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Le témoignage d’une famille éprouvée (2)

La présentation de Monique Castonguay devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006, est aussi un témoignage à la première personne de ce qu’a vécu sa famille entière en lendemain de ce terrible acte de terrorisme. Je tenais à partager ce témoignage avec mes lecteurs et à le consigner sur le Web dans mon blogue. Comme je l’écrivais lundi, il n’y a pas eu d’autres événements du genre qui ont touché des communautés de Prescott-Russell d’une telle façon. Voici la deuxième de trois parties :

Puis, nous avons été invités à une cérémonie inaugurale des travaux de construction du monument commémoratif dédié à la tragédie d’Air India, sur le terrain du Parc de la Confédération de la Commission de la capitale nationale, près du lac Dow à Ottawa. Les cérémonies étaient à peine commencées que le ministre représentant le gouvernement canadien a été soudainement invité à quitter rapidement, entouré d’agents de police en civil. La cérémonie a été bâclée, et la foule, invitée à se disperser. Les parents de Rachelle et moi sommes rentrés à la maison, sans trop nous presser, intrigués comme tout le monde de ce qui avait bien pu se produire. Le lendemain, dans un quotidien d’Ottawa, on expliquait qu’un individu portant une arme camouflée sous une serviette de bain se promenait dans la foule. Et on nous avait laissé courir ce risque!!! Qui sommes-nous donc aux yeux des autorités? Aucune explication officielle sur cet incident ne nous a été fournie. Une adaptation du plan du monument présenté ce jour-là a été réalisée lors des mois qui ont suivi. Le monument porte les noms de toutes les victimes des deux attentats du 23 juin 1985. Vous comprendrez maintenant mieux notre réaction à décliner la plupart des autres invitations à des rassemblements rattachés à la tragédie d’Air India depuis ce jour. Cette année toutefois, Maurice et moi avons assisté à une cérémonie spéciale qui a eu lieu le 23 juin afin d’amorcer de nouveaux travaux destinés à améliorer le site du monument et à le rendre plus accessible, grâce à un budget spécial du gouvernement fédéral.

Rachelle n’a jamais été oubliée de ses collègues universitaires. Le Département de géographie de l’Université d’Ottawa, auquel elle a consacré plusieurs heures de travail professionnel et bénévole, a choisi d’établir une bourse en son nom : la bourse Zamborski-Castonguay a été créée en 1990. M. Zamborski était le fondateur du département de géographie à l’Université d’Ottawa. Vous saisirez ici l’importance de l’implication de Rachelle auprès de l’Université d’Ottawa puisque son nom figure tout à côté de celui du fondateur du département.

Et un lundi soir de septembre 2002, nous avons été brutalement ramenés en arrière, invités à replonger dans la douleur qui a ranimé des souvenirs que nous espérions avoir enfouis dans les tiroirs de l’horreur. L’agente Kate Galliford de la GRC de Vancouver a téléphoné. Elle devait joindre les membres des familles des victimes. Elle avait retrouvé le nom de Maurice dans la paperasse de l’enquête initiale de 1985. La GRC en Colombie-Britannique tient lieu de police provinciale.

L’enquête n’était pas terminée. L’Agente Galliford devait nous prévenir de nous attendre à des développements majeurs imminents dans le dossier d’Air India. Du coup, elle nous a reportés au plus fort de notre chagrin devant l’assassinat inacceptable de Rachelle. Les responsables restaient impunis, mais il subsistait une chance pour que justice soit enfin rendue dans cette affaire.

Maurice a pris l’appel et je suis restée en ligne sur un autre appareil. L’Agente Galliford s’est identifiée et a expliqué la raison de son appel. L’émotion nous étouffait après toutes ces années de silence. N’y tenant plus, sans dire un mot, Maurice a tout doucement raccroché le téléphone; il me revenait donc de prendre le reste des détails et de renseigner les autres membres de la famille sur le peu que je venais d’apprendre. Pour l’instant, il n’y avait rien de plus à dire. La GRC de Vancouver devait tenir une vidéoconférence avec les membres des familles éprouvées à Ottawa, Toronto et Montréal au sujet des nouveaux développements. Tous ces renseignements étaient disponibles en anglais seulement, ce qui rendait la communication plus difficile pour certains membres de la famille, dont la mère de Rachelle, qui s’exprime difficilement en anglais. C’était une barrière importante.

Le coup a porté durement, j’étais déstabilisée. Le lendemain, je téléphonais aux autres frères et sœurs de Rachelle. Toutefois, j’avais prévu de me rendre sur place, en soirée, afin d’en informer les parents de Rachelle. Si moi, je me sentais fortement ébranlée, il serait encore plus difficile pour eux de revenir en arrière.

Par ailleurs, je m’interrogeais sur qui donc pouvait bien être cette agente de la GRC? Était-ce une démarche authentique? Ou était-ce une plaisanterie de mauvais goût? J’ai tout de même fait confirmer l’identité de l’Agente Galliford par une autre source au cours des jours qui ont suivi, afin de me rassurer.

De par mon expérience passée, je savais qu’en procédant ainsi, la démarche de la police pouvait servir à informer les membres des familles, bien entendu, mais elle pouvait également s’avérer une fuite calculée destinée à provoquer une action de la part de ceux qui étaient soupçonnés, et mener ainsi à leur arrestation. Cette hypothèse laissait présager que les auteurs de ce massacre auraient eu des liens avec des proches des membres de certaines familles des victimes. Ceci aurait aussi expliqué l’absence de substance du message initial de l’Agente Galliford. Le mot d’ordre, bien entendu, était de n’en parler en aucun cas en dehors de la famille…

Il n’en demeure pas moins que cet appel ravivait les plaies. Hervé et Dolorès, ses parents, ont écouté le message sur les nouveaux développements en essuyant leurs larmes. Nous étions loin d’avoir accepté le décès de Rachelle; pour certains membres de la famille, il était même impossible encore d’en parler. Nous évitions de mentionner son nom aux réunions familiales. Au moment où l’Agente Galliford a réveillé tous ces souvenirs en nous, certains membres de la famille ont demandé de ne pas être contactés directement par qui que ce soit au sujet de l’attentat. Le rappel de la fin brutale qu’avait connu Rachelle, le fait qu’on lui avait dérobé sa vie, l’atrocité et la douleur, tout revenait en lumière.

Les arrestations et le dépôt des accusations contre trois individus ont eu lieu quelques jours plus tard, les événements se sont alors précipités, sans vidéoconférence. Il y a eu par la suite, toutefois, un certain nombre de rencontres destinées aux familles des victimes, organisées par la GRC et le Bureau du Procureur général de la Colombie-Britannique. Encore une fois, dans notre pays aux deux langues officielles, toute l’information était disponible pour nous dans l’autre langue officielle. J’en parle ici afin d’illustrer les obstacles que nous avons rencontrés. Une employée bilingue du Bureau du Procureur général, toutefois, a pris la peine de téléphoner régulièrement chez les parents de Rachelle dans le but de s’assurer qu’ils comprenaient tous les renseignements disponibles.

J’ai pris part à presque toutes les rencontres à compter de ce jour, et Maurice m’y a accompagné au moins cinq fois. Chacune de ces réunions était empreinte d’émotions de la part de tous les participants. La GRC et le Bureau du Procureur général tentaient de tout mettre en oeuvre afin de rétablir et maintenir les communications avec les familles. Ils avaient recruté des personnes dévouées, sensibles, compatissantes, organisées et efficaces pour faire le lien avec les familles. Ce lien avait cruellement fait défaut pendant de trop nombreuses années.

Plusieurs participants à ces rencontres étaient désabusés et sans espoir face aux procédures qui se mettaient en branle, et devant la lenteur avec laquelle l’enquête avait progressé. Puis, le groupe s’est amenuisé, nous étions de moins en moins nombreux à assister à ces rencontres. Nous n’étions plus que deux familles représentées à rencontrer la GRC et les Services de renseignements canadiens, à la suite du verdict de non-culpabilité de mars 2005.

Durant tout le procès, les membres des familles ont eu droit à une foule de renseignements et au compte-rendu des comparutions grâce à un site Internet sécurisé, avec versions imprimées de ces pages Web, ainsi qu’à de multiples rencontres. Le Bureau du Procureur général avait aussi prévu de couvrir les frais d’un séjour à deux membres de chaque famille durant une semaine afin qu’ils puissent assister au procès à Vancouver. Après que tous les autres membres de la famille aient décliné l’invitation, je m’y suis rendu seule. Vous comprendrez que la mort de Rachelle dans de pareilles circonstances a suscité des craintes et de fortes appréhensions à l’endroit des voyages en avion chez certains membres de la famille. Qui peut les en blâmer? Ils sont aussi craintifs envers les représentants les plus visibles de la culture indienne.

Dans les bureaux du Procureur général, une salle était réservée aux familles. Le personnel était très patient et immensément attentionné à notre endroit. Au moment où j’ai aperçu la mosaïque de photos des victimes sur le mur du coin de recueillement, j’ai soudainement imaginé tous ces gens souriants qui étaient montés à bord avec la joie au coeur. J’ai réalisé à ce moment-là jusqu’à quel point notre famille ne pouvait être seule dans la douleur. J’ai vu l’atrocité de familles entières décimées, et la perte impardonnable de tant d’enfants.

Par ailleurs, lors du trajet du retour entre mon hôtel et l’aéroport, je me suis fait enguirlander par un chauffeur de taxi sikh qui m’avait prise pour une représentante du Bureau du Procureur général (qui réglait les frais de ma course). Celui-ci s’offusquait à ce qu’un jeune ressortissant indien en attente de sa citoyenneté canadienne, ayant été reconnu coupable d’une infraction sérieuse quelques jours plus tôt, soit retourné en Inde sans pardon. Il gesticulait et haussait le ton. Je n’ai rien dit, je ne connaissais pas l’individu ni ses limites. Pour lui, je n’avais pas le profil d’une représentante type de victime du vol 182 d’Air India. Il n’était pas le premier et ne sera pas le dernier à faire cette erreur. Quelques jours plus tôt, lors d’une pause durant le procès, une femme qui était avec le groupe des proches des accusés a tenté de m’intimider en claquant violemment chaque porte de la salle de toilettes alors que j’y étais; elle aussi devait me prendre pour une employée du Procureur général, puisque j’étais de race blanche. J’avais réussi à croiser le regard d’un des accusés lors de son entrée dans la salle. J’essayais de trouver le pourquoi d’un tel massacre. Il m’a simplement paru surpris de me voir parmi le groupe des familles.

La méprise vient de l’image qui a été présentée des victimes du vol 182 d’Air India que tous ont contribué à véhiculer, de l’ignorance, de l’indifférence, de l’apathie et même du racisme à tous les niveaux. Si je peux me permettre de vous expliquer comment nous vivons cette situation, à chaque fois qu’il est question de notre lien avec cette tragédie, nous, les Franco-ontariens, blancs et catholiques, nous devons nous justifier :

-Rachelle était-elle indienne? Non.

-Alors, elle était mariée à un Indien? Non.

-Mais alors, que faisait-elle dans un avion d’Air India? Les passagers des lignes aériennes ne sont pas déterminés par les races; pensez à Swiss Air, ou Japan Air Lines.

-Mais, je croyais qu’il n’y avait que des Indiens à bord de cet avion, et pas de Canadiens? Il y avait 280 Canadiens à bord, dont plusieurs étaient de descendance indienne, et 59 d’autres nationalités.

-Et si elle était francophone, c’est qu’elle résidait ou était originaire du Québec, alors? Non, c’était une Franco-ontarienne, née dans l’Est ontarien, et qui demeurait à Ottawa.

Et la plus récente qui démontre à quel point notre société est fermée aux autres cultures, que j’ai entendu moi-même de la part d’un représentant des médias qui tentait d’expliquer son apathie devant ce dossier : -‘Excusez-moi, j’ignorais qu’il y avait des blancs à bord’…

Même si les recommandations de la Commission n’y pourront rien, vous constaterez avec moi qu’il y a beaucoup de progrès à réaliser du point de vue de la considération offerte aux ethnies dans notre société canadienne.

Peut-être faut-il revoir ce qui nous porte à penser que les différences de races visibles peuvent créer le sentiment que leurs représentants n’appartiennent pas réellement au même pays que nous. Et mon commentaire touche autant les agents de police qui ont de la difficulté à faire la filature des individus d’une autre race, comme on l’a raconté lors du procès. Les personnages qui ont peuplé les émissions de télé de mon enfance et de mon adolescence offraient une image plutôt caricaturale de quiconque était de race indienne ou portait un turban : Michel le Magicien de la Boîte à surprise, Sadu Bedisha du Grenier, le fakir Yvon Yva, tous personnifiés par des blancs aux manières fortement stéréotypées. Ils étaient différents et ils faisaient partie « des autres », et dans nos quartiers homogènes et blancs, nous n’y étions confrontés que rarement. Les gens de minorités visibles illustraient le fascicule sur comment se brosser les dents, et demeuraient des « gens d’ailleurs ».

Et c’était la même chose pour ce qui était de la violence et du terrorisme. Nous étions en sécurité dans un pays de paix. Oh, il y a bien eu les événements d’octobre 1970 au Québec, qui avait fait un mort. Face à cette crise de terrorisme, le gouvernement avait demandé l’intervention des Forces armées canadienne pour patrouiller dans les rues de nos villes. On n’avait pas lésiné sur les moyens. Mais, c’était maintenant chose du passé. Les problèmes, c’était dans les autres pays. Dans notre cas, la réalité nous a rattrapés le 23 juin 1985, avec 331 victimes. Et cette fois-ci, il n’y a pas eu d’intervention, ni musclée, ni autre. Nous sommes passés d’un extrême à l’autre. Que faudrait-il pour que la réponse se situe au juste milieu?

L’indifférence (ou l’ignorance) ont établi la norme depuis 21 ans face à cet attentat terroriste issu du sol canadien. On n’a jamais voulu le reconnaître comme tel : un attentat terroriste. Par association d’idées, le mot d’ordre qui semblait être véhiculé par les autorités canadiennes et les propos des gouvernements qui se sont succédé au pays, laissaient croire que la question ne touchait pas le Canada, que les passagers étaient de nationalité indienne, de religion sikh ou hindoue, et que l’enquête devait être menée par quelqu’un d’autre, parce que l’avion avait explosé au-dessus des eaux internationales près de l’Irlande. Les médias ont emboîté le pas, du moins dans l’Est du pays, et la population s’en est trouvée rassurée : Le Canada était exempt de terroristes.

L’exclusion, pour nous, s’est également fait sentir au sein même des familles des victimes. C’est comme si tous ceux qui ne correspondaient pas au portrait type du passager de cette envolée devaient être exclus de la transmission des informations, des manifestations et des regroupements. Pour nous, de race blanche, étant francophones de l’Ontario, et catholiques, il était impossible de satisfaire ces prérequis (devenir tout à coup une famille d’origine indienne, de religion sikh ou hindoue). Si des renseignements destinés aux familles étaient communiqués à certains membres des familles, le message ne nous est pas toujours parvenu. Je vous donne en exemple les rassemblements commémoratifs, où aucune prière ou intention n’est habituellement prévue pour les francophones ou les catholiques. Nous devenons tout à coup la minorité visible au sein d’une minorité visible, l’ethnie qui devrait se conformer et adapter ses coutumes au reste du groupe. Et pourtant, nous représentons réellement une des 329 victimes. Je tiens à vous rassurer ici, car les difficultés à communiquer tendent de plus en plus à s’aplanir; il existe beaucoup plus d’ouverture dans le groupe, surtout depuis l’an dernier.

Alors, en même temps que le procès avait lieu, la production d’un livre souvenir retraçant le profil de plusieurs des victimes était destinée à nous aider à apaiser notre douleur. Cette initiative imprégnée de respect et de compassion était financée par le Bureau du Procureur général de la Colombie-Britannique. Le résultat est à la fois touchant, et poignant, mais soulève à nouveau les passions contre ces meurtres gratuits. Écrire, pour ce livre, la biographie de Rachelle près de 20 ans après sa disparition a été pour moi un exercice particulièrement difficile; je ne voulais rien oublier, je tenais à ce qu’on puisse la reconnaître. Dans la production de cet album, le comité de bénévoles a respecté ma demande de placer dans l’ordre la version originale de sa biographie en français avant la traduction du document en anglais, par respect pour les membres de sa famille. On nous a aussi fait parvenir une photo de l’océan, vue du site du monument commémoratif d’Ahakista, le site le plus près de l’endroit où Rachelle a péri. Regarder cette photo, c’est un peu comme se rapprocher d’elle.

Durant ce temps, les représentants du Bureau du Procureur général et de la GRC avaient commencé à vouloir minimiser les dégâts au fil des rencontres régionales avec les familles; s’ils s’étaient montrés assurés de condamner des coupables lors des premières rencontres, les propos devenaient maintenant plus nuancés. Certains témoins importants avaient été intimidés et n’ont pas osé parler, d’autres ont été tués à leur tour à la façon de règlements de comptes du crime organisé. En approchant du verdict, on commençait à laisser entendre la possibilité de n’avoir qu’un seul coupable.

Au lendemain du jugement, les grands quotidiens anglophones ont fait leur page frontispice avec les noms des 329 victimes; les journalistes qui ont suivi le procès ne comprenaient rien aux raisons évoquées pour expliquer ce verdict. Lequel des politiciens fédéraux a déclaré sur les ondes d’une station de radio d’Ottawa « People are sick and tired of Air India »? En fait, je ne veux même plus le savoir!

Nous étions dégoûtés plus que jamais du traitement que nous venions de recevoir de la justice canadienne. C’était envoyer un message clair aux groupes de terroristes : que le Canada n’est pas en mesure de sévir contre des crimes semblables perpétrés dans notre pays. Le procès aura été un écran de fumée destiné à faire taire les membres des familles des victimes qui réclament justice depuis 21 ans. Et la justice dont je parle ici n’est pas seulement celle de trouver et punir des coupables, c’est aussi celle d’avoir un système légal et judiciaire approprié pour faire face à toute éventualité.

Au cours des semaines qui ont suivi, comme un baume sur mes plaies, j’ai découvert l’existence d’une association formée des familles des victimes qui était sur pied depuis les premiers jours. Je l’ignorais jusqu’à ce jour. Puisque les procédures judiciaires avaient pris fin, cette association a pris le relais par défaut du système de courriel mis sur pied par le Bureau du Procureur général afin de nous informer. Le système auquel je fais référence était parmi les plus efficaces, mais devait cesser ses opérations en raison du verdict de non-culpabilité, créant un grand vide, malgré les besoins pressants que nous éprouvions tous d’en savoir davantage sur ce qui allait arriver. Ce sont des personnes bénévoles très dévouées qui ont pris la relève. Nous échangeons dans une langue commune à la plupart de nous : l’anglais.

Le procès aura été long et très coûteux au gouvernement de la Colombie-Britannique. Comment dénoncer le fait que des témoins importants ont été assassinés eux aussi avant de comparaître ou réduits au silence grâce à l’intimidation? Que les témoins qui ont osé parler doivent maintenant renoncer à leur vie calme et paisible d’avant, ne plus revoir leurs parents et leurs amis, et soient forcés à changer d’identité et à s’isoler dans d’autres localités? Que la justice représentée par un seul homme ne les ait pas crus, eux, mais qu’il ait donné foi à des témoins qu’il a lui-même reconnu être des filous?

Au lendemain de cette aberration, les médias de l’Est du pays n’ont pas insisté; on avait trouvé d’autres manchettes qui intéresseraient davantage leur auditoire (rappelez-vous, on croyait encore que les passagers ne comptaient ni Canadiens ni personnes de race blanche ni francophones, et que le terrorisme aérien en Amérique du Nord avait commencé avec le 11 septembre 2001). Et voilà, c’en était fait de la justice. Nous étions à nouveau seuls devant un verdict qui ajoutait l’insulte à l’injure.

Où est donc cette loi contre le terrorisme au Canada? Qu’offre-t-elle de plus que ce que nous avions avant sa proclamation? Qui s’est assuré de protéger le juge et les membres de sa famille contre l’intimidation lorsque celui-ci a dû s’absenter pour se rendre aux funérailles de son frère? Qui a remarqué que le ton du juge avait déjà avait changé à son retour durant la dernière portion du procès? Et notre système actuel de lois ne prévoit-il pas des sanctions contre les menaces et l’intimidation? Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu davantage d’accusations découlant de ce procès? Ce sont toutes des questions auxquelles nous ne trouvons pas de réponses.

Un seul des trois accusés avait plaidé coupable pour la fabrication de la bombe et il a écopé de cinq ans de prison. Cinq ans! S’il ignorait à quoi devait servir la bombe, comme il l’a prétendu, pouvons-nous au moins convenir dans notre société qu’une bombe, c’est une arme de destruction massive? Si la loi canadienne ne permettait pas plus de cinq ans d’incarcération dans son cas (parce qu’il en avait déjà purgé plusieurs pour d’autres chefs d’accusation), est-ce que c’était la Loi contre le terrorisme qui préconise ce calcul discutable? Nous avions été outrés par ce premier verdict, la non-culpabilité allait nous écoeurer d’un système de justice aux interprétations douteuses et de toutes les tractations qui les entourent.

Et rapidement, le bureau de la ministre de la Sécurité publique s’est mis en œuvre. Celle-ci a demandé à rencontrer les membres des familles. L’association des familles des victimes réclamait la tenue d’une enquête publique depuis le début dans toute cette affaire, et redoublait ses efforts suite au verdict. Sans la détermination et la persévérance de l’association, nous n’aurions pas, aujourd’hui, la possibilité de revoir l’approche canadienne face à un tel désastre. Nous sommes d’ailleurs très reconnaissants à l’endroit de l’association. Mais en mars dernier, le gouvernement nous donnait comme message : « Mais que peuvent-ils donc vouloir de plus? Ils viennent d’avoir un méga procès sur cette tragédie! » C’était bien là, la méprise : la tragédie était celle du 23 juin 1985, mais elle était aussi la tragédie des années de cafouillage qui ont précédé et suivi l’attentat!

Alors le ministère de la Sécurité publique a pressé les membres des familles de l’Est du pays de se rendre à Toronto, avec frais de transport et de séjour payés. Vite, vite, il fallait s’y rendre, que vous soyez disponibles ou non. Le jour de la rencontre, immédiatement après m’avoir personnellement assuré de donner suite à notre demande d’enquête publique sur l’attentat, sur l’enquête qui a suivi, et maintenant sur le procès, la ministre a rapidement repris un avion vers Ottawa. Aussitôt arrivée à la Chambre des communes, elle s’est inscrite contre la tenue d’une enquête publique! Et je l’ai vue voter en direct à la télévision. Qui donc pouvions-nous maintenant croire? Combien de nouveaux affronts fallait-il encaisser?

Dans les jours qui ont suivi, la ministre a nommé Bob Rae et une firme d’avocats privée pour mener une enquête auprès des membres des familles afin d’identifier ce qui pourrait justifier une enquête, et sur le type d’enquête il fallait mener. On allait recommencer la rencontre avec les familles. Une autre équipe de nouveaux venus dans le dossier se mettait à la tâche, redoublant de pression auprès des membres des familles pour qu’ils se rendent à des rencontres, avec de très courts préavis. Tel a été le cas pour la rencontre où M. Rae devait entendre les familles de la région de Toronto. Encore une fois, les organisateurs ont insisté pour que les membres de notre famille soient présents; on nous disait qu’il y avait de fortes possibilités que le Premier ministre soit présent. À un certain moment, j’ai senti qu’il était essentiel d’informer la représentante du bureau de M. Rae que les membres des familles n’étaient pas des criminels à traiter comme un troupeau et qu’il vaudrait mieux s’adresser à ces personnes en respectant leur douleur.

Ghislain Castonguay, le premier neveu de Rachelle, qui vit dans la région de Toronto, a assisté à la réunion au nom de la famille et a été entendre M. Rae et le Premier ministre Paul Martin.

À compter de cette date, la rumeur s’est intensifiée à voulant que le gouvernement canadien défraie une partie du voyage à deux personnes par famille qui désiraient se rendre en Irlande pour les célébrations du 20e anniversaire de la tragédie. Pour la troisième fois en moins de deux mois, il fallait se presser à prendre la décision, donner les noms immédiatement de ceux qui s’y rendraient. Sensiblement pour les mêmes raisons que celles évoquées pour se rendre à Vancouver lors du procès, je m’y suis rendue seule. Cependant, ce geste du gouvernement à l’égard des familles, qui rendait le voyage possible, a été hautement apprécié; il m’a permis de réaliser un souhait qui m’était cher.

Toutefois durant les semaines précédant le départ, il demeurait très difficile d’obtenir quelques renseignements que ce soit sur le déroulement de ces trois jours de célébration, ni sur les cérémonies protocolaires, ni sur les endroits, ni sur le mode de transport préconisé sur place. Pour quelques familles, ce pèlerinage s’effectue chaque année. Dans mon cas, c’était mon premier séjour en Irlande. Lorsque je demandais des renseignements aux responsables du ministère de la Sécurité publique, on me disait : « Tous les renseignements destinés aux familles ont été remis au représentant des familles, et celui-ci nous assure que tous ont été contactés…» C’est une autre occasion où les familles qui n’étaient pas de descendance indienne étaient exclues du circuit d’information. Comme j’étais de race blanche, on ne croyait tout simplement pas devoir m’informer de l’horaire des célébrations et de ce qui s’offrait aux familles.

Finalement, après maintes réclamations, ce sont les employées du Bureau du Procureur général de Colombie-Britannique qui ont repris du service afin d’informer les familles sur le cérémonial prévu, les distances à parcourir, et qui a fait noliser un autobus en Irlande afin de combler le besoin en transport entre les localités. À toutes ces dames, je dois un immense merci.

C’est à cette même époque, au mois de mai, que nous avons reçu la nouvelle qu’aux termes de la loi, la Couronne ne pouvait en appeler du verdict de non-culpabilité. Nous vivions une autre déception amère.

Alors, afin de tirer le maximum des tarifs aériens, il a fallu allonger la durée de mon voyage en Irlande de trois jours, et ajouter à mes frais de séjour. Pour ma part, il me fallait revenir dès le lendemain de la cérémonie à Ahakista afin d’assister au mariage d’une nièce de Rachelle, Annie, la preuve que la vie poursuit son cours malgré tout.

Puisque j’allais voyager sans d’autres membres de la famille, j’ai décidé de les apporter, à ma façon, surtout par égard pour sa mère, Dolorès. Le ruban rose orné de fine dentelle faite à la main que je porte depuis ce jour lorsque je me rends aux rencontres officielles a été confectionné par Dolorès. Rachelle, sa fille aînée, était pour elle l’enfant avec laquelle elle a appris son métier de mère. On reste toujours plus près de son premier enfant.

Au moment du voyage, le 23 juin, nous avons été privilégiés de la présence des chefs des grands partis politiques canadiens, en plus de celle du Premier ministre. Une horde de caméras de télévision et d’appareils photo suivait les politiciens, si bien qu’on a demandé aux familles de se tasser sur le gazon froid et mouillé par la pluie du matin, afin de ne pas nuire au cadre des retransmissions télévisuelles. On nous a aussi avisés de limiter le nombre de couronnes de fleurs, ce qui devait laisser plus d’espace aux couronnes officielles, et de les déposer avant ou après les cérémonies.

Plus d’une dizaine de dénominations religieuses ont présenté une prière ou un chant qui leur était propre; le prêtre catholique invité a dit une prière œcuménique neutre, en anglais. Une représentante de famille catholique et francophone, n’y tenant plus, a improvisé le Notre Père, en anglais, j’y ai répondu en français pour moi-même, isolée dans la foule. Les nôtres (catholiques) avaient droit à autant d’égards que les autres victimes de cette tragédie!

Après un bain de foule des politiciens canadiens, ceux-ci ont rapidement pris le chemin du retour, puisqu’en fin de journée, ils devaient voter sur le budget fédéral à la Chambre des communes, au Canada. Le matin même à Ottawa, on avait proclamé la journée de l’anniversaire comme la Journée nationale contre le terrorisme.

Ce voyage allait aussi me confronter à une surprise particulièrement angoissante. J’ai eu plusieurs échanges et conversations avec d’autres membres des familles qui s’étaient rendus sur place vingt ans auparavant afin d’identifier un être cher, ainsi qu’avec les bénévoles qui ont vécu cette catastrophe au quotidien pendant plusieurs jours. Il en est ressorti que des membres des familles présentes sont allés jusqu’à se battre entre elles afin de récupérer une des dépouilles, certains en sont venus aux coups et ont dû être séparés par les agents de sécurité de l’hôpital de Cork qui servait de morgue. L’unique exemplaire de certaines radiographies dentaires a été égaré durant le voyage en Irlande. Une famille de descendance indienne réclamait le corps d’une femme blanche. On m’a aussi raconté l’histoire d’un père qui a réussi à récupérer le corps de sa fille alors qu’elle allait se faire enterrer comme le petit garçon d’une autre famille, simplement en faisant remarquer que sa fille avait les oreilles percées. Le corps de Rachelle n’a jamais été retrouvé; les autorités nous ont recommandé de ne pas nous rendre sur place en 1985. Il n’en fallait pas moins pour que le doute s’installe en moi, à ce point-ci, nous n’en étions plus à un revers près… Rachelle aurait pu être réclamée par quelqu’un d’autre et être enterrée ailleurs sous un autre nom…

J’ai tenté d’aller consulter l’enquête du Coroner sur place au Palais de justice de Cork. On m’a recommandé de faire une demande par écrit. À mon retour, j’allais faire une demande d’une copie du document, qu’on m’avait assuré pouvoir obtenir gratuitement. J’ai demandé en particulier de voir la section portant sur la façon dont l’identification des corps avait été faite, de voir les figures des femmes retrouvées, et j’en ai profité pour demander copie des interventions du procureur qui représentait le Canada à l’enquête. Après une correspondance infructueuse, j’attends toujours la réponse de l’Ambassade canadienne vers qui le bureau du Coroner a préféré se tourner. Toutefois, en mai cette année, grâce à l’intervention de représentants de la GRC, on m’a démontré que les identifications avaient été bien réalisées, ce qui a été un soulagement pour nous. Pour ce qui est de l’intervention du procureur canadien, si la Commission aborde la question au cours de ses travaux, je n’en aurai plus besoin.

De retour dans l’Est ontarien après mon voyage en Irlande, j’attendais la rencontre prévue avec M. Rae dans la région d’Ottawa. Comme je n’étais pas disponible au mois d’août pour la rencontre collective, j’ai dû négocier afin de voir M. Rae seule, au début d’octobre. Finalement, ce contretemps m’a permis de lui faire part du malaise que nous éprouvions à nous exprimer au cours des grands rassemblements, face aux différences culturelles, religieuses et linguistiques. C’était la première fois que j’osais en parler. M. Rae allait en tenir compte dans son rapport. La rencontre s’est déroulée entièrement en français.

La journaliste du Vancouver Sun, Kim Bolan, s’est rendue à Ottawa quelques semaines plus tard afin de lancer son livre sur l’affaire Air India et le procès qui s’en est suivi. Organisé par une librairie d’Ottawa, aucun média de la région n’était présent au lancement, les médias francophones n’ont pas été avisés. Nous étions cinq représentants des familles à rencontrer Mme Bolan. La tension était forte dans la salle, en raison de l’intimidation faite à l’endroit de Mme Bolan par le groupe visé dans son livre.

Mme Bolan a toutefois fait remarquer que si nous devions être des citoyens canadiens pour avoir le droit de voter, la loi ne l’exigeait pas pour autant des membres des partis politiques. De plus, les partis politiques qui mènent successivement nos gouvernements ne remettent pas nécessairement en question l’origine des contributions monétaires qui sont versées dans leur coffre. C’est une question importante sur laquelle nous avions cru que la Commission devrait se pencher dans le contexte de l’attentat, du point de vue de l’influence et des pressions auprès des autorités gouvernementales dans le but de reléguer l’Affaire Air India aux oubliettes.

À suivre demain…

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Le témoignage d’une famille éprouvée (1)

La présentation de Monique Castonguay devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006, est aussi un témoignage à la première personne de ce qu’a vécu sa famille entière en lendemain de ce terrible acte de terrorisme. Je tenais à partager ce témoignage avec mes lecteurs et à le consigner sur le Web dans mon blogue. Comme je l’écrivais hier, il n’y a pas eu d’autres événements du genre qui ont touché des communautés de Prescott-Russell d’une telle façon. Voici la première de trois parties :

Monsieur le Commissaire,

Merci d’avoir accepté la responsabilité de mener à bien une enquête publique de cette importance. Nous, de la famille de Rachelle Castonguay, espérons que cette Commission puisse aller au fond des choses qui ont entouré l’attentat contre le vol 182 d’Air India, le 23 juin 1985. Cette Commission d’enquête jettera la lumière sur les non-dits et sur ce qu’on aura évité de dire aux membres des familles éprouvées par cet acte de terrorisme aérien. Car c’est bien d’un acte de terrorisme dont il est question, le plus meurtrier qu’ait connu le Canada, et ce, avant que ne surviennent les événements du 11 septembre 2001 à New York.

Depuis 21 ans, les démarches entourant la tragédie d’Air India restent énigmatiques et nébuleuses. Les renseignements qui parviennent aux familles des victimes de sources officielles et non officielles indiquent que cet acte de terrorisme aurait pu être évité, c’est-à-dire, qu’on a laissé monter 329 personnes à bord du vol 182 par manque de conscience, par manque de jugement et par négligence. Rachelle Castonguay était de ce nombre, et je parlerai aujourd’hui au nom de sa famille et de ses proches.

Nous avons de grandes attentes à l’endroit de cette enquête publique. Nous savons très bien que rien ni personne ne réussira à ramener Rachelle à la vie; elle repose au fond de l’océan Atlantique, parmi ceux et celles dont le corps n’a jamais été retrouvé. Cependant, il faut que des changements aux lois et réglementations soient apportés afin d’éviter qu’un désastre semblable ne survienne à nouveau, ici, au Canada. Il faut que les agents représentant la loi et l’ordre soient plus conscients des préoccupations des groupes de pression, ainsi que des expériences de vie des immigrants en provenance de pays où la destruction et la violence se conjuguent au quotidien. Je tenterai de relever ces points tout au long de ma présentation. Cette participation a pour but de contribuer à l’analyse constructive des événements des 22 dernières années.

Mon nom est Monique Montpetit Castonguay, je suis mariée à Maurice Castonguay, le frère de Rachelle. Notre fils avait 7 mois et demi lors de la disparition de Rachelle. Je suis née à St-Polycarpe (au Québec), j’ai grandi à Salaberry-de-Valleyfield, et j’habite Casselman (en Ontario) depuis l’âge de 16 ans. Je suis agente de communications au gouvernement fédéral, à Ottawa.

À mes yeux, aucune cause, aucune raison, aucune mission ne peuvent justifier le meurtre gratuit de Rachelle Castonguay. Elle était ma belle-sœur. Résidente d’Ottawa, née à St-Isidore-de-Prescott (en Ontario), Rachelle était une femme brillante de 32 ans, promise à un excellent avenir. Son travail consistait à mener des études sociales des populations dans certains secteurs géographiques pour le compte du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien; elle détenait d’ailleurs une maîtrise de l’Université d’Ottawa dans ce domaine. Elle avait d’ailleurs réalisé plusieurs études sur les populations autochtones du Canada, notamment les bandes amérindiennes Métis et Déné. Rachelle était célibataire, sans enfants et vivait seule.

En retour, Rachelle était entourée de ses deux parents, Hervé et Dolorès, elle était l’aînée de quatre frères et de deux soeurs, Louis, Maurice, Denise, Robert, André et Julie. Elle était la tante quatre neveux et nièces, et avait de trois de ses grands-parents. Au moment de son décès, elle ne comptait pas moins de 34 oncles et tantes ainsi que plus de 75 cousins et cousines. Vous pouvez ajouter à son environnement d’innombrables amis, des collègues de travail, des confrères et consœurs de classe et d’université. Tous ces gens sont issus majoritairement de l’Est ontarien et l’Outaouais québécois, mais certains sont aussi dispersés dans les quatre coins du pays ainsi qu’à l’étranger. Toutes ces personnes ont été directement touchées par la mort violente de Rachelle.

Rachelle pouvait être sérieuse et dédiée à son travail lorsque le contexte l’exigeait, mais avant tout, elle respirait la joie de vivre. Elle trouvait toujours du temps pour chacun de nous, malgré un emploi du temps toujours bien rempli.

Alors, avec un groupe d’amis, Rachelle avait entrepris d’aller visiter l’Inde, mais en choisissant cette fois-ci une approche différente du circuit touristique habituel, ce que leur offrait l’agence de voyage World Adventure Tours. Elle partait avec ce petit groupe de francophones dans le but de s’imprégner de la culture indienne durant deux semaines; elle prévoyait même y faire de l’escalade dans les montagnes de l’Himalaya.

Par ailleurs, elle avait fait ajouter une semaine à son voyage en Inde dans le but de recueillir des données qui lui serviraient à étoffer la thèse de doctorat en géographie sociale qu’elle préparait.

Rachelle voyageait souvent. Mon mari et moi pensions à tort que la date de son départ était fixée plus tard dans l’été. Nous ne l’avions pas revue depuis plusieurs semaines. Alors, le coup de fil de l’avant-midi du dimanche 23 juin a résonné comme un rappel à l’ordre. Au bout du fil, son frère Louis (emporté par le cancer depuis) m’a dit promptement : « Passe-moi Maurice! » Maurice, je me souviens, tondait le gazon. Je suis allé le chercher rapidement en lui confiant qu’il devait se passer quelque chose de sérieux puisque Louis n’avait pas pris le temps de blaguer, comme à son habitude.

La nouvelle est tombée au moment où Maurice a pris l’appareil; il a simplement répété, abasourdi, ce qu’il venait d’entendre : « L’avion de Rachelle a ‘crashé’!!?? » Déjà, il en était question dans certains bulletins de nouvelles à la radio. C’était un avion d’Air India en provenance du Canada qui avait explosé au-dessus de l’océan Atlantique. Des amis de Rachelle qui avaient retenu le numéro de son envolée avaient commencé à téléphoner à Denise. Denise était son contact principal; elle avait été la conduire la veille, à Mirabel avec une autre amie, Colette Allard, qui prenait le départ avec elle. Malheureusement, tous les détails donnés à la radio concordaient : la ligne aérienne, le numéro de l’envolée et l’heure du départ. Denise avait averti Louis avant de se rendre chez ses parents sur la ferme familiale à St-Isidore-de-Prescott. Louis, partenaire sur la ferme et voisin, devait les joindre après avoir informé Maurice, et son autre frère Robert, également partenaire sur la ferme et voisin de ses parents. André et Julie demeuraient encore chez leurs parents à cette époque.

Un sentiment de panique nous envahissait. « Aucun survivant » répétait la radio.

Personne ne sait exactement quoi faire dans de pareilles circonstances. Qui devait agir et comment? En même temps, malgré nous, on l’imaginait en chute libre, on partageait sa peur et la terreur de ses derniers instants.

Tentant de joindre la ligne aérienne en espérant qu’il y ait erreur quelque part dans les renseignements donnés dans les bulletins de nouvelles, ou que Rachelle ait pu être retenue à terre pour quelque raison que ce soit, nous étions face à un mur. À ce moment, peu de renseignements étaient disponibles aux membres des familles, et à peine plus aux médias. La compagnie, toutefois, prenait les noms et les numéros des personnes qui réclamaient des passagers afin de dresser une liste préliminaire. R. Castonguay. C’était tout ce qui identifiait Rachelle dans le registre de la compagnie. L’ère des ordinateurs en étaient seulement à ses premières heures.

Maurice et moi sommes restés à la maison, en attente de nouveaux développements. Nous en savions bien peu. Denise nous a appris par téléphone que la veille, l’avion avait été retardé à Toronto. Durant ce délai, ensemble à Mirabel, tout le monde avait fait des blagues quant à un éventuel détournement d’avion – rappelez-vous, le détournement d’avion était la méthode préférée des terroristes aériens en 1985, ils s’en tenaient uniquement à menacer de tout faire sauter afin d’attirer l’attention publique et de se rendre à une autre destination.

J’étais encore journaliste ce jour-là; j’avais à peine donné ma démission, la semaine précédente, et il me restait une semaine de travail auprès de l’hebdomadaire Le Carillon de Hawkesbury. Le téléphone était encore le meilleur outil de communication en 1985. J’ai tenté d’en savoir davantage en utilisant le numéro réservé aux médias pour joindre le bureau d’Air India à New York. On situait l’explosion au-dessus de l’Atlantique, près des côtes d’Irlande, mais on en ignorait la cause. Les équipes de secours procédaient au repêchage des corps des victimes, avec peu de probabilités de survivants, mais on nous spécifiait que le secteur était exempt de requins (une information qui s’est révélée fausse par la suite, et qui a fait très mal aux membres des familles éprouvées).

Malgré un dimanche au ciel ensoleillé, le service téléphonique menant à la maison de la ferme familiale est tombé en panne tout le reste de la journée. Les membres de la famille sur la ferme avaient l’option de se rendre chez un voisin plus éloigné pour téléphoner, ou de se rendre chez nous, au village de Casselman, ce que les parents de Rachelle ont décidé de faire. Denise et son mari Michel n’ont pas tardé à se joindre à nous. Les autres membres de la famille étaient restés sur place pour assurer les travaux sur la ferme.

C’est à ce moment que la compagnie aérienne a rappelé pour confirmer la présence de Rachelle à bord de l’appareil qui s’était abîmé. En retour, la compagnie nous a demandé le nom de la ou des personnes qui seraient disposées à se rendre en Irlande le soir même ou le lendemain matin, afin d’aller identifier les victimes repêchées dans la mer et de rapatrier les corps. Il fallait décider vite. Hervé et Dolorès ne pouvaient pas s’absenter de la ferme pour une aussi longue période et ils étaient moins familiers avec le transport aérien. Après de courtes discussions, Denise s’est portée volontaire à la condition de ne pas s’y rendre seule. Celle-ci disposait de renseignements susceptibles de faciliter l’identification, y compris la description des vêtements que portait Rachelle à son départ. Son mari et Maurice ont convenu de l’accompagner. Toutefois, ils devraient attendre au lendemain matin afin d’obtenir un passeport en règle pour voyager outre-mer.

Le ministère des Affaires étrangères allait rouvrir exceptionnellement leur bureau d’émission de passeports de Hull, au Québec, un 24 juin, journée fériée de la St-Jean-Baptiste, afin de traiter les demandes de passeport des familles éprouvées. Cependant, Maurice et Denise n’avaient pas l’acte de naissance requis et ils devaient obtenir un baptistère de la paroisse de St-Isidore-de-Prescott comme pièce d’identification principale. Pour comble, le curé était exceptionnellement en vacances. Afin de solutionner cette nouvelle impasse, nous avons demandé l’intervention d’un ancien curé de St-Isidore et ami de la famille qui était évêque auxiliaire à l’Archevêché d’Ottawa, Mgr Gilles Bélisle. Finalement, le sacristain de la paroisse a publié en soirée les documents officiels en suivant les instructions prescrites par le responsable de l’Archevêché. Le lendemain, Maurice, Denise et Michel ont dû se rendre à Hull dès 8 heures, revenir à Ottawa afin de faire prendre une photo de passeport, retourner à Hull, et revenir à Ottawa pour faire authentifier leurs photo et demande, avant de retourner pour une troisième fois à Hull et obtenir leur passeport.

Ils ont ensuite pris la route de Montréal, où ils devaient tout d’abord rencontrer les responsables d’Air India dans un bureau du centre-ville; ils étaient censés partir pour l’Irlande immédiatement après cette réunion. Dans la salle avec les autres familles, les responsables ont indiqué qu’un seul représentant par famille était autorisé à se rendre sur place, en raison d’une trop grande affluence de visiteurs à Cork, en Irlande. Le départ se ferait le surlendemain. Donc toutes les personnes qui avaient fait le déplacement vers Montréal ont dû rebrousser chemin et attendre.

Maurice est devenu le représentant de la famille qui devait se rendre en Irlande à ce moment-là. Il est retourné le mercredi matin, seul, au bureau d’Air India à Montréal, convaincu de se rendre en Irlande, mais encore une fois, on a reporté son départ. On lui a recommandé de rester au Canada. C’est que de moins en moins de victimes étaient repêchées, et on l’aviserait si un corps correspondant à la description de Rachelle était retrouvé. En début de semaine, son dentiste, qui était aussi un des amis de Rachelle, était venu de lui-même porter à la maison ses radiographies dentaires afin de faciliter son identification, le cas échéant. Les documents ont été remis le mercredi aux représentants d’Air India qui en faisaient la demande. Ceux-ci avaient aussi obtenu les empreintes digitales de Rachelle (probablement de son dossier de la Fonction publique).

Maurice s’est établi un bureau de travail au sous-sol de la maison pendant les jours qui ont suivi, attendant les appels et les développements. On lui a remis deux billets de la compagnie Air India dont il pourrait disposer au cours de la prochaine année qui lui permettraient de se rendre à la destination de son choix. Les billets sont restés inutilisés.

La gardienne de notre bébé s’acquittait d’une partie des messages téléphoniques en notre absence. De mon côté, j’étais retournée au journal compléter ma dernière semaine de travail là-bas. Autant le métier de journaliste peut parfois donner accès à des sources d’information hors d’atteinte du grand public et ouvrir des portes lorsqu’il s’agit d’entrer en communication avec les personnages les plus importants, autant je me suis sentie personnellement impuissante devant l’ampleur de la catastrophe. Le nombre de corps repêchés diminuait de jour en jour, et nous ne savions toujours pas ce qui avait mené à l’explosion de l’avion en plein vol. On commençait à en déduire que c’était une bombe.

Les médias d’information avaient diffusé les noms des victimes de la région dès le lendemain; c’est alors que des malfaiteurs ont commencé à cambrioler les demeures des victimes, tels des pilleurs de tombes. La Sûreté municipale d’Ottawa a invité la famille de Rachelle dès le mardi à vider l’appartement de son contenu dès que possible. Son père, Hervé, s’y est rendu le mardi soir avec son gendre Michel, afin de fouiller les papiers personnels de sa fille, à la recherche d’un quelconque testament et de factures à payer, comme le lui avait recommandé son avocat. Cette démarche a été pour lui une des plus éprouvantes, après le décès de sa fille aînée. Le lendemain, c’est donc dans ce pénible atmosphère que sa mère Dolorès, ses sœurs Denise et Julie, ses frères Louis et Maurice (à son retour de Montréal), ses belles-sœurs Lorraine et Lise, son beau-frère Michel, ainsi qu’une amie, Lise Thériault, ont dû empaqueter les effets personnels de Rachelle en vitesse afin de les ramener à la maison de ses parents. Des amis et des collègues de travail de Rachelle, ne croyant pas à ce qu’ils entendaient, ont été voir à son appartement au moment du déménagement de ses affaires, ou se sont rendus à son bureau pour constater de visu que Rachelle n’était plus là.

Suite à l’explosion, dès les premiers jours, plusieurs rencontres de prières et vigiles organisées par des membres des familles et des amis ont eu lieu dans la région d’Ottawa. Les différences culturelles entre notre famille et celles de la majorité des passagers (de descendance indienne) se sont précisées pour nous à compter de ce moment-là; nous constations à regret qu’il n’existait presque aucun repère auquel nous pouvions nous identifier au cours de ces rencontres qui puisse être franco-ontarien ou catholique, dans tout ce qui s’est mis en branle autour des événements du 23 juin. De plus, bien peu d’interventions et de messages officiels adressés aux familles se sont faits dans notre langue.

Un représentant de la Gendarmerie royale du Canada, le premier à communiquer avec la famille, a joint Maurice à la maison vers le 27 juin pour indiquer que toutes recherches en vue de retrouver d’autres victimes allaient bientôt cesser et qu’il fallait considérer ne jamais rapatrier le corps de Rachelle. On semblait être plus intéressés à récupérer des pièces de l’appareil, comme la boîte noire. Devant les faibles possibilités de ramener sa dépouille au pays, les parents de Rachelle ont fait célébrer un service funèbre commémoratif dans sa paroisse natale, à St-Isidore-de-Prescott. Le monument familial au cimetière porte maintenant l’inscription du nom de Rachelle, même si elle n’y repose pas physiquement. Le soir du service, je m’entends encore dire à une connaissance qu’à mes yeux l’auteur de cet attentat était ni plus ni moins qu’un tueur en série, que son crime était équivalent à avoir poignardé les 329 victimes une à une. C’était quelqu’un de lâche qui n’avait pas eu le cran d’aller jusqu’au bout et de revendiquer son méfait afin de s’en éviter les conséquences.

La photo la plus récente de Rachelle, celle qui a été la plus circulée, avait été prise la veille de son départ par un collègue de travail. Bien que sa photo ait été reproduite à plusieurs exemplaires pour ses parents et amis, il n’y a jamais eu de cartes mortuaires imprimées en son nom; c’était au-delà des forces de ses parents, atterrés par le chagrin.

Entre-temps, les médias ont continué de faire état qu’une bombe aurait été à l’origine de cette tragédie, mais aucun groupe n’a eu l’audace de revendiquer ce massacre. Puis plus rien. Silence. Néant. Plus rien ne transpire de l’enquête, ni des autorités, ni des médias qui étaient notre seule source de renseignements. Le gouvernement du Canada avait offert des condoléances aux familles des victimes dans une lettre officielle signée de la main du Premier ministre, en nous assurant de tout l’appui possible dont nous pourrions avoir besoin… Mais quelle aide gouvernementale exactement pouvait bien nous servir? Et d’autre part, quelle aide gouvernementale était donc disponible? Rien ni personne n’en faisait état. Nous étions tous ébranlés et fortement secoués par la tournure des événements, et laissés à nous-mêmes.

Comme toutes les familles des victimes, nous avons notre fierté et voulions conserver notre dignité; nous avons appris à redresser l’échine malgré l’adversité, et à nous débrouiller seuls.

Maurice s’est acquitté de faire fermer le dossier d’employée fédérale de Rachelle, ainsi que de toute la paperasse bureaucratique qui s’ensuivait. Un avocat embauché par Hervé, le père de Rachelle, effectuait les autres démarches légales d’usage dans le cas d’un décès outremer, et lorsque le corps de la victime n’est pas retrouvé. C’est le cas de la certification du décès; personne n’ose vraiment y croire jusqu’au moment où le document, le certificat de décès officiel, nous arrive sous les yeux.

De mon côté, mon nouvel emploi aura duré trois semaines; je me suis donc retrouvée à la recherche d’un emploi.

Puis l’enquête du Coroner de Cork en Irlande nous ramène quelques informations par la voie des médias. Le gouvernement canadien y est représenté et tout se déroule bien, selon la version officielle. La théorie de la bombe à bord est de plus en plus fondée. Nous apprendrons par la suite, par le biais d’un article d’un quotidien de Cork obtenu par un membre d’une autre famille des victimes, que l’avocat canadien a refusé de reconnaître cette théorie de bombe parce que la valise échouée après un séjour de trois semaines dans l’océan ne portait pas de trace d’explosif. Celui-ci a par la suite offert une argumentation flamboyante au Coroner quant à la juridiction de ses recommandations sur le gouvernement du Canada. Les quotidiens de Cork en Irlande en ont fait leur manchette, les médias du Canada n’en ont peu ou pas parlé. Les familles étaient tenues à l’écart de ces détails disgracieux, et rien n’a transparu dans la version officielle. J’ai retrouvé ces articles en microfiches à la bibliothèque municipale de Cork l’an dernier, lors de mon séjour en Irlande pour le 20e anniversaire de cette tragédie.

Au cours de l’automne suivant l’attentat, la GRC a demandé de rencontrer Maurice pour lui présenter une série de photos des femmes parmi les victimes dont la dépouille n’avait pas été réclamée. Procédure éprouvante, s’il en est une, mais qui devait tout de même avoir lieu. L’agent savait qu’elles étaient toutes de descendance indienne, que les radiographies dentaires et les empreintes digitales prouvaient que toutes ces femmes n’étaient pas Rachelle, mais il devait faire son boulot. C’est alors que Maurice a obtenu le renseignement suivant : il n’y avait que neuf femmes blanches à bord, et Rachelle était de celles-là. Mais il avait fallu se soumettre à cette nouvelle épreuve.

Depuis le 23 juin 1985, il y a eu quelques demandes d’entrevues de la part des médias, et certains autres appels au moment des anniversaires de la tragédie. On était à la recherche d’émotions vives, du chagrin en direct qu’on pourrait traiter en deux phrases si possible. Mais puisqu’il n’y avait pratiquement pas de développements connus par les familles, les médias de l’Est du pays en ont conclu qu’il n’y avait donc rien de plus à ajouter. Ceux-ci avaient rapidement cessé de questionner les autorités à ce sujet. Ils ne faisaient pas le lien, non plus, avec l’attentat de Narita qui avait tué deux bagagistes au Japon le même jour. Nous ne savions même pas qu’une enquête se poursuivait à la GRC et encore moins qui la menait et où. Les membres de notre famille, lassés d’avoir à rouvrir leurs blessures en public au bénéfice de chaque entrevue, ont commencé à décliner les demandes des médias afin de tenter d’amorcer leur deuil.

D’autre part, la sortie du livre de Salim Jiwa sur cet événement, à l’automne 1986, nous a révélé les premiers détails de la teneur politique du complot. C’était un groupe terroriste qui était à l’origine de cet assassinat collectif. Rachelle n’avait rien à voir dans cette guerre intestine! Elle n’avait pas de sang indien et on ne pouvait pas lui prêter d’intentions politiques au moment où elle a acheté son billet d’avion de la compagnie Air India!

Plusieurs d’entre nous ont lu le bouquin. On y précise que les sauveteurs qui ont repêché les corps des victimes devaient se battre contre les requins… C’était le début d’une série de nouvelles blessures au coeur des membres de notre famille.

J’ai tenu plusieurs emplois durant les années suivantes, dont l’un à la Chambre des communes. Sans chercher à questionner, une rumeur est toutefois parvenue à mes oreilles. De source bien informée, j’ai appris que la préparation de l’attentat contre Air India était bel et bien connue des services de sécurité du Canada avant le 23 juin 1985. Les employés en discutaient ouvertement au café comme s’il s’agissait d’un banal fait divers.

Puis en mai 1987, le ministère des Affaires extérieures a fait parvenir à chaque famille un coffret souvenir contenant une vidéocassette et des documents portant sur l’inauguration d’un monument commémoratif à Ahakista, en Irlande; ce sont des images touchantes qui inspirent le recueillement. Depuis juin 1985, certains membres des familles de victimes ont gardé le contact par téléphone avec Hervé, le père de Rachelle, et sont même venus le visiter à la maison, afin de discuter et échanger sur certains développements.

Nous avons appris par les médias, au fil des ans, que le chef présumé du groupe de terroriste avait été tué quelque part en Inde, coincé dans une embuscade. Pour nous, nos espoirs de justice s’arrêtaient là. Ça signifiait que les autorités allaient clore l’enquête, puisqu’un coupable tout désigné était mort. Nous ne pouvions plus rien espérer.

À suivre demain…

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Air India nous avait touchés directement

Cela avait été toute une semaine pour celle qui faisait partie de ma salle de rédaction depuis neuf années. Dans ma chronique du 26 juin 1985, je fais référence à son départ du journal Le Carillon pour aller occuper le poste de chef d’équipe en radiologie à l’hôpital Montfort d’Ottawa. « Monique Castonguay, de Casselman, quitte en effet son poste de journaliste cette semaine. » Elle était la première à montrer le chemin aux autres. Charles Burroughs devait quitter son poste l’année suivante; et moi, l’année après. Mais ce n’était pas tout.

À la une de cette même édition, nous lisons que sa belle-sœur, Rachelle Castonguay, était au nombre des 329 victimes du fameux Vol 182 d’Air India auquel on fait encore référence aujourd’hui. « À 32 ans, Rachelle Castonguay, célibataire, avait décidé de prendre un mois de vacances aux Indes, avec une tournée de World Expedition dans l’Himalaya. Elle se récompensait en quelque sorte pour le nouveau poste d’analyste en recherches et affaires universitaires qu’elle venait d’obtenir du ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien. Quand elle a embarqué dans l’avion, à l’aéroport Mirabel, elle ne se doutait évidemment pas que quelques heures plus tard, à 3 h 13 du matin de notre heure, le Boeing 747 Jumbo allait littéralement se pulvériser au-dessus de l’Atlantique, à 170 milles nautiques des côtes irlandaises. Parti de Toronto, l’avion se rendait à Bombay, avec escale à Londres. Les causes exactes de la tragédie ne seront sans doute pas connues avant plusieurs mois, mais l’hypothèse d’une puissante bombe apparaît présentement comme la plus plausible. » Le reste, comme on dit, fait tristement partie de l’histoire. Pendant de très nombreuses années, le sort de Rachelle est devenu une énorme préoccupation pour Monique et son mari Maurice, le frère de Rachelle, ainsi que toute la famille Castonguay. Chaque fois que nous nous parlions – parce que nous n’avons jamais perdu contact –, la question revenait. Il y avait eu bien sûr de nombreuses autres victimes, dont 28 résidants de la région d’Ottawa, mais celle-là nous touchait directement… d’abord la communauté de St-Isidore/Casselman, mais aussi les ex-collègues de Monique au journal. Pour nous, la vie continuait, mais pour Monique et sa famille, ce sont au moins deux décennies difficiles qui s’ensuivraient. Leur vie ne serait jamais plus la même.

En passant, Monique me dit que le 23 juin (2013), au monument du Parc des Commissaires au Lac Dow, à Ottawa, il y aura une cérémonie à la mémoire des 329 passagers et des deux bagagistes de Narita – c’est ouvert à tout le monde et ça commencera à 17 heures. Sur le site de Sécurité publique Canada, on peut lire ce qui suit à propos de ce monument commémoratif :

« Le site commémoratif qui a été donné et conçu par la Commoission de la capitale nationale est composé d’un sentier menant à une place publique fermée de forme ovale, asphaltée et pavée. On y retrouve également une plaque de bronze sur laquelle apparaissent les noms de toutes les victimes de cette tragédie du 23 juin 1985. La plaque est orientée vers l’est, en direction de l’Irlande, pays où la tragédie est survenue. La place publique avoisinante favorise la réflexion et le souvenir. Les fusains de l’Est et les plantations de seringa qui fleurissent en juin sont des symboles vivants de paix. »

Dans mon billet de demain, de mercredi et de jeudi, je reproduirai la présentation de Monique devant la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, le 3 octobre 2006. Je sais que ce sont des souvenirs insoutenables pour la famille Castonguay, mais que je ne connais pas d’autres événements qui continuent à marquer pendant si longtemps notre petite histoire locale.

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En Ontario, le libéral David Peterson est le nouveau premier ministre à la suite d’une forme de coalition convenue avec le Nouveau parti démocratique de Bob Rae. Les conservateurs minoritaires de Frank Miller avaient été défaits rapidement et, pour éviter une élection, les deux partis de l’opposition avaient décidé d’offrir une alternative au lieutenant-gouverneur John Black Baird. Les rumeurs avaient voulu que Jean Poirier, le député de Prescott-Russell, hérite d’un ministère, question de nommer un Franco-Ontarien, mais Peterson lui avait préféré René Fontaine et Bernard Grandmaître, deux vieux routiers libéraux. Par contre Poirier avait été nommé secrétaire parlementaire à l’Environnement, un domaine qui l’intéressait énormément de toute façon.

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Michel Denis était chef intérimaire de la Sûreté municipale de Hawkesbury depuis le départ de Maurice Durocher. Dans le journal du 10 juillet 1985, on apprend qu’il est maintenant officiellement le nouveau chef. Âgé de 34 ans, il était policier à Hawkesbury depuis une douzaine d’années. « On le considère comme un policier de la nouvelle école. »

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La mise en échec chez les jeunes hockeyeurs

La question de la mise en échec corporelle (le contact) au niveau pee-wee du hockey mineur au Canada a refait surface récemment avec quelques provinces canadiennes qui l’interdiraient dorénavant. Un article dans Le Carillon du 29 mai 1985 cite le président de l’Association du hockey mineur de Hawkesbury (votre humble serviteur) qui n’avait pas apprécié la décision de l’Association canadienne de hockey amateur de permettre la mise en échec corporelle au rang pee-wee à partir de la saison 1985-1986. « Filion ne voit pas toutefois l’Association locale interdire le contact physique étant donné que les jeunes joueurs locaux seront appelés à jouer contre des jeunes qui utiliseront cette technique de mise en échec. ‘Si nos jeunes n’y sont pas habitués, dit-il, ce pourrait être dangereux pour eux.’ » C’est également pour cette saison-là que l’ACHA avait modifié les catégories d’âge, en y ajoutant une année. « Ainsi, les novices seront maintenant de 8 et 9 ans; les atomes, de 10 et 11 ans; les pee-wee, de 12 et 13 ans; les bantams, de 14 et 15 ans; les midgets, de 16 et 17 ans; et les juvéniles, de 18 et 19 ans. » Les jeunes de 17 ans pouvaient donc continuer à pratiquer leur sport favori dans les structures du hockey mineur.

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L’Union des facteurs du Canada, qui était alors le syndicat représentant les facteurs au pays, avait conçu son « programme de vigilance » depuis alors une année et avait décidé de le renouveler. Il en est question dans le journal du 12 juin 1985. Dans la région, seule Hawkesbury pouvait en profiter puisqu’il s’agissait de la seule communauté offrant le service des facteurs. « Le programme consiste à demander aux facteurs d’effectuer une surveillance discrète des logis de personnes âgées ou handicapées vivant seules. Lorsque le courrier n’a pas été ramassé depuis plus d’une journée, ou que le signal convenu entre le facteur et la personne n’a pas été donné, le facteur appelle les Services communautaires où quelqu’un s’assure que tout va bien. » Je sais que pendant de nombreuses années, alors que j’étais à Postes Canada, ce programme faisait la fierté des facteurs partout au pays. Je ne sais pas si le programme existe encore, bien que je soupçonne que plus d’un facteur continue à être vigilant. Par contre, les itinéraires changent tellement souvent de nos jours qu’il est fort possible que les facteurs en soient tout simplement incapables.

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En fait, nous cherchions un bon caricaturiste depuis le départ de Daniel McKale plusieurs années auparavant. Dans le journal du 26 juin 1985, nous annonçons l’arrivée dans nos pages « de celui que plusieurs considèrent comme l’un des meilleurs, sinon le meilleur, des caricaturistes franco-ontariens », Michel Lavigne, de Rockland. Michel était à l’emploi de la compagnie Les Illustrateurs. Sa première caricature : David Peterson, en prince, tenant sa princesse, Bob Rae, après avoir tué le dragon Frank Miller. Un dessin superbement réalisé. Ce sera comme ça pendant plusieurs années. J’ai toujours chez moi, deux caricatures que Lavigne a réalisées de moi… une pour marquer mon départ du journal Le Carillon et une autre pour souligner mon rôle de président du Comité d’aide au développement des collectivités de Prescott-Russell vers la fin des années 90. Les deux sont suspendues fièrement à un mur de mon bureau.

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De Plantagenet à Jiagedagi

De petites histoires de réussites locales sont toujours intéressantes et c’était comme ça à l’époque. Dans Le Carillon du 29 mai 1985, par exemple, on y lit qu’une « petite entreprise de Plantagenet spécialisée dans la construction de roulotes de chantier préfabriquées procédera d’ici quelques jours à l’installation de trois édifices préfabriqués en Chine. L & R Trailer Manufacturing, propriété du maire de Plantagenet, André Langlois, et de son associé Sylvain Rieux, a en effet livré en décembre dernier trois unités préfabriquées, dans la localité de Jiagedagi, province d’Heilongjiang, en République populaire de Chine. Un employé de la firme, Ronald Bossé, est actuellement en route pour superviser l’installation des édifices préfabriqués, qui seront utilisés comme résidence et salle de réception. (…) M. Langlois précise que L & R Trailer Manufacturing est actuellement en pourparlers pour la manufacture et la livraison de cinq à dix maisons qui seront expédiées au Japon. » Cette entreprise située à Pendleton, au sud-ouest de Plantagenet, embauchait alors 13 employés.

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Il était d’usage à l’époque pour le gouvernement du Québec de courtiser les francophones des autres provinces. Dans le journal du 29 mai 1985, par exemple, une autre pleine page de publicité intitulée « Les nouvelles propositions constitutionnelles du Québec ». Nous sommes encore à dix ans du prochain référendum et à cinq ans du dernier, mais le positionnement demeure important.

« Le Québec veut en arriver avec le reste du Canada à un nouvel accord constitutionnel.

C’est avec cet objectif en tête que le Gouvernement du Québec s’est employé à définir son attitude et ses demandes, ceci avec fidélité et réalisme relatif aux droits linguistiques.

Le Québec est le seul territoire nord-américain où les préoccupations linguistiques, culturelles et économiques des francophones s’expriment majoritairement.

En conséquence, le Québec, en toute légitimité, réclame la confirmation de ses pouvoirs en matière linguistique.

Par ailleurs, les intérêts des Québécois francophones rejoignent ceux des francophones hors Québec. Les Québécois ressentent comme une perte et un affaiblissement dangereux du courant culturel francophone, l’assimilation des francophones hors Québec; ceux-ci, d’autre part, reconnaissent l’importance de la vitalité de la francophonie québécoise pour le maintien de leur identité culturelle et linguistique.

Le Gouvernement du Québec est prêt à s’engager à inscrire dans ses lois fondamentales le droit de la communauté anglophone du Québec de recevoir dans sa langue les soins de santé et les services sociaux, ainsi que son droit à ses propres institutions culturelles et éducatives.

Le Gouvernement du Québec est prêt à modifier la Charte de la langue française (Loi 101) pour garantir l’accès à l’école anglaise aux enfants de ceux qui ont reçu leur instruction primaire en anglais au Canada. Il s’attend en retour à ce que partout au Canada, ceux à qui profite la garantie d’accès à l’école française accordée par l’article 23 puissent effectivement l’exercer.

Le Gouvernement du Québec est disposé à collaborer activement avec tout gouvernement d’une autre province désirant améliorer les services dispensés à sa communauté francophone. C’est en effet beaucoup plus par la voie de la coopération intergouvernementale que par celle de la seule Constitution, qu’on pourra, dans ce domaine, faire avancer les choses.

Le Québec désire en effet jouer pleinement son rôle de soutien à la francophonie hors Québec.

On peut s’entendre là-dessus. »

Nous étions à deux ans de l’accord du lac Meech et de ses conséquences.

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Poirier… pour le vrai cette fois

L’élection précédente remontait à cinq mois à peine et cette fois, le député libéral sortant Jean Poirier retournait à Queen’s Park avec un mandat beaucoup plus clair, un total de 18 833 votes, soit une majorité de 7 796 votes sur son plus proche rival, le conservateur Guy Génier. Le candidat néo-démocrate Maurice Landry avait obtenu 2 625 votes. Le maire de Casselman avait blâmé la presse française pour sa cuisante défaite, une excuse toujours facile quand on est incapable de reconnaître les problèmes de son parti à l’échelle de la province. À l’échelle provinciale, les conservateurs de Frank Miller se contentaient d’un mandat minoritaire avec 52 députés, les libéraux de David Peterson en ayant fait élire 48 et les néo-démocrates de Bob Rae, 25. C’était donc à recommencer un peu plus tard. Je note que Poirier n’a jamais eu l’occasion de siéger à Queen’s Park entre son élection en décembre 1984 et sa réélection. L’article faisait évidemment la une de l’édition du journal Le Carillon du 8 mai 1985. Et Frank Miller ne serait pas premier ministre bien longtemps.

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Je ne crois pas que bien des employeurs l’ont imité, mais l’idée avait quand même été appréciée par son personnel. Mes collègues n’ont pas eu plus d’enfants par contre. Voici ce qu’on retrouve dans le journal du 1er mai 1985 : « La Société de gestion André Paquette a annoncé un nouvel avantage social pour la cinquantaine d’employés de quatre de ses filiales. Il s’agit d’un ‘boni familial’ calculé en fonction du nombre d’enfants d’un employé. Le boni en question comprend une somme hebdomadaire de 5 $ par semaine par enfant. Le président de la Société, André Paquette, a expliqué qu’il s’agissait pour lui de ‘mettre en pratique ce qu’il prêche’, c’est-à-dire encourager la famille. »

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Une nouvelle rubrique apparaît dans les pages du journal Le Carillon du 15 mai 1985. Sous le titre « Né d’une race fière », l’éducateur à la retraite Jean-Roch Vachon y publierait une courte généalogie de diverses familles francophones. Quand Jean-Roch m’avait offert cette collaboration, je lui avais dit qu’il faudrait qu’il m’en prépare une chaque semaine. En 2013, il remet toujours sa rubrique hebdomadaire au journal. Il avait respecté son engagement.

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Je vous avais écrit que nous étions dans les premières manifestations de la rectitude politique… la fameuse « political correctness » toujours omniprésente dans notre société d’aujourd’hui. Dans l’édition du 15 mai 1985, les lecteurs apprennent que « les autorités administratives du Conseil des écoles catholiques de Prescott-Russell ont décidé d’enlever des étagères de leurs bibliothèques les livres d’histoires de Newfies. (…) Les livres de Newfies comportent généralement des blagues de tous genres, souvent à double sens. Les acteurs dans ces blagues sont des Newfies, nom péjoratif des Terre-Neuviens, auxquels on prête méchamment de pauvres facultés intellectuelles. » Signe d’une époque révolue. Ces blagues avaient fait rire bien des gens pourtant!

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Parlant d’une autre époque, je retiens ce court paragraphe dans le journal du 15 mai 1985. « Renée Martel, le père Gédéon et Steve ‘Cassonade’ Faulkner monteront sur scène lors du premier Festival des mangeux de m’lasse, qui se déroulera dans la cour de l’école de Lefaivre du 20 au 23 juin. »

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Des animaux et des enfants dirait Steinbeck

Vous entendez souvent la remarque voulant que les animaux soient souvent mieux traités que les humains. Vous serez donc surpris de découvrir que les sociétés de protection de l’enfance tirent leur origine des sociétés protectrices des animaux. L’histoire surprenante est racontée dans Le Carillon du 3 avril 1985 parce qu’il était alors question du cinquantenaire de la Société d’aide à l’enfance de Prescott-Russell. La source du texte n’est pas identifiée, mais je tiens pour acquis qu’il s’agissait d’un document que nous avait fourni la Société en question. J’ajoute que mes parents ont été un foyer d’accueil dans les années 50-60… le temps de mon enfance et mon adolescence.

« Le service de la Société d’aide à l’enfance tel que nous la connaissons aujourd’hui dans Prescott-Russell résulte d’un cheminement historique qui ne remonte qu’au siècle dernier dans le continent nord-américain. Celui qui nous touche plus particulièrement, celui de Prescott-Russell, fête cette année son 50e anniversaire.

L’historique de ce service humaine ne pouvait se faire sans s’inspirer de grands noms qui ne sont pas nécessairement des fondateurs, Charles Loring Brace de New York ou John J. Kelson de Toronto, mais aussi de l’histoire du premier enfant qui a reçu des services de protection dont la situation engendra les premières lois de Protection de l’enfance.

Nous parlons de la petite Mary Ellen. L’histoire de cette petite fille est rappelée à maintes reprises dans les textes sur le bien-être de l’enfance pour rappeler sans doute aux praticiens la grande fragilité et l’impuissance des enfants face aux mauvais traitements. Un journaliste de l’époque, l’éloquent Jacob Riis – qui toute sa vie, par ses écrits, a tenté de confronter les gens de la classe moyenne au triste sort des pauvres de New York – raconte dans son livre ‘The Children of the Poor’, l’histoire de ‘Little Mary Ellen’s Legacy’.

C’était en 1871. Etta A. Wheeler, travailleuse à une mission pour les pauvres de New York, trouva qu’une petite fille connue depuis lors sous le nom de Mary Ellen était sévèrement maltraitée par un homme et une femme qui l’avaient retirée d’un établissement (institution) de charité et n’étaient pas ses parents. Les lois de l’époque ne permettraient pas que l’on appréhende l’enfant à moins de faire preuve que ‘l’enfant’ avait commis un crime, ou encore menait une vie immorale.

Trouvant la situation désespérée, Mme Wheeler eut la prescience de s’adresser à la Société protectrice des animaux, dirigée alors par Henry Bergh. Les lois régissant la protection des animaux donnaient des pouvoirs importants aux travailleurs de la Société afin de protéger les animaux jugés foncièrement impuissants (surtout les chevaux et les chiens de la ville) contre les mauvais traitements. L’avocat de la Société, Me Elbridge T. Gerry, présenta une requête à la cour, demandant qu’une Mary Ellen soit protégée et retirée des soins de l’homme et de la femme qui la maltraitaient. La requête se faisait sous la loi régissant la protection des animaux et l’avocat présenta l’argument que l’enfant, qui était aussi un animal, eût droit à la même protection d’un chien ou un cheval maltraité. La cause fut gagnée; la mère fut incarcérée pour un an et l’enfant – Mary Ellen – reprit la vie dans des circonstances qui garantissaient son épanouissement.

L’héritage de Mary Ellen fut donc de nous donner la première loi qui permettrait la protection des enfants. La première ‘Children’s Aid Society’ vit le jour encore à New York, deux décennies plus tôt, en réaction à la situation malheureuse des enfants trouvés de New York. Un journaliste de l’époque rapportait que quelque 10 000 jeunes garçons couraient les rues de New York le jour et le soir s’abritaient là où ils trouvaient un toit qui offrait un peu de protection. Et ces enfants, une fois ‘trouvés’, étaient placés en centre d’accueil pour enfants. Et là, ‘sauvés’ des dangers de la rue, ces enfants subissaient un esclavage des plus abominables. Les propriétaires de ces centres d’accueil profitaient énormément de ces placements. Ils recevaient une subvention de l’État pour chaque enfant trouvé et ensuite les nourrissaient peu, lui imposaient de durs labeurs, le maltraitaient et allaient jusqu’à le vendre en esclavage. Tel fut le cas de la petite Mary Ellen. En réaction à ces mauvais traitements, des gens tels Charles Loring Brace établirent des Sociétés de l’aide à l’enfance et des ‘Societies for the Protection of Children’. Ces organismes proposèrent une alternative acceptable ou la famille d’accueil. Bien que fondamentalement bonnes, ces réformes ne furent pas sans abus. Par exemple, M. Brace plaça systématiquement des milliers d’enfants avec des familles qui prenaient la route des pionniers vers l’ouest été les expatriaient à tout jamais du milieu de leur naissance. Heureusement, cette pratique cessa avec l’arrivée du nouveau siècle.

Plusieurs centres d’accueil pour enfants ont été fermés systématiquement à la même époque. Ces centres d’accueil représentaient le triste héritage de l’époque médiévale qui vit des centaines de milliers d’enfants maltraités tout au long des mille ans de l’histoire de ce genre de service. Des milliers d’enfants furent ‘hébergés’ à Paris dans des conditions rappelant celles imposées aux forçats de la Salpêtrière. Ces centres d’accueil hébergeaient simultanément des nombres incroyables de jeunes : par exemple, au IXe siècle, 2000 à l’Asile pour enfants à Naples et au XIXe siècle, jusqu’à 25 000 enfants trouvés à l’hôpital pour enfants à St-Petersburg.

Depuis la fin du XIXe siècle, l’utilisation systématique de la famille d’accueil a permis à des centaines de milliers d’enfants de se voir accorder l’occasion de l’épanouissement dans une situation familiale, entourée de parents substituts aimants.

Plus près de chez nous, à Toronto, l’urbanisation croissante créait des problèmes nouveaux, mais non pas sans précédent. S’inspirant de gestes posés aux États-Unis, un jeune journaliste, John J. Kelso, travailla à protéger les enfants qui livraient les journaux et qui étaient souvent des jeunes sans famille. Rapidement, son attention se tourna vers la situation malheureuse des enfants trouvés de Toronto. À cette période se fonda la ‘Toronto Humane Society’ qui voyait à la promotion de la protection des animaux et des enfants.

En 1888, grâce aux efforts de Kelso et de la ‘Toronto Humane Society’, la législature adopta une loi de Protection des enfants et la ville de Toronto embauchait un ‘Cruelty Constable’ qui voyait à prévenir la cruauté envers les chevaux et les enfants.

Aussi, mentionnons qu’à la même époque, la ‘Toronto Fresh Air Fund’, œuvre de philanthropie très populaire, voyait à organiser des randonnées en campagne et des colonies de vacances en plein air pour les enfants moins fortunés de la ville. C’est l’union de tous ces efforts communautaires et le leadership de J.J. Kelso qui mena à l’incorporation de la première Société de l’aide à l’enfance en 1891. S’en suivront les 51 autres Sociétés de l’Ontario, dont la SAE de Prescott-Russell fondée en 1935.

Ce bref historique de la protection de l’enfance n’a pu, malheureusement, traiter des (et elles sont multiples) questions d’intérêt historique et de l’heure – l’abus sexuel, l’infanticide, le rôle changeant de la famille, l’adoption, entre autres.

Il devrait toutefois permettre à faire comprendre la richesse des traditions du bien-être de l’enfance, les racines historiques de la SAE de Prescott-Russell et l’importance de notre vigilance continue à voir à la protection de l’enfance. »

Cette conclusion est toujours pertinente en 2013.

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C’est dans le journal. Vous êtes coupable!

Encore aujourd’hui, des gens reprochent aux médias de « condamner » d’avance des citoyens qui sont arrêtés et accusés. Dans mon éditorial du 3 avril 1985, je fais référence à une résolution dont avait été saisie le Conseil national des femmes. Une section, le Conseil des femmes d’Ottawa, « qui représente pas moins de 66 organisations féminines de la région de la capitale » voulait « que le Code criminel soit amendé afin de prévoir que le nom ou l’identité d’une personne arrêtée ou accusée d’un délit ne soit pas publié dans aucun journal, magazine, périodique ou média quelconque de quelque façon que ce soit jusqu’à ce que la condamnation soit rendue à moins que la personne accusée consente à la divulgation ou à la publication de son nom ». Cette résolution faisait suite au cas de « Susan Nelles, cette infirmière de l’Hôpital pour enfants de Toronto » qui avait été accusée puis innocentée, mais dont la réputation, entre temps, avait été démolie par la couverture dans les médias nationaux. J’avais argumenté que le souhait du Conseil national des femmes, « tout valable qu’il puisse être, entre pourtant en contradiction avec le principe de notre société ‘juste et démocratique’ qui veut non seulement que justice soit faite, mais qu’on doive la voir faire ». Le cas contraire ouvrirait la voie à des tribunaux secrets « ouverts aux abus les plus crapuleux ». Évidemment, le Code criminel ne serait jamais modifié dans un tel sens. Et en 2013, au Québec, la Commission Charbonneau est un exemple flagrant des effets du moindre soupçon sur la réputation des gens; avant, il y avait eu l’effet Gomery.

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Signe des temps. J’en fais une note dans ma chronique du 3 avril 1985. « Nos lecteurs nous pardonneront quelques erreurs imprévisibles au cours des prochaines semaines. Nous sommes en train de nous adapter progressivement à notre nouveau système de rédaction par ordinateur. Les textes du journal de cette semaine, à quelques rares exceptions, ont tous été conçus grâce à ce petit écran cathodique merveilleux… (si l’on peut en comprendre toutes les complexités). Patience. Nous tenterons par la suite de vous améliorer encore davantage votre journal favori. » L’avènement du traitement de texte pour les journaux et les imprimeries… toute une innovation. La prochaine étape serait l’acquisition d’un Macintosh d’Apple, qui était alors la plus merveilleuse des inventions pour la mise en page graphique. Une petite expression… WYSIWYG… qui reflète l’arrivée de l’informatique dans nos vies de journalistes.

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La publicité du gouvernement fédéral était précisément publiée dans l’édition du 17 avril 1985 du journal Le Carillon et s’intitulait « Date historique pour la reconnaissance des droits à l’égalité ». Le texte se lisait ainsi :

« Le 17 avril 1985, l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés entrera en vigueur. Son libellé est le suivant :

‘15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.’

(…) Un comité de sept députés représentant les trois partis de la Chambre des communes étudie actuellement les lois fédérales afin d’en assurer la conformité avec la lettre et l’esprit des garanties d’égalité et de non-discrimination contenues dans la Charte. »

Évidemment, ces clauses auraient une grande portée sur la vie de tous les Canadiens et, en cours de route, créeraient un nouveau concept, celui des accommodements raisonnables… sans oublier la pernicieuse « rectitude politique ».

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Le chef redevient sergent

« Après 11 ans à la tête de la Sûreté municipale de Hawkesbury, Maurice Durocher a démissionné de son poste de chef et a accepté de servir en tant que sergent. » La nouvelle fait la une de l’édition du 13 mars 1985 du journal Le Carillon. Ça se passe quelques semaines après la nouvelle des malaises décelés par la Commission de police, mais Durocher laisse supposer que ça n’a rien à y voir. « Je songeais à abandonner bien avant que ces rumeurs surgissent. » Le chef Durocher avait mentionné « qu’il garde plusieurs bons et mauvais souvenirs de sa décennie comme chef. C’est toutefois l’amer souvenir de la grève d’Amoco qui est le plus vivant dans sa mémoire. ‘Plusieurs personnes m’en ont voulu et m’en veulent encore pour les mesures que j’ai prises. Mais je ne faisais que prendre mes responsabilités; protéger la propriété privée, la propriété publique et empêcher les gens de commettre des actes qu’ils auraient regrettés ensuite’, a-t-il relaté. » Il sera remplacé plus tard par le sergent Michel Denis. En passant, le fils aîné de Maurice, né à Windsor (Ontario), Paul-André, est aujourd’hui évêque du diocèse de Gatineau.

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« Prise d’assaut depuis peu par une équipe de démolisseurs, l’usine de la CIP devait être la proie de flammes lundi soir, deux ans après sa fermeture. La section du cuiseur, haute de quelque 25 mètres, a été transformée en brasier et le feu a fait rage jusqu’à 2 heures dans la nuit. (…) Le feu aurait pris naissance alors que les démolisseurs faisaient usage de torches pour couper le métal. » Heureusement, personne n’avait été blessé et les dommages n’avaient aucune importance puisqu’il fallait démolir de toute façon. C’est dans le journal du 13 mars 1985.

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C’était toujours un peu déchirant de rapporter les incendies dans des fermes parce que la plupart du temps, il était question d’animaux victimes. « Quelque 1 410 cochons d’engraissement ont péri dans l’incendie de la porcherie de Jean-Guy Wathier, de Caledonia, dans la nuit de vendredi à samedi. La bâtisse, à l’écart sur la ferme, avait été construite en 1978 et s’allongeait sur 400 pieds. (…) La porcherie, couverte par des assurances, abritait des porcs à maturité, d’autres tout jeunes ou en croissance. » Le gagne-pain d’une famille de trois enfants qui s’envolaient dans les flammes.

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Frank Miller avait déclenché des élections provinciales générales pour le 2 mai 1985. Dans Prescott-Russell, il était sous-entendu que le candidat au scrutin complémentaire, Gaston Patenaude, le maire du canton de Russell serait encore dans la course. Mais comme on l’apprend dans le journal du 3 avril 1985, « Gaston Patenaude a abandonné toute idée de devenir député ». Il avait affirmé que « sa décision doit être interprétée comme un geste de solidarité envers le Parti conservateur ». Par contre, Patenaude avait revendiqué plusieurs réalisations. « J’ai quand même obtenu beaucoup plus que M. Poirier (le député libéral actuel), a-t-il soutenu. Mentionnons les trois résidences pour personnes âgées ou handicapées, Rockland, 32 logis, Plantagenet 26 logis et Embrun 45. Je leur avais promis mon intervention et je l’ai fait. J’ai travaillé conjointement avec la majorité des municipalités qui devaient rencontrer certains ministres… J’ai répondu à nombre d’appels téléphoniques de plusieurs personnes qui se sentaient mal représentées et qui me considéraient l’approche normale entre eux et le gouvernement. C’est d’ailleurs ce que je faisais depuis 1981. » Il faut ajouter que les rumeurs d’alors laissaient entendre l’élection d’un gouvernement libéral en Ontario, avec David Peterson à sa tête.

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Jean-Pierre Cloutier, agent de développement de l’ACFO

J’ai encore des pièces de poterie de lui à la maison. Par contre, j’avais oublié qu’il avait fait partie de ma salle de nouvelles, à temps partiel, au début de 1985. Et comme on peut le lire dans Le Carillon du 27 février 1985, « Jean-Pierre Cloutier, un potier qui œuvre dans le village de Fournier depuis 1979, deviendra vendredi le nouvel agent de développement de l’Association canadienne-française de Prescott-Russell. » Il succédait bien sûr à Jean Poirier, qui était devenu député provincial à Queen’s Park. « Âgé de 42 ans, le nouvel agent de développement communautaire est originaire de Plessisville, au Québec, et possède une formation considérable en journalisme et en archéologie. Il a déjà travaillé à La Voix de l’Est de Granby, à La Tribune de Sherbrooke et à L’Écho de Vaudreuil-Soulanges, et plus récemment à temps partiel à L’Express de Hawkesbury. Depuis quelques mois, il était à l’emploi temporaire du Carillon à titre de journaliste à temps partiel. » Temporaire à temps partiel… ce n’est pas une garantie d’avenir! Jean-Pierre nous avait dépannés pendant le congé de maternité de Monique Castonguay. Jean-Pierre Cloutier était déménagé en Ontario en 1965, s’était installé à St-Isidore en 1976 puis dans la communauté voisine de Fournier trois ans plus tard. Il avait d’ailleurs œuvré depuis longtemps au sein de l’ACFO régionale.

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Il était avantageusement connu de tous les producteurs laitiers de Glengarry-Prescott-Russell et d’ailleurs en Ontario. Le journal du 27 février 1985 nous annonce le décès d’Elphège Lefebvre, à l’âge de 76 ans. Il était un cousin de ma mère. « Politicien pendant vingt ans et représentant des comtés de l’Est ontarien auprès de la Régie ontarienne de mise en marché du lait pendant 12 ans, M. Lefebvre est décédé au cours d’un séjour prolongé en Floride. (…) Cultivateur de son métier, M. Lefebvre a fait son entrée sur la scène politique en 1946, alors qu’il était élu conseiller de sa municipalité natale, le canton de Hawkesbury-Est. Il fut subséquemment sous-préfet, de 1948 à 1958, ensuite préfet, de 1958 à 1964, année où il fut élu président du Conseil des comtés unis de Prescott-Russell. Sa retraite politique, en 1964, ne mettait cependant pas fin à ses activités. Cette même année, il était nommé au sein de la Régie ontarienne de mise en marché du lait par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation d’alors, M. William Stuart. » Il y a siégé jusqu’en 1976. Né en 1908 à St-Eugène, il laissait son épouse de 46 années, Mary Wylie, et une fille adoptive.

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Frank Miller est le nouveau premier ministre de l’Ontario. Il a remplacé William Davis à la tête du parti progressiste-conservateur. Il s’arrête à Hawkesbury afin de visiter les installations de l’usine Montebello Metal et de rencontrer des partisans conservateurs bien entendu. Il n’avait pas voulu parler de date d’élections, mais il était clair que le parti préparait le terrain. Le candidat Gaston Patenaude, défait lors de l’élection complémentaire, l’accompagnait. Note discordante, Miller avait déclaré que « de ne pas avoir le bilinguisme officiel, c’est important pour le moment ». Miller ne sera pas premier ministre pendant bien longtemps.

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Nos méthodes ne plaisaient pas à tout le monde à l’Association du hockey mineur de Hawkesbury. En prenant la tête de l’organisation, mon équipe et moi avions promis du nouveau, dont « un nouveau mode d’évaluation des joueurs, en prévision de la saison 1985-1986 ». Un court encadré en explique les grandes lignes dans le journal du 6 mars 1985. « La nouvelle procédure veut impliquer directement l’équipe d’instructeurs dans l’évaluation des joueurs, afin d’en arriver à une meilleure répartition et un meilleur équilibre des formations dans chacune des catégories. L’évaluation se concentre à la fois sur les techniques de hockey (patin avant et arrière, maniement du bâton, lancers, jeu de position, échec avant), en plus de l’attitude générale et du rendement global du jeune joueur. Chaque instructeur remplira un ‘bulletin d’évaluation’ pour chacun des joueurs évoluant présentement sous sa direction. L’exécutif de l’AHMH qui sera élu en avril prochain pourra ensuite, en collaboration avec ses instructeurs, mieux préparer la saison prochaine. » Nous avions été réélus.