À la mi-mars de 1982, la « mère » d’Internet n’avait pas encore « accouché » de son rejeton. Il faudrait attendre encore 10 mois, mais le grand public n’en profiterait vraiment qu’une dizaine d’années plus tard, lors de l’avènement du World Wide Web; ces fameux www devant ces adresses modernes qui pullulent le cybermonde. Mais l’adoption par M. et Mme Tout-le-Monde prendrait encore un peu de temps. Trente ans plus tard, les « prédictions » du jeune Jean-Yves D’Amour n’ont pas l’air exagérées. Le jeune D’Amour avait remporté le concours oratoire du Club Richelieu de Hawkesbury et Le Carillon avait jugé bon de reproduire son discours victorieux dans son édition du 10 mars 1982. En le lisant, tenez compte du contexte de l’époque… où rien ne laissait prévoir ce que nous connaissons aujourd’hui. Apple n’avait même pas encore lancé son Macintosh. Vous apprécierez…
« Rarement a-t-on été menacé par une révolution aussi subtile que celle qui éclatera sous peu et qui promet de bouleverser complètement notre monde. Des envahisseurs n’ayant ni cœur ni sentiment chambarderont nos vies, s’empareront de nos salons. Et pourtant, celle nouvelle révolution technologique déclenchée par l’ordinateur évolue à un rythme si vertigineux qu’il nous est impossible d’affirmer avec certitude si nous devons entrevoir le futur comme un rêve ou un cauchemar.
Imaginons, pour un instant, qu’une simple pression sur quelques touches d’un clavier nous indiquera comment réparer le carburateur de notre voiture ou établira notre rapport d’impôts avec toutes les exemptions possibles. Imaginons qu’à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, un écran cathodique nous expliquera comment remédier aux sautes d’humeur de notre conjoint, comment tricher pour gagner notre partie de cartes, comment soulager le mal de tête provoqué par une bonne cuite! Imaginons que selon notre volonté, le téléviseur se transformera en une étude d’avocat, une agence de voyages, une encyclopédie.
Oui, demain, tous nos foyers seront munis de micro-ordinateurs, ce qui aura pour effet de transformer sensiblement notre manière de vivre. Mais, comment au juste, me demanderez-vous, le micro-ordinateur changera-t-il notre vie! Si la question avait été posée à Alexander Graham Bell le jour où il inventa le téléphone, aurait-il pu prévoir tous les bouleversements économiques, sociaux et culturels qu’inaugurait son invention! Aujourd’hui, la technologie nous offre un réseau d’informations de toute première qualité et constamment disponibles. Alors, sommes-nous prêts à relever de nouveaux défis!
Afin que la machine ne nous détraque pas, il faudra revaloriser ce qui rend un être humain supérieur à tout ce qui peut exister, notamment le sens du beau, du juste, du bon; toutes ces valeurs qu’on a jadis sacrifiées au nom de la science. Charles Siberman écrit avec raison : « C’est nous-mêmes qui devons donner un sens aux choses… » N’avons-nous pas pour le faire, une capacité de création, la souplesse d’une intelligence, la finesse de notre sensibilité. Conçu sans ces attributs, l’ordinateur restera toujours étranger au monde de l’humain.
Toutefois, devant l’ère nouvelle qu’engendrera l’implantation du micro-ordinateur, certains avec raisons, s’interrogent et même s’inquiètent. Ces techniques viseront-elles vraiment le bien-être de l’homme? Ou plutôt, seront-elles un puissant outil qui maintiendra un peuple dans l’opération des machines avec toute la routine que cela implique? D’ici se précise l’image possible de l’homme assujetti au dieu-ordinateur; ce dernier ayant finalement appris à dominer son propre créateur.
Néanmoins, plusieurs grands philosophes restent optimistes. Entre autres, Alvin Toffler, dans son livre « La troisième vague », prédit que ces nouveaux développements permettront une plus grande tolérance entre citoyens, que les gens seront plus actifs devant le petit écran puisqu’ils devront planifier leurs propres programmes. Pour ce faire, ils devront discuter, confronter, évaluer leur cheminement.
En outre, le micro-ordinateur sera l’outil par excellence que saura débarrasser la mémoire de toutes ces formules, ces règles, ces lois; exercices routiniers, répétitifs et désormais inutiles dans les matières telles les mathématiques, la physique, la chimie. Attention, il ne s’agit pas de supprimer ces disciplines, mais tout simplement de confier à l’appareil tout ce qui peut sans dommage lui être laissé. Effet libérateur qui permettra à l’homme de se consacrer davantage aux exigences de notre société. Cependant, saura-t-il éviter le nouveau piège qui lui sera tendu; celui de s’isoler derrière cet immuable paravent électronique!
Quoi qu’il en soit, si pour certains le monde de l’informatique annonce l’enfer, il ne faut toutefois pas oublier que le paradis, ce sont les hommes qui le feront et non les machines. En fait, ni le rêve ni le cauchemar ne se réaliseront; comme toujours la réalité ne manquera d’être plus séduisante que toutes les aspirations. »
Je pense que Jean-Yves D’Amour est devenu éventuellement un enseignant dans la région de Prescott-Russell et qu’il a contribué à des publications du Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques.