Je note dans l’édition spéciale des fêtes du journal Le Carillon du 21 décembre 1972, en page I-3, un conte intitulé « La mort du Père Noël » et qui avait valu à son auteure le deuxième prix dans le cadre du Concours de contes de Noël du journal. Et qui était cette auteure? Dominique Demers, alors âgée de 16 ans, et qui habitait au « 711 de la rue Laflèche à Hawkesbury ». Les futurs écrits de Dominique Demers, dont la réputation n’est plus à faire, allaient lui apporter plusieurs autres honneurs. Je tiens pour acquis que Dominique l’a conservé. Pour le simple plaisir, voici ce texte qui démontrait déjà ses grands talents :
Il était une fois un vieux bonhomme souriant. Sa barbe étincelait comme la neige de décembre, ses sourcils étaient aussi fournis que les branches du sapin de Noël, ses yeux aussi bleus qu’un ciel d’hiver, et ses lèvres aussi rouges que le costume qu’il portait. Ses longues bottes noires et sa ceinture scintillaient au soleil. Son rire aussi franc, aussi doux, aussi sincère que celui des enfants, tintait avec les cloches de la nuit de Noël.
Son nom est celui des sommets enneigés, des nuits féériques, des sourires moqueurs, des espoirs fleurissants : « le Père Noël ».
Chaque année, de janvier à décembre, le Père Noël se retirait en son royaume en Paradis. Là, des milliers de lutins travaillaient pour le bonheur de tous les enfants. En une seule année, l’équipe du Père Noël fabriquait des millions de poupées souriantes, de soldats de bois des plus courageux, de trains les plus longs, d’animaux les plus doux. Et chaque année, le Père Noël surveillait du haut d’un nuage tous les enfants de la terre. Il faisait une longue liste de tous ceux qui étaient sages. Le 24 décembre, à l’heure où tous les enfants sommeillent profondément, le Père Noël, transporté dans un grand chariot tiré par des rennes, perçait les nuages et volait à travers la nuit. À chaque maison où dormaient des enfants sages, il descendait la cheminée et déposait des bonbons dans les bas suspendus à la cheminée et des trésors enveloppés sous l’arbre de Noël. Pendant toute la nuit, on entendait le gros rire bienveillant du Père Noël.
Depuis toujours, le Père Noël était demeuré fidèle à sa tâche et au bonheur des enfants sages de l’univers.
Malheureusement, il y a plusieurs années déjà, le Père Noël et ses lutins firent la grève au Paradis. Immédiatement le Bon Dieu averti vint les retrouver.
« Père Noël, qu’est-ce qui t’arrive? Tu dois ordonner à tes lutins de fabriquer des jouets. Tu dois te dépêcher, peut-être qu’en ce moment certains enfants ne sont pas sages. Remettez-vous à l’ouvrage car sur la terre on commencera bientôt à chanter Noël! »
« Non, Bon Dieu », répliqua le Père Noël. Sur la terre maintenant, il n’existe plus de nuit de Noël. Mes rennes ne peuvent plus descendre car en bas l’homme a créé un gros brouillard, l’air a perdu sa pureté et même l’homme n’y peut plus respirer. Plus personne ne chante la Noël, car on n’a plus le temps de chanter. Je ne sais plus si les enfants sont sages, parce qu’ils ne vivent plus avec leurs parents. Tous les enfants demeurent ensemble avec des professeurs qui les instruisent. Bon Dieu, il y a trop longtemps que les poupées ont été inventées. Les enfants d’aujourd’hui n’aiment plus mes jouets. Mes poupées souriantes ont été remplacées par des robots qui peuvent tout faire sauf rire et mes trains par des boules que l’on lance et qui font sauter l’univers. Je ne peux plus leur donner des chiens de peluche car depuis quelque temps l’homme a décidé que les animaux domestiques ne lui apportaient rien. Il les a tués et mes petits enfants ne connaissaient pas l’amitié du chien. Les maisons sont de verre et n’ont plus de cheminée. Les bonbons n’existent plus.
« Les lutins ne veulent plus travailler car ils savent leur inutilité. Ma mission est finie. Pendant plusieurs années, j’ai fait rire des millions d’enfants, j’ai allumé du feu dans une multitude de cœurs, j’ai fait briller des étoiles dans beaucoup d’yeux. Toujours, j’ai symbolisé l’espoir, le bonheur, l’unité. L’homme ne connaît plus la définition de ces mots. Maintenant, plus personne ne veut sourire, ils ont oublié que la nuit de Noël est unique, différent de toutes les autres nuits. Même dans sa noirceur, la nuit de Noël était illuminée, elle ne l’est plus. L’homme a oublié que le Père Noël aime les enfants. Il a oublié de souhaiter « Joyeux Noël » et d’envoyer des cartes de vœux décorés d’anges roses, de sapins verts et de ciel bleu. L’homme a cessé d’être heureux. »
Pendant tout le récit, le Bon Dieu était demeuré silencieux. Calmement, il avait écouté. Depuis longtemps qu’il s’attendait à ces paroles du Père Noël. D’une voix sourde et étouffée par l’émotion, il reprit :
« Je sais, Père Noël, ne t’en fais pas. Toujours, tu as rendu les gens heureux en ces nuits de Noël. Ton exemple a toujours servi à l’homme charitable. L’homme m’a oublié… »
À ces mots, le Père Noël laissa échapper du plus profond de son cœur, là où l’on réprime les soupirs, une larme fondante. Et parce que le Père Noël n’avait jamais pleuré et que le monde l’a ignoré, il s’affaissa sur un nuage du Paradis et rendit l’âme. Le Bon Dieu s’écria : « Père Noël, l’homme t’a tué… »
Dominique l’a écrit il y a 39 ans. Je trouve ce conte encore pertinent…