans dire. À Hawkesbury, Bélanger avait obtenu 2022 votes comparativement à 1510 pour Montpetit et 1035 pour Proulx. Le taux de participation avait été de 75 p. cent, un taux que l’on n’a pas vu depuis fort longtemps.
Le soir des élections, fallait bien que je fasse mon travail de journaliste. Je me suis rendu au quartier général des néo-démocrates, rue Principale à la hauteur de la rue James. Certains connaissaient mes sympathies personnelles pour Yvon Montpetit, mais la majorité non. Et compte tenu de l’opposition de mon éditeur à leur candidat, je n’étais pas le plus bienvenu… surtout après que les résultats ont commencé à démontrer la défaite inévitable de leur candidat. J’ai craint que je ne sortirais pas indemne de la bâtisse, jusqu’à l’intervention de l’organisateur de Montpetit, Rhéal Leroux, qui m’a accompagné à la marche très rapide le long de la rue James pour m’éloigner de ce merdier. Je ne leur avais pas dit que j’avais voté pour Montpetit.
Disons que les employés de l’usine Duplate, dont plusieurs étaient parmi les partisans du NPD, étaient en grève depuis deux semaines et que le climat n’était pas des plus sains… surtout le soir d’une défaite amère.
Pas facile le métier de journaliste, parfois dangereux même. Ça doit être frustrant, en période d’élections, pour ceux et celles dans la salle des nouvelles, qui ne sont pas d’accord avec les intentions éditoriales du propriétaire…