« L’exagération à outrance »

Imaginez! Nous ne sommes que le 9 juillet 1986 et donc encore loin des attentats contre les deux tours new-yorkaises, mais déjà, le spectre du terrorisme commençait à secouer la planète. La rectitude politique se pointait à l’horizon. J’avais trouvé que les médias et d’autres exagéraient et j’avais commenté dans mon éditorial du journal Le Carillon de cette date-là. Le voici, car je trouve que l’exagération est encore une marque de notre société…

« Le pléonasme est voulu. Pour décrier certaines outrances, il est parfois nécessaire d’« exagérer l’exagération ». Les Américains nous en ont donné un exemple frappant en fin de semaine, mais ils n’en ont pas le monopole.

Pour divers motifs, ne sommes-nous pas tous un peu portés à l’exagération? Après tout, le poisson sorti de l’eau est toujours un peu plus gros que la réalité, comme tout bon pêcheur le constate.

Nous revenons donc aux célébrations américaines de la « Liberté ». Pas n’importe laquelle « Liberté », Madame elle-même et sa statue. Heureusement, ils n’ont pas poussé leur zèle à rafistoler la statue « à la moderne ». Non. On l’a restaurée à coup de millions, comme une œuvre d’art pour la postérité, symbole de ce qu’est l’Amérique du Nord pour les Nord-Américains.

Nous, Canadiens, pouvons aussi nous identifier à cette célébration. Notre système, notre mode de vie, s’est largement inspiré de cet « American Way of Life ». Si les Américains, dans leur exagération de fête (tout par milliers au lieu de centaines ou de dizaines), ont voulu souligner leur amour de la Liberté, nous, Canadiens, devrions en profiter pour nous vanter d’avoir peut-être dépassé nos voisins du Sud. Les diverses tendances moralisatrices gouvernementales n’ont pas encore réussi à diminuer cette liberté ou encore à l’entraver. Il faut d’ailleurs tout faire pour la préserver.

L’exagération américaine, avec ses 40 000 feux d’artifice, ses milliers de bateaux de toutes grosseurs, sa centaine « d’Elvis », ses dizaines de milliers de « lampes Eveready, ses dizaines de coups de canon, ses millions de « piastres », nous font réfléchir sur la fragilité de la Liberté.

L’Amérique du Nord n’est pas à l’abri des revirements et d’une autre forme d’exagération, politique celle-là, que l’on surnomme le « terrorisme ». La terreur est devenue la revendication politique outrée. Le Canada et nos voisins du Sud n’en sont pas immunisés.

La Liberté nord-américaine n’est pas enviée par tous les peuples, rappelons-le. Des « khoménistes » la considèrent toujours comme la racine de tous les maux… des communistes aussi! La « liberté » n’a pas la même définition partout; nous l’avons exagérée pour que tous puissent en profiter au maximum.

Dans un même ordre d’idées, mais au Canada cette fois, il nous a été donné dernièrement de voir une autre forme d’exagération… celle du commercialisme démesuré que l’on baptise « West Edmonton Mall ». C’est là que des gens se tuent, en s’amusant dans des appareils de 142 pieds de haut, à l’abri des intempéries, logés quelque part entre 800 magasins, un lac artificiel avec vagues artificielles, des glissages d’eau hautes de 82 pieds, des sous-marins, des requins et des autruches. Quatre rues de large; huit de long.

Le Canada, avec à peine sa trentaine de millions d’habitants, se targe de posséder le plus gros complexe commercial du monde, dans une ville, une province, où la chute mondiale du prix du pétrole brandit le spectre des déboires économiques. (Note du blogueur : Nous sommes en 1986.)

Les gens d’Edmonton n’y magasinent que rarement. C’est trop gros. Ça prend trop de temps. Imaginez après tout, dans un « petit coin » d’un centre commercial une section spéciale où il y a une patinoire comme celle du complexe sportif de Hawkesbury. On y compte, paraît-il, plus de 100 000 clients par jour… dix fois la population de Hawkesbury.

Nous plus riches Canadiens, les frères Ghermezian, ont rêvé et ils avaient les moyens de réaliser leur rêve. Si vous voulez avoir une bonne idée de ce que c’est, imaginez et exagérer par deux fois.

Si les promoteurs ont qualifié ce centre de « monument à la commercialisation », nous ajouterions qu’il s’agit plutôt d’une « idole élevée à l’Exagération ». C’est au Canada; tant mieux. Mais ce sont bien plus les Américains qui viendront s’y divertir ou y passer les « trois jours nécessaires à le parcourir pour ça en vaille la peine ».

Assurément, il faudrait que nos universités créent de nouvelles chaires d’études : celles des Sciences de l’exagération. Il n’y manquerait pas de candidats dans notre société moderne. »

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