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Vous voyez… on va concurrencer Purolator

Décidément, Postes Canada faisait jaser dans le milieu des messageries. Après avoir annoncé qu’elle se portait acquéreur d’une participation majoritaire dans Purolator Courrier ltée, voilà que la société d’État se préparait à lancer sur le marché un tout nouveau produit qui ferait concurrence directe à Purolator, « son » entreprise, et les autres grands joueurs de l’industrie.

« Moins cher que les messageries; plus rapide que la poste. » Le nouveau produit serait lancé avec tambours et trompettes le 27 septembre 1993 et s’appellerait « Xpresspost »… en compétition directe avec le produit supérieur de Postes Canada… les Messageries prioritaires. C’en était assez pour nous tenir occupés pendant un certain temps aux relations avec les médias de Postes Canada et le groupe de marketing aurait les mains pleines.

Mais c’était intéressant pour Postes Canada dans le contexte des audiences publiques de l’Office des transports du Canada qui étudiait sa proposition d’achat de 75 p. cent du Purolator. C’était la preuve que Postes Canada souhaitait la concurrence et qu’elle gérerait sa nouvelle société affiliée comme une entreprise indépendante en compétition avec la société mère.

Le nom Xpresspost n’aurait pas d’équivalent français parce que les dirigeants avaient décidé que ce n’était pas un nom anglais non plus, donc il n’était pas nécessaire de le traduire. J’avais rapidement compris que je perdais mon temps à vouloir franciser le nom du nouveau produit… suffirait de le prononcer à la française, avec un e final invisible. J’aurais plus de chance plus tard avec d’autres nouveaux produits et d’autres initiatives. J’y reviendrai.

Entre temps, je reviens à mes moutons. Xpresspost offrirait des caractéristiques moins importantes que celles des Messages prioritaires (en passant, ce dernier produit existe toujours et se nomme Priorité). Il y aurait confirmation de livraison, mais pas de pistage et repérage (ce qui changera avec le temps). Nous anticipions un marché de 300 millions d’articles, dont les trois quarts proviendraient du marché de la poste traditionnelle (achat à un cran supérieur) et le quart serait du marché des messageries (achat à une gamme, en dessous).

Les envois de documents représenteraient 92 p. cent des articles et les paquets, 8 p. cent. Par exemple, si un envoi par Messageries prioritaires coûtait 10 $, le même envoi par Xpresspost coûterait 5,50 $ mais avec des caractéristiques moindres bien entendu. Le marché des petits colis était important; neuf envois sur dix étaient du commerce interentreprises, alors que l’autre était d’entreprises aux consommateurs. Les recherches avaient démontré que 20 p. cent du volume du courrier pour livraison le lendemain n’avaient pas réellement besoin d’être livrées le lendemain. Xpresspost visait justement cette clientèle.

Je pourrais m’éterniser longtemps sur le lancement de ce produit devenu aujourd’hui un des plus populaire de Postes Canada et dont le modèle aura servi à développer un autre service essentiel à l’ère du cybercommerce – un mot qui n’existait pas lors du lancement de Xpresspost – soit les Colis accélérés. Si vous avez suivi les récentes annonces de la société sur ses plans d’avenir et ses nouveaux modèles de livraison, vous aurez compris que ces plans sont la conséquence logique des démarches qui avaient été entreprises par la création de Xpresspost.

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Postes Canada devenait un « groupe »

Pour être un groupe, il faut évidemment être plus qu’un ou deux. Postes Canada avait déjà créé une entreprise filiale, Postes Canada Gestion de systèmes limitée, et en juin 1993, la société d’État surprend le milieu des affaires, ses concurrents et ses clients… elle acquiert une participation de 75 p. cent dans Purolator Courrier Ltd.

Purolator était ce grand distributeur de messageries et de colis présent un peu partout au Canada et forcément dans toutes les grandes villes. C’était aussi un grand concurrent de Postes Canada. Ça restait une participation financière de contrôle et il n’était pas question de fusionner les deux entreprises – nous avions renforcé ce message auprès de tous les intervenants. Encore aujourd’hui, Purolator est exploitée de manière tout à fait indépendante et continue à générer des profits pour la Société canadienne des postes.

Les négociations préparatoires à cette grande nouvelle du 6 juin 1993 s’étaient prolongées pendant plusieurs mois sous le couvert du plus grand secret bien sûr. Nous avions réservé la salle du Metro Board of Trade dans l’édifice First Canadian Place de Toronto pour annoncer la transaction. Pourquoi Toronto et non pas Ottawa? Parce que le siège des affaires et du commerce au pays est à Toronto.

La conférence de presse avait été convoquée pour 9 h ce matin-là avec Georges Clermont, le PDG de Postes Canada, Gerry Schwartz, le PDG d’Onex Corporation, de qui nous achetions notre participation, Fred Manske, le PDG de Courrier Purolator, Ian Bourne, le chef des finances de Postes Canada, et Paul Derksey, le chef des finances de Purolaror. Tous les grands médias nationaux et locaux y étaient. Ce serait, après tout, la nouvelle d’affaires de l’heure. Dès 10 h, les seuls porte-parole seraient mon collègue John Caines et moi-même, ainsi que Jean-François Boyer, du bureau de Purolator à Montréal. Inutile de préciser que nous serions passablement occupés pendant plusieurs journées. Nous avions expédié plus de deux millions de lettres à nos grands et moyens clients.

Mais, Caines et moi, nous nous étions rendus à Toronto bien avant. Au départ, la grande annonce devait se faire le 5 juin et nous avions tenu une répétition générale la veille dans les bureaux de nos conseillers en relations publiques. Mais voilà, les conseillers juridiques des différentes parties travaillaient encore à la préparation de la paperasse et ils n’étaient pas prêts. Nous avions reporté l’annonce de 24 heures.

Comme je l’écrivais, le message insistait énormément sur la séparation opérationnelle des deux entités et c’est aussi le message qui serait renouvelé quelques mois plus tard lors des audiences publiques du Bureau des transports. Ce qui n’enlevait pas la possibilité de synergies entre les deux. Retenez que nous sommes avant l’arrivée de l’internet grand public et du Web, mais les télécopieurs et autres formes de communications électroniques sapaient déjà dans les marchés des deux. Il faudrait toujours quelqu’un pour livrer des colis et cela deviendrait évident quelques années plus tard lors de l’explosion des sites Web et du commerce en ligne. Postes Canada profiterait des connaissances acquises. J’y reviendrai.

L’Association canadienne des messageries, un grand nom qui cachait essentiellement les activités de lobbying d’UPS, s’opposerait énergiquement à la transaction, mais perdrait son temps ultimement. Les petites entreprises de messages craignaient disparaître; ce qui ne s’est jamais produit, au contraire. La transaction serait approuvée par les autorités de réglementation. Harvie Andre était toujours notre ministre responsable au sein du gouvernement de Brian Mulroney et nous n’avions pas agi sans son consentement.

Le coût de tout ça? Postes Canada avait versé 55 millions de dollars pour sa participation de 75 p. cent et les autres actions seraient détenues par Onex (Postes Canada rachèterait plus tard le reste de sa part), la Caisse de retraite des employés municipaux de l’Ontario et quelques dirigeants de Purolator (dont Manske).

Harvie Andre avait déclaré aux médias que cet investissement était bon et raisonnable pour Postes Canada, même si la politique du gouvernement était de privatiser les activités gouvernementales. Onex voulait se départir de sa participation depuis quelque temps et les rumeurs du temps voulaient qu’UPS s’en porte acquéreur. C’était aussi un des messages que nous véhiculions après la transaction… Purolator demeurait entre les mains des Canadiens.

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Des circulaires… amènes-en!

« Lorsque le ministère des Postes est devenu la Société canadienne des postes, il devenait encore plus important de garantir les revenus postaux. Je me souviens lors d’un congrès de la Canadian Community Newspapers Association à Edmonton (en Alberta), Michael Warren, alors PDG de Postes Canada, avait averti les éditeurs des journaux communautaires que sa société ferait tout pour obtenir une plus grande part de la distribution des encarts publicitaires, si lucratifs pour les médias. Plusieurs années plus tard, alors que j’étais d’ailleurs au service de Postes Canada, la société avait même créé une section spéciale pour livrer exclusivement des circulaires publicitaires. Quand Publisac est arrivée dans le portrait, les médias se sont ligués contre Postes Canada et ont exercé tellement de pressions sur l’actionnaire (le gouvernement fédéral) qu’elle a été obligée de démanteler son groupe spécial de livraison. Ce qui n’empêche pas Postes Canada de livrer encore des circulaires dans votre boîte aux lettres, mais les journaux et les « Publisacs » de ce monde en distribuent beaucoup plus. »

J’avais publié le texte qui précède dans mon blogue du 23 mai 2011 dans le contexte de mon « Retour sur hier ». À Edmonton, je n’avais aucune idée que je travaillerais un jour pour Postes Canada – en fait, environ cinq ans plus tard – et que j’aurais à défendre l’entreprise contre les attaques de ces mêmes journaux.

En avril 1993, la situation retenait l’attention des dirigeants de Postes Canada. Après tout, ils avaient consenti à créer une force de distribution spéciale de la Médiaposte… des syndiqués du puissant Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, mais avec un statut différent. Il fallait, après tout, concurrencer avec des géants du monde médiatique canadien et, surtout, québécois.

Nous avions même envisagé, deux ans auparavant, lors d’une rencontre avec le caucus québécois du parti conservateur, une alliance avec l’Association des hebdos du Québec pour lui confier la distribution des circulaires – nous l’appelions la Médiaposte sans adresse. Au Québec, notre part du marché était à peine de 18 p. cent, alors qu’elle était de plus de 30 p. cent ailleurs au pays. Mais voilà, Quebecor et Transcontinental, les deux géants québécois, voulaient nous sortir du marché totalement. Quoiqu’à un certain moment, il aurait été question d’une entreprise conjointe avec Transcontinental. Mais la convention collective interdisait toute forme d’impartition de la livraison de la Médiaposte sans adresse. En 1993, rien de tout cela n’était possible.

Nos spécialistes s’étaient longtemps penchés sur la question. Nous venions même d’inaugurer à Winnipeg un centre spécial nommé « Connexions » afin de promouvoir nos grandes capacités de marketing à l’échelle nationale. Même si ses taux étaient un peu plus élevés que ceux des médias traditionnels, Postes Canada avait quand même un atout important… sa capacité de livrer dans toutes les boîtes aux lettres… les boîtes aux lettres appartenant en fait à la société.

Comme ligne médiatique, nous allions soutenir que même Quebecor et Transcontinental profiteraient à leur tour de notre position agressive sur le marché de la publicité imprimée. Nous espérions même obtenir le contrat pour la distribution des journaux de ces deux géants « si nous voulions être réellement concurrentiels ». Il fallait bien penser positivement.

Je vais revenir plus tard sur cette question parce qu’elle serait, entre autres, au centre des délibérations de la commission présidée par George Radwanski chargée de revoir le mandat de Postes Canada. Je voulais seulement vous donner un autre exemple des nombreux défis que devait relever la société d’État dans ses divers marchés.

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La réputation internationale de Postes Canada

Chez nous, la critique contre Postes Canada est quasiment un sport national et ça perdure depuis des décennies. Souvent, c’était parce que les activités de cette société d’État étaient inconnues… ou mal connues. Postes Canada Gestion de systèmes limitée était en quelque sorte notre filiale aux dimensions internationales et elle nous faisait honneur aux quatre coins de la planète.

Edwin Kwei, de PCGSL (ou CPSML pour nos compatriotes), m’invite à le rencontrer à leurs bureaux du 785 rue Carling, à Ottawa, le 5 avril 1993 et il avait une grande nouvelle à m’annoncer.

Jusque-là, PCGSL avait obtenu des contrats en Argentine (pour établir des normes de service), au Nicaragua (pour un examen des opérations), en Nouvelle-Zélande (pour le système de pistage et de repérage et pour la gestion des conteneurs), en Malaisie et en Irlande (pour leur système de courrier international). Il y avait même des discussions avec l’Afrique du Sud.

Cette fois, le jeu en valait vraiment la chandelle. La poste taiwanaise souhaitait automatiser ses opérations en établissement cinq nouvelles installations dans cinq grandes villes (Taipei, Taoyuan, Taichung, Tainan et Kaohsiung). Au Canada, le système postal était automatisé depuis 20 ans et Postes Canada pouvait faire profiter les autres administrations postales de sa grande expérience. À Taiwan, PCGSL aiderait à l’établissement d’un système de codes postaux, aux standards de courrier physique et aux normes d’adressage. Le projet de 21 millions de dollars s’étalerait sur quatre années. Ce n’était pas rien. Nos concurrents étaient le Japon, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, des administrations postales nettement plus imposantes que Postes Canada.

Et j’avais hâte de publier le communiqué de presse que j’avais préparé et qui l’annoncerait. Ce que je n’aurais jamais l’occasion de faire. Je vous ai dit qu’il s’agissait de Taiwan et laisser Postes Canada entretenir des relations commerciales avec ce pays équivalait, aux yeux du gouvernement chinois, à la reconnaissance officielle. Les Chinois en avaient entendu parler et n’étaient pas contents et notre actionnaire, le gouvernement fédéral, a été averti de façon claire. Le projet n’a pas été plus loin. Dommage. Je me suis toujours demandé, « et si Postes Canada avait été privatisée ».

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Ne décolle pas la reine qui veut

Pardonnez mon jeu de mots… je ne pouvais résister. Je remonte au 9 mars 1993 et je reçois un appel du journaliste Alan Freeman du quotidien Globe and Mail. Ses sources sont habituellement fiables. Mais peut-être que, ce jour-là, il était simplement « à la pêche ».

Freeman tentait d’obtenir quelques renseignements à propos du portrait de la reine Elizabeth II sur les timbres canadiens et si nous avions l’intention d’imiter la Grande-Bretagne. Il avait entendu dire que la Royal Mail s’apprêtait à annoncer que leurs timbres courants n’afficheraient plus le portrait de la souveraine. Postes Canada avait toujours utilisé le portrait de la reine sur un timbre ou plusieurs et le fait encore d’ailleurs. Elle n’avait l’intention d’imiter qui que ce soit à ce chapitre.

Par contre, Postes Canada avait diversifié ses illustrations. Alors que le portrait de la reine avait dominé pendant des décennies, on retrouvait aussi une illustration des édifices du Parlement canadien et en 1989, les édifices du Parlement avaient été remplacées par l’unifolié en diverses présentations. On retrouve toujours ce drapeau sur nos timbres permanents aujourd’hui.

Statistique intéressante, il se vendait alors de 6 à 12 millions de timbres à l’effigie de la reine chaque mois. Les ventes étaient moindres au Québec – ce qui est facile à comprendre deux ans avant le référendum – et beaucoup plus élevées dans l’Ouest canadien. S’il se vendait 100 millions de timbres arborant la reine, il s’en vendait 250 millions avec le drapeau. C’était il y a 21 ans, bien sûr, et le courriel était à peu près inconnu. Une autre époque.

* * *

Ce même jour, à Toronto, un de mes collègues recevait une requête d’un journaliste à propos du code postal canadien, une référence en la matière pour sa simplicité et son efficacité. Il m’avait demandé d’effectuer quelques recherches.

Je lui avais rappelé que le code postal avait été introduit au Canada au milieu de 1970, à Toronto d’abord; ce qui avait un certain sens puisque les volumes de courrier y étaient les plus élevés. Le code postal devait être instauré dans tout le Manitoba en 1971 et dans tout l’Ontario en 1972. Par juillet 1973, le code postal était utilisé à l’échelle du pays. À ce moment-là, il y avait environ 650 000 codes différents en usage. Je tiens pour acquis que ce nombre est beaucoup plus imposant de nos jours. Les lettres sont peut-être moindres, mais les colis sont toujours là. Ça, le Web ne pourra jamais remplacer.

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Allo! Que puis-je faire pour vous?

Je vous ai écrit à propos des nombreuses initiatives de Postes Canada pour améliorer la gestion et l’efficacité de ses opérations. C’était bien beau, mais il fallait grandement améliorer d’autres aspects… le service à la clientèle, par exemple.

Aux Relations avec les médias, nous passions énormément de temps à arroser les feux, soit les lettres des clients publiés dans les journaux, nationaux autant que communautaires, à l’échelle du pays afin de rétablir les faits et corriger les perceptions, tout en vantant les mérites de nos efforts « pour nous transformer ».

Au début de février 1993, nous nous préparons à annoncer un programme de « régionalisation de la clientèle », une grosse expression qui se traduit, en fait, par la création d’un réseau de centre d’appels. Le tout serait réalisé en collaboration avec le réseau Stentor, formé des grands joueurs tels Bell, NBTel et ManTel, avec de l’équipement de Northern Telecom (qui deviendrait Nortel et qui disparaîtrait éventuellement de la carte) et le logiciel de Powell Group, une société informatique d’Ottawa. Nous sommes en 1993, n’oubliez pas, l’existence du Web est connue des initiés seulement et assurément pas des Canadiens et encore moins des « Postescanadiens ».

Le système aurait la capacité de traiter pas moins de 10 millions d’appels. Le chiffre semble gros, mais retenez que Postes Canada était alors et l’est toujours une société d’envergure nationale qui touche directement tous les Canadiens. Quand un d’eux n’est pas content, il saute sur le téléphone. La moitié des appels seraient pour obtenir des renseignements sur les codes postaux (un service rendu aujourd’hui par le site postescanada.ca) et l’autre moitié consisterait en des demandes de renseignements sur les tarifs, les changements d’adresse, et ainsi de suite. Les préposés aux appels ne chômeraient pas.

Ces préposés seraient basés à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, et à Winnipeg, au Manitoba. Un troisième centre ouvrirait ses portes à Ottawa plus tard. Mais c’était là le point de départ. En réalité, c’était la consolidation d’une multitude de petits centres d’appels locaux. Postes Canada avait confié la responsabilité de ce projet d’envergure à ma collègue Leigh-Anne Stanton.

De tels projets intéressaient évidemment les politiciens, surtout le premier ministre Frank McKenna pour qui cela se traduirait par la création d’emplois au Nouveau-Brunswick. D’ailleurs, les rumeurs circulaient déjà dans les médias de cette province et il devenait urgent d’en faire l’annonce publique au plus tôt. Le communiqué de presse était rédigé en collaboration avec les conseillers de McKenna, dont un certain Maurice Robichaud.

Les recherchistes de l’émission « Actualités Midi » de Radio-Canada Moncton ont eu vent du projet et commencent à poser les questions habituelles : pourquoi avoir choisi Fredericton (j’imagine par opposition à « pourquoi pas Moncton »), le centre sera-t-il bilingue, comment recrutera-t-on le personnel, et ainsi de suite. CBC Radio, de son côté, parle de « political interference ». Comme dirait l’autre, « damn if you do, damn if you don’t ». Ce n’était pourtant qu’une bonne nouvelle, à notre point de vue. Et c’est comme ça que l’information avait été traitée à Winnipeg.

* * *

À la fin de ce même mois, la « guerre civile » battait son plein dans ce qui allait devenir « l’ancienne Yougoslavie ». Nous devons annoncer un embargo sur les lettres à destination de la Macédoine parce que le volume ne justifie pas un sac indépendant; il faut plutôt envoyer le courrier à la Royal Mail, à Londres, qui l’ajoute à son propre sac international. Londres accepte seulement des lettres et aucun colis; aucune idée pour quoi.

En Serbie, les envois se font directement, mais il faut accepter uniquement des lettres de moins de 20 g. L’embargo est politique. En Croatie et en Slovénie, il n’y a aucun problème parce que le service part de Frankfurt par Lufthansa et que le volume de courrier est plus important.

Tout ça pour rappeler comment les services de livraison de Postes Canada sont vulnérables aux conflits ailleurs dans le monde. Les centres d’appels de Fredericton et de Winnipeg ont dû être occupés!

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Saint-Clément… priez pour nous

« Nous sommes en 1992 après Jésus-Christ. Tout le Québec est occupé par des bureaux de poste… Tout? Non! Un petit village d’irréductibles Clémentois et Clémentoises résiste au déserteur. Et la vie n’est pas facile pour les porte-parole ‘postescanadiens’ retranchés à Québec, Montréal, Halifax et Ottawa. »

L’histoire n’est pas aussi drôle que celle d’Astérix. En fait, le bureau de poste de Saint-Clément venait tout récemment de fermer par suite du départ à la retraite du maître de poste et les irréductibles villageois n’allaient pas se laisser faire. Saint-Clément est un petit village du Bas-Saint-Laurent, assez rapproché de L’Isle-Verte, dont on parle tant dans les médias ces temps-ci.

Le 4 décembre 1992, des citoyens envahissent le bureau de poste et l’occupent afin de protester contre la décision de la Société canadienne des postes d’offrir ses services dans un commerce local au lieu de nommer un autre maître de poste. L’occupation durera 59 jours et servira d’exemple à plusieurs autres communautés dont le bureau de poste était la cible d’une « conversion ».

Je me souviens avoir passé une semaine à notre bureau de Québec pendant que ma collègue Hélène Barnard se rendait sur le terrain. Aucun de nos arguments ne portait des fruits. L’occupation d’un petit village, comme l’autre démonstration de force du petit village de Barachois-la-Malbaie, près de Percé, et la renaissance de Dignité rurale du Canada (Rural Dignity of Canada), dont la fondation remontait à février 1987. Sa mission était de « protéger et promouvoir les services essentiels des communautés rurales ». Cynthia Patterson, si ma mémoire est bonne, en était l’âme inspiratrice et dirigeante. Le mouvement avait pris naissance pour protester contre la fermeture des succursales bancaires et des gares ferroviaires. La fermeture des bureaux de poste devenait la goutte qui faisait déborder le vase de la patience.

La conversion des bureaux de poste avait été jugée essentielle au retour à la rentabilité de Postes Canada et à la croissance de son efficacité opérationnelle. C’était une mesure parmi tant d’autres, dont celle de ne pas offrir un service de facteurs dans les nouvelles subdivisions résidentielles plusieurs années auparavant. La valeur comptable du bureau de Saint-Clément, par exemple, était d’un plus 60 000 $ alors que sa valeur marchande était plutôt d’un maximum de 25 000 $ et probablement moins. Comme la très grande majorité des bureaux de poste ruraux, ses frais d’exploitation étaient nettement supérieurs à ses revenus.

De nombreuses municipalités donnent leur appui à Saint-Clément et les journalistes y trouvent matière à de nombreux reportages. Même le magazine Time s’y intéresse. Les lettres des lecteurs ne se comptent plus. Les tentacules de Dignité rurale s’étendront à la largeur du pays. Les conversions continueraient même pendant qu’elles devenaient un enjeu électoral. Les libéraux s’étaient engagés à y mettre fin. C’est ce qu’ils ont fait quasiment dès leur élection. Les plans de rentabilité de Postes Canada devaient être revus et rajustés. L’entreprise, à mon avis, en paye encore le prix.

À Saint-Clément, la fierté des gens qui avaient attiré l’attention du pays et d’ailleurs était devenue un exemple. Encore aujourd’hui, sur le site Web de la municipalité de Saint-Clément, on peut y retrouver un résumé de cette révolte :

« La Municipalité de Saint-Clément s’est fait connaître en 1992-1993 à la grandeur de la province, et même dans une bonne partie du Canada. Elle a parlé haut et fort puisqu’elle se voyait imposer la fermeture de son bureau de poste, et ce, suite à la retraite du maître de poste.

L’occupation continue des locaux du bureau de poste de Saint-Clément, qui a débuté de 4 décembre 1992 pour ne se terminer que 59 jours plus tard, marquait la contestation de toute une population contre la machine gouvernementale. Bien que le bureau de poste ait tout de même été fermé, on considère que l’effort n’a pas été vain puisqu’aucun autre établissement postal n’a ensuite été fermé au pays. Une fierté pour les gens de notre communauté. Cet exemple de solidarité a intéressé les médias de tout le continent ainsi que des chercheurs universitaires en développement rural. Un livre a aussi été publié, relatant l’historique des événements ‘En quête d’une communauté locale’ [Raymond Beaudry et Hugues Dionne].

Suite à la fermeture de l’édifice qui abritait le bureau de poste, la municipalité s’est portée acquéreur du bâtiment en 1993 et les locaux sont demeurés fermés jusqu’en 1995. En 1996, c’est un Centre d’accès communautaire Internet (CACI) qui y était implanté, d’ailleurs ce fut le premier CACI à être implanté au Bas-St-Laurent. L’édifice a été rebaptisé Centre IR Ouellet en hommage aux maîtres de postes qui s’y sont succédé.

En décembre 1997, suite à une entente conclue entre la Société canadienne des postes et la municipalité de Saint-Clément, les services postaux réguliers ont été déménagés au Centre IR Ouellet et se retrouvaient donc dans leurs locaux d’origine. Voué aux communications le Centre IR Ouellet offre aujourd’hui la technologie du courrier électronique combiné avec les services postaux réguliers. »

Source : http://www.st-clement.ca/Message.aspx?id=msg_occupation

Pourtant, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes vous dira qu’il y a eu fermeture de plus de 1500 bureaux de poste au pays.

Avec l’annonce de la disparition du service de livraison à domicile au cours des cinq prochaines années verra-t-on la naissance d’une « Dignité urbaine du Canada »? J’en douterais. À moins que Denis Coderre…

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Ce n’était pas mon choix

En politique, on ne sait jamais. Par exemple, je ne sais pas si les rumeurs d’une défaite certaine des progressistes-conservateurs au scrutin de 1993 avaient été la source de la décision de préparer la succession et la retraite du président-directeur général Donald Lander en cette fin d’année 1992.

Le 10 décembre 1992, je suis convoqué au 9e étage de l’édifice Sir-Alexander-Campbell pour une rencontre d’information secrète, comme cela se produira souvent pendant ma carrière à Postes Canada. C’était la nature de mon travail. Je devais préparer un communiqué de presse pour le bureau du ministre Harvie Andre pour annoncer la grande nouvelle. Disons que ce n’est pas dans le bureau de Georges C. Clermont que j’aurais souhaité être convoqué, mais plutôt dans celui de l’autre vice-président de groupe, William Kennedy, ma préférence pour succéder à Lander. Mais voilà, ce n’était pas moi qui choisissais.

Clermont allait être nommé chef de l’exploitation, le même titre que Lander avait hérité lors de son embauche à Postes Canada en 1984 et avant qu’il ne devienne président-directeur général en 1986, l’année avant mon arrivée dans l’entreprise. La transition prévoyait que Lander demeurait PDG et, l’année suivante, il confierait la direction à Clermont puis occuperait la présidence du conseil d’administration. Lander prendrait officiellement sa retraite en 1994, exactement 10 ans après son arrivée à la société d’État.

Même si ce n’était pas mon préféré, Clermont avait quand même une feuille de route intéressante. Nos chemins s’étaient croisés 10 ans auparavant. De 1979 à 1982, il avait été vice-président des affaires diversifiées à la Compagnie internationale de papier du Canada et c’est lui qui avait été délégué à Hawkesbury pour annoncer la fermeture de l’usine locale de la CIP. Peut-être que cette situation avait biaisé mon jugement.

Avant la CIP, il avait pratiqué le droit de 1962 à 1968 chez Duranleau Dupré et Stewart McKenna, à Montréal, avant de passer chez Bell Canada jusqu’en 1975. Après la CIP, il avait été embauché comme vice-président Affaires générales et juridiques à Postes Canada en 1982; en 1989, il était devenu vice-président de groupe. Clermont était un peintre (huile et pastel) du dimanche et un cultivateur de bovins Simmental dans sa ferme de Dunrobin. Lui et sa femme Marie avaient trois enfants (Georges R., Anne-Marie et Jean-François).

Mais Clermont n’était pas le plus grand fervent de son équipe de communications, associée beaucoup à Bill Kennedy à son goût. En fait, à un certain moment, lors d’un rassemblement au Château Laurier, il nous dira clairement que nous étions un groupe d’incompétents. Très motivant, il va sans dire. Je crois que je l’ai encore sur le cœur; j’ajoute que j’étais encore à Postes Canada bien après son départ.

Et tout cela se passait alors que dans le Bas-Saint-Laurent, six jours auparavant, tout près de L’Isle-Verte dont on attend parler ces temps-ci dans tous les médias, une guerre contre Postes Canada avait été déclenchée dans la petite communauté de Saint-Clément.

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… et de la haute direction

Les syndicats avaient fait valoir leurs points de vue en avant-midi du 26 novembre 1992, tandis qu’en après-midi, c’était au tour de la haute direction, par la voix de Georges Clermont, alors vice-président de groupe responsable des affaires générales. En effet, tout l’exercice du régime d’actionnariat pour les employés n’en était pas un de relations de travail à proprement parler, mais bien d’épargne et de motivation. Clermont était accompagné de plusieurs cadres de Postes Canada, dont le vice-président des finances, Ian Bourne, et l’avocat-conseil général Peter McInenly. Seuls Clermont et Bourne prendront la parole, celui-ci, bien sûr, étant celui qui pouvait fournir les « chiffres ».

Harvie Andre, le ministre responsable, avait déjà à peu près tout dit et Clermont a répété l’essentiel des arguments et d’autres détails du programme. Comme il l’avait précisé, tout ça était un concept parce qu’il faudra d’abord attendre ce que le parlement décidera et élaborer ensuite les vrais mécanismes en consultation avec le Conseil du trésor et ainsi de suite. En d’autres mots, ce n’était pas un « done deal », bien que ce le soit presque.

Ainsi, à une réponse de Jerry Pickard, critique libéral de Postes Canada ce jour-là en l’absence de Don Boudria (ce qui faisait mon affaire parce que je n’aimais pas que mon député critique mon employeur, comme je vous l’ai déjà écrit), Ian Bourne avait mentionné que l’avoir net de la Société canadienne des postes était de l’ordre de 1,4 milliard de dollars; ce qui signifiait que la valeur du régime d’actionnariat pourrait atteindre quelque 140 millions de dollars.

Bourne avait clarifié la situation en ce qui a trait aux droits de vote liés aux actions, un concept qui avait été avancé par certains députés de l’opposition depuis le début de l’audience du comité des Communes chargé d’étudier le projet de loi C-73. Selon Bourne, « la véritable raison d’être d’actions est de partager les gains et les bénéfices, et pas nécessairement de partager le contrôle ». Bourne avait aussi reconnu que la vente des actions ne se conclurait pas nécessairement la première année et qu’en fait elle se prolongerait sur un certain nombre. Une politique sur les dividendes sera également élaborée une fois la loi adoptée et les mécanismes convenus avec le gouvernement. Évidemment, tous les Canadiens profiteraient de ces dividendes étant donné que la société d’État leur appartient.

Quant à Cid Samson, le néo-démocrate, il avait repris un refrain cher aux députés… l’absence de contrôle d’accès à l’information de Postes Canada et le secret qui entoure tout ce qu’elle fait. « Quand est-ce que cela arrêtera », avait-il demandé.

Comme mot de la fin, Clermont avait répondu à la question, « est-ce que vous achèterez des actions » et sa réponse avait été « oui, assurément ». Voilà pour les différents témoignages devant les députés. Toutes ces questions et tous ces arguments seraient répétés lorsque les Communes débattront du projet de loi quelques mois plus tard. En fin de compte, en août 1993, on apprendra que chaque action vaudra 10 $ et qu’un employé (cadre ou autre) ne pourra en acheter plus de 120 pour un total d’avoir net de 130 millions de dollars. Les 10 p. cent d’actions, par la force des choses, seront achetées du gouvernement, qui restera l’actionnaire majoritaire.

Postes Canada avait prévu un grand lancement du régime d’actionnariat pour les employés le 18 septembre 1993. Il n’aura jamais lieu. Quand les libéraux de Jean Chrétien ont obtenu un gouvernement majoritaire deux de leurs premières décisions ont été d’empêcher la mise en force du régime d’actionnariat alors que la Loi sur la Société canadienne des postes modifiée avait reçu la sanction royale (la Loi n’a jamais été changée et il encore possible, en 2014, de créer un mécanisme d’actions) et l’imposition d’un moratoire sur la fermeture… pardon, la conversion de bureaux de poste en comptoirs postaux. Ce moratoire sera d’ailleurs renouvelé quelques fois, y compris par les conservateurs de Stephen Harper, ceux-là même qui se préparent à valider le nouveau programme de redressement financier de Postes Canada.

Ah oui, j’oubliais… Non, je ne deviendrais donc pas actionnaire de la Société canadienne des postes comme je l’avais souhaité.

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Au tour des syndicats…

Pendant les 35 minutes qu’avait utilisées Nancy Rich devant le comité des Communes le 26 novembre 1992, les représentants syndicaux attendaient leur tour et ont dû se demander pourquoi elle avait essentiellement épuisé les arguments. J’avais oublié de préciser, hier, que Jean-Claude Parrot, l’ancien président du Syndicat des postiers du Canada, travaillait au Congrès du travail du Canada depuis son départ de la barre du SPC. J’en conclus que c’est lui qui avait tellement bien préparé Mme Rich et pourquoi elle parlait comme si elle faisait partie du SPC. Solidarité syndicale, j’imagine.

Même le néo-démocrate Cid Samson avait joué le jeu après la présentation de Nancy Rich. Il avait même dit que la Société canadienne des postes avait été créée comme « une société de services et n’avait jamais été conçue pour faire des profits ». Il avait lui aussi fait planer le spectre de réduction d’emplois en échange de profits.

Darrell Tingley, le président du SPC, avait déclaré que « nos actions sont notre convention collective et c’est là que le rendement se trouve; c’est le peuple canadien qui est propriétaire de l’entreprise et il faudrait que ça reste ainsi ». De toute façon, selon lui, Donald Lander obligera tous les cadres à acquérir des actions et ce sont eux qui détiendront la grande majorité; ce qui laissait supposer que les employés n’en achèteraient pas étant donné que ceux-ci étaient beaucoup nombreux que les cadres à Postes Canada.

Dave Worthy, du parti progressiste-conservateur, avait reproché aux présentateurs de soumettre des arguments qui étaient essentiellement contre la privatisation, alors que le projet de loi C-73 n’avait rien à voir avec un tel projet. Ces mêmes arguments, selon lui (il représentait le gouvernement, ne l’oublions pas), équivalaient à ceux de l’époque « où on voulait retenir le cheval et l’industrie des calèches alors que tous savaient que l’industrie de l’automobile se pointait à l’horizon ». Worthy se disait « opposé à l’utilisation des services de monopole là où la concurrence existe » et il avait carrément posé la question suivante : « Voulez-vous simplement protéger le statu quo et voir des emplois disparaître si rien ne change? » Le même argument a été réutilisé à maintes reprises par Postes Canada et les gouvernements du jour.

Ernie Blois, le président de l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints, représentait les employés du secteur rural, ces petits bureaux de poste que la société voulait fermer… pardons, convertir… et remplacer par des comptoirs postaux dans des entreprises locales. Blois, qui était par ailleurs mon voisin de cour arrière à Embrun, avait expliqué les résultats de ce programme de conversation… un tiers des membres de moins pour son syndicat… et on leur offrait quand même d’acheter des actions. « Ce n’est pas la manière de créer la confiance », avait-il précisé. Pourtant, le député Worthy avait noté un plus grand nombre de comptoirs postaux dans sa circonscription, ce qui devait nécessairement être mieux pour ses commettants.

Worthy avait aussi reproché à Tingley de ne pas parler de gains de productivité, le mot clé selon lui. Ce à quoi Tingley avait répliqué que les gains de productivité avaient été très nombreux au cours des récentes années et que ses travailleurs étaient productifs.

Dans sa seule intervention devant le comité, Larita McFadden, de l’Union des employés des postes et communications (qui deviendrait un jour affilié à l’Alliance de la fonction publique du Canada), avait affirmé que la société n’avait « qu’à traiter les gens comme des êtres humains pour améliorer le moral et de les traiter comme égaux » au lieu de leur faire remplir « des formulaires sur un lit d’hôpital plutôt que d’attendre leur retour au travail ».

Pour le reste, c’était surtout un rappel des arguments syndicaux bien connus et quelques députés de l’opposition, bien sûr, en profitaient pour démolir eux aussi les projets de la société et de son actionnaire principal, le gouvernement fédéral alors progressiste-conservateur sous Brian Mulroney… dont le mandat tirait d’ailleurs à sa fin.

Le mot de la fin était allé à Darrell Tingley, qui avait décrit l’offre de 10 p. cent des actions de la société aux employés, comme « une privatisation à un dixième ».