« À nos jours » se référant à l’année 1983, un siècle d’histoire politique provinciale. Le texte ci-dessous, de la plume d’Yves Quinty et de Paul-François Sylvestre, avait été reproduit dans l’édition du 17 août 1983 du journal Le Carillon. Je vous l’offre parce que nous n’avons pas appris ça sur les bancs de l’école et ce n’est sûrement pas enseigné de nos jours (cette fois en me référant à 2013).
La représentativité francophone à l’Assemblée législative de l’Ontario est-elle aussi importante qu’autrefois? Comme on le sait, certains comtés de la province comptent une population largement et, dans un cas, essentiellement française. Pourtant, ces comtés situés principalement à l’est, au nord et au sud-ouest n’ont pas toujours été représentés par des francophones, tant aux niveaux provincial que fédéral.
Au XIXe siècle
Dès la Confédération canadienne, en 1867, les immigrés irlandais, les orangistes et le clergé protestant tentent de faire comprendre aux Canadiens français que l’Ontario est une province anglophone et que le français ne saurait y être reconnu. Jusqu’en 1875, cette façon anglophobe de voir les choses persiste et les Ontariens de langue anglaise peuvent gouverner à leur guise. Toutes les fonctions lucratives sont d’ailleurs détenues par leurs protégés. C’est alors que les Franco-Ontariens décident de prendre leur juste part de l’administration des affaires qui, après tout, affecte leur mode de vie autant que celui des anglophones.
Après maintes réunions publiques dans les comtés à concentration française, il est décidé de présenter des candidats franco-ontariens aux élections provinciales. Messieurs Montreuil et Gignac sont défaits dans le comté d’Essex-Nord, au sud-ouest, respectivement en 1875 et 1879. Honoré Robillard, pour sa part, est élu dans le comté de Russell (est ontarien) lors du scrutin de 1883.
C’est cependant la campagne électorale de 1886 qui marque véritablement la fin du monopole anglophone sur le pouvoir ontarien. Gaspard Pacaud est victorieux dans Essex-Nord; F.E.A. Evanturel se place les pieds dans Prescott (est ontarien) et un autre Robillard garde le comté de Russell. Lors des élections de 1890, Pacaud mord la poussière alors qu’Evanturel et Robillard sont réélus, le premier par acclamation. Tous deux demeurent en poste au scrutin de 1894. À la fin du siècle, la circonscription de Russell est représentée par Onésime Guibord et le populaire Evanturel devient président de l’Assemblée législative. Tous les députés mentionnés jusqu’à maintenant sont d’allégeance libérale.
Trois bastions
Avec le début du siècle, la députation d’expression française à Queen’s Park s’élargit. Le Dr Joseph Réaume reprend le comté d’Essez-Nord, au nom des conservateurs, alors que les libéraux sont réélus dans Prescott et Russell. Au nord, au cours de cette même élection de 1902, Joseph Michaud place le nouveau comté de Nipissing dans le clan libéral. Trois ans plus tard, les Bleus et les rouges se partagent les comtés francophones, les libéraux dans l’est et les conservateurs au sud ainsi qu’au nord. Le Dr Réaume entre au Cabinet à titre de ministre des Travaux publics.
Le scrutin de 1908 confirme, à n’en point douter, les châteaux forts franco-ontariens. Les trois bastions sont l’Est, le Sud-ouest et le Nipissing. Cette année-là, les conservateurs occupent Essex-Nord, Nipissing-Ouest, Prescott et le nouveau comté de Sturgeon Falls. Le seul libéral d’expression française demeure Damasse Racine, dans la circonscription de Russell. En 1911, cependant, Sturgeon Falls et Prescott passent dans le camp libéral.
Règlement XVII
En 1910, les Franco-Ontariens infiltrent la politique scolaire, municipale, provinciale et fédérale. Ils se sentent de plus en plus solidaires, surtout après le congrès de fondation de l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario. Or, la confiance en prend un dur coup le 25 juin 1912, alors que le gouvernement Whitney impose le désormais célèbre… et inique Règlement 17, interdisant à toutes fins utiles l’usage du français dans les écoles ontariennes. Pas de discussion en Chambre; le ministre Réaume vote en faveur de la guillotine linguistique. Mais la population francophone ne l’entend pas ainsi. Forts de l’appui des députés et sénateurs fédéraux, soutenus par le nouveau quotidien Le Droit, les Franco-Ontariens revendiquent leurs droits, manifestent leurs indignations et exercent un intensif lobbying. On leur répond : « la loi est la loi ».
La population aura son mot à dire et le message sera on peut plus clair. En effet, lors des élections de 1914, Réaume est battu dans Essex-Nord par le libéral Séverin Ducharme; les comtés d’Ottawa-Est et de Sturgeon Falls passent également aux mains des libéraux. Seule la circonscription de Nipissing-Ouest reste conservatrice, mais les libéraux la raflent au scrutin de 1919, alors que Joseph Marceau défait Henri Morel.
Forts de l’appui des Irlandais, des orangistes et des catholiques de la trempe de Mgr Fallon, les conservateurs se maintiennent allègrement au pouvoir, tant sous Hearst que sous Ferguson. Pour mener la bataille sur le terrain de l’ennemi, les Franco-Ontariens choisissent le député de Russell, Aurélien Bouchard. Entre 1923 et 1927, le parquet de la Chambre devient un champ clos où l’on assiste à un duel serré et sans répit entre Bélanger et Ferguson. Le député de Russell se lève vingt fois plus souvent qu’à son tour et attaque chaque fois le sujet le plus brûlant de l’actualité. D’un doigt accusateur, il pointe vers le premier ministre et entonne son « You, Mister Ferguson », devenu classique et mémorable. Ses envolées trouvent vite des alliés des deux côtés de la Chambre. Bravant la réaction des journaux anglophones et celle des fournisseurs de fonds à la caisse électorale, le premier ministre cède aux pressions. Le Règlement 17 est déclaré sans application à partir de 1927.
À suivre demain, le balayage tory et l’ère Robarts-Davis