En 1996, j’écrivais une chronique dans le journal communautaire Le Reflet de Prescott-Russell, basé dans mon patelin d’Embrun. En préparant mon prochain déménagement, j’ai retrouvé celle du 9 octobre 1996… la seule dont j’ai conservé copie. Mon texte se référait à la récente mort de mon père, Alphonse. Je le partage avec vous, quinze années après son décès… et je me retrouve dans le passé quelques instants. En passant, le frère en question est décédé lui aussi il y a quelques années. À mon ordinateur, par iTunes, en récrivant le texte, j’écoute l’Ave Maria selon J.S. Bach, ainsi que « God’s Particle » et « 503 » du film « Anges et démons »… par pur hasard.
C’est une remarque que mon frère a fait. « Il était beau ». Comme on dit d’un nouveau-né qu’il est beau. Mais il ne me parlait pas d’un bébé. Il me parlait plutôt de mon père. Il venait de le voir, au « nursing home » où il était depuis moins de deux semaines. Il était décédé la veille, mon père. Dans sa 93e année. Il avait « éteint la lumière de sa vie ».
Il reposait paisiblement. Cette paix qu’il cherchait depuis maintenant quelques semaines. La mort, ce terrible messager de l’Au-delà, lui avait signifié son approche depuis quelques semaines. Un petit sursaut du cœur. Question de rappeler qu’à la porte de la vie, il faut se préparer à laisser entrer celle qui frappe.
Je partage mes émotions avec vous. « Il était beau! » À bien y penser, c’est vrai que l’on fait souvent cette remarque d’un défunt. Comme on le fait pour le bébé que l’on observe au travers la vitre de la pouponnière. « Il était beau! » pour marquer le commencement d’une vie. « Il était beau! » pour marquer la fin d’une vie. On nous dit que tout est recommencement.
On ne s’habitue pas à la mort. Je vous l’ai déjà dit, je crois. Elle nous entoure. Arrivé à un certain âge, elle nous frappe plus souvent. La mort fait partie de la vie. Mais on ne meurt jamais totalement. J’en suis convaincu. Le « contenant » disparaît, mais le « contenu » demeure avec nous.
Je ne parle pas de l’âme; c’est un concept un peu trop mystérieux pour moi. Je parle de l’esprit de l’être. Ce qu’il reste après. Parce qu’il reste quelque chose. L’être disparu reste avec nous. Par son nom. Par ses souvenirs. Surtout par ses souvenirs.
Mes frères, mes sœurs et moi regardions ses effets personnels, ses outils (il était ouvrier, mon père). Ses petites inventions d’homme-à-tout-faire. N’importe quoi pour économiser. Mon père ne croyait pas dans le « tout fait ». À 13 ans, il était parti pour les chantiers, comme il disait; il devenait bûcheron, comme c’était la coutume dans ces forêts du nord du lac Simon. Il était déjà indépendant. Bûcheron, en forêt, il faut se débrouiller et, surtout, on ne peut se permettre de se plaindre des petits bobos. C’était mon père. Jusqu’à la fin.
Je disais donc, nous regardions ses effets. Chaque objet, chaque outil, avait une histoire à raconter. Un souvenir de sa vie. Un souvenir de nos enfances respectives. Depuis quelques années déjà, et encore tout récemment, il m’avait remis de petits outils avec lesquels je jouais quand j’étais tout jeune. J’étais – comme il se plaisait à m’appeler – son « bébé ». Des outils que je manipulais avec mes petites mains pendant que lui, avec ses gros doigts de bûcheron, me transmettait quelques connaissances.
Aujourd’hui, je construis plutôt des phrases, avec des mots et des lettres. Et quand j’y penser attentivement, c’est du pareil au même. Construire, c’est construire. Et le produit reste. Comme des souvenirs.