Mes aventures avec les médias (1ère partie)

par Alain Guilbert

Montréal a accueilli plusieurs milliers de membres des médias pour les Jeux olympiques de 1976. Bien sûr, ce nombre inclut les journalistes, les commentateurs, les photographes, les techniciens tant des médias écrits que de la radio et de la télévision. Beaucoup de ces gens ont des délais serrés, des exigences particulières et un grand nombre veulent assister aux événements les plus spectaculaires.

En effet, presque tous sans exception veulent assister à la cérémonie d’ouverture ou admirer les exploits de Nadia Comaneci, de Bruce Jenner, de Sugar Ray Leonard et bien d’autres grandes vedettes.
Pour obtenir une accréditation de presse aux Jeux olympiques, tout journaliste ou membre d’un média doit obtenir une recommandation du Comité olympique de son pays une année complète avant le début des Jeux. Sinon, aucune accréditation ne peut être émise. Chaque journaliste qui soumet sa candidature doit indiquer ses champs d’intérêt (athlétisme, natation, cyclisme, football, gymnastique, sports équestes, boxe, etc.). Il est impossible d’assister à tous les évènements. Dans tous les sites de compétition, la majorité des places de presse sont réservées à ceux et celles qui ont exprimé leur intérêt pour les compétitions qui s’y déroulent… le tout comportant une certaine marge de flexibilité.

Bien sûr, il y a toujours des retardaires… Par exemple, deux jours avant le début des Jeux, trois Mongols se présentent à mon bureau (non… non… le mot Mongol ici n’est pas une injure… et n’est pas raciste)! Il s’agissait bel et bien de journalistes originaires de la Mongolie. Que veulent-ils? Rien de moins qu’une accréditation de presse, des laisser-passer pour la cérémonie d’ouverture ainsi qu’une position de caméra sur le terrain du Stade olympique.

Pour 2 000 journalistes, photographes, caméramans et techniciens admis dans les gradins, seulement les caméras du diffuseur officiel, soit l’ORTO (Organisation de la radio et télévision olympique – une création de Radio-Canada qui agissait comme diffuseur hôte) du réseau ABC, du film officiel des Jeux, ainsi qu’un photographe par grande agence de presse (REUTER, Associated Press, UPI, France Presse et la Presse canadienne), ainsi qu’un photographe affecté au rapport officiel des Jeux peuvent prendre place à des endroits très précis sur le terrain du Stade olympique. Tous les autres doivent opérer à partir des gradins.

Bien sûr, je ne pouvais même pas donner accès aux gradins à « mes nouveaux amis Mongols », encore moins à une place sur le terrain. Mais nous avions prévu la possibilité de telles demandes de dernière minute. Nous avions donc créé une carte spéciale pour les « retardataires », carte qui leur donnait accès aux centres de presse sous les gradins, là où il y avait des écrans de télévision, les résultats de toutes les compétitions en plus de rafraîchissements, ainsi que l’ambiance des Jeux.

Le jour de l’ouverture, quand je me suis présenté au Centre de presse pour vérifier si tout se déroulait comme prévu, j’ai aperçu « mes » trois Mongols. Ils affichaient un grand sourire et l’un d’eux tenait dans ses mains une caméra 8 mm (plutôt considérée comme un jouet qu’un outil de travail). Ils étaient heureux… c’est ce qui m’importait le plus. Ils ont pu découvrir l’atmosphère de la cérémonie d’ouverture à défaut de la voir en direct. Un cas de réglé!

24 heures après les Mongols, devinez qui arrive à mon bureau! Mes trois ex-collègues de la division des sports à La Tribune de Sherbrooke: Denis Messier, Jean-Paul Ricard et Mario Goupil. Bien sûr, ils ne savaient pas qu’il fallait soumettre leur demande d’accrédition une année complète avant leur arrivée. Ils s’étaient dit : « Alain va nous arranger cela ». Finalement, pour eux aussi, la carte spéciale donnant accès à tous les centres de presse a comblé leurs besoins.

Mais je les ai aperçus eux aussi dans le centre de presse, je leur ai glissé des passes qui leur permettaient d’assister en personne à la cérémonie. J’avais pris l’iniative d’asseoir des journalistes sur les marches entre les sièges ou les pupitres des medias. Mes amis de Sherbrooke sont restés quelques jours à Montréal… et ils même pu assister à une soirée de gymnastique mettant en vedette Nadia Comaneci et ses « amies ». Bien sûr, ils n’ont pas eu accès aux sièges près du plancher où se déroulaient les compétitions, mais la vue à partir de la passerelle était quand même excellente… et l’atmosphère extraordinaire.

Le trio d’amis venus de la ville reine des Cantons de l’Est n’ont pas été les seuls à recevoir un coup de pouce de ma part. Dans mon esprit, les Jeux avaient lieu à Montréal, au Québec et au Canada. C’était la première fois de l’histoire que les Jeux olympiques venaient chez nous, dans notre pays… et sans doute la dernière fois, du moins pour les Jeux d’été. A chaque fois que j’en ai eu l’occasion, et cela s’est produit assez souvent, j’ai fait pieds et des mains pour satisfaire aux demandes des journalistes canadiens. Et je n’avais pas pour autant l’impression de leur faire une faveur. C’était mon travail de les accommoder dans la mesure du possible. D’ailleurs, un grand nombre d’entre eux, autant de Montréal que de Toronto, m’ont fait parvenir des lettres de remerciements après les Jeux. Je les conserve (ces lettres) encore précieusement.

Les cas que je viens de vous raconter n’ont pas été très difficiles à solutionner. Il s’agissait de journalistes qui n’étaient pas familiers avec les règles olympiques, particulièrement avec celle qui exigeait que les journalistes soumettent leur demande d’accréditation à leur Comité olympique national au moins une année avant le début des Jeux.
Mais les choses n’ont pas toujours été aussi faciles à solutionner… Je vous en parlerai dans mon prochain texte.

Mon premier grave problème, je l’ai vécu à la gymnastique où Nadia Comaneci commençait déjà à conquérir les coeurs du monde entier (et bien sûr des médias également) avec ses performances « parfaites » sur le plancher du Forum.

Au 3e ou 4e jour des épreuves de gymnastique, un photographe du Sports Illustrated, la plus prestigieuse publication sportive en Amérique du Nord, se présente à mon bureau et n’exige rien de moins qu’une passe donnant accès au plancher de gymnastique au Forum. Bien sûr, je lui réponds qu’il m’est impossible de lui permettre un tel accès réservé uniquement à ceux qui alimentent des milliers de médias (réseaux de TV, agences de presse, diffuseur hôte, film officiel et rapport officiel). Je lui dis qu’avec ses lentilles « magiques » il peut obtenir des images exceptionnelles à partir des gradins de presse.
Il n’est pas content de ma réponse… et met fin à la rencontre en affichant un petit air de dédain à mon endroit. Quelques heures plus tard, c’est le moment de la compétition… je me rends sur la galerie de presse du Forum pour voir ce qui se passe avec les médias (et bien sûr aussi avec les performances de Nadio Comaneci, Nellie Kim, Olga Korbut et cie.

Soudain, mon oeil est attiré par quelque chose qui sonne faux. En effet, j’aperçois « mon photographe » du Sports Illustrated bien installé sur le plancher du Forum dans la position qui était pourtant réservée à « notre photographe » dédié au rapport officiel. Je comprends immédiatement ce qui s’est passé… le photographe de Sports Illustrated a soudoyé « notre » photographe du rapport officiel pour obtenir son droit d’accès. Je quitte la galerie de la presse en prenant soin d’amener avec moi deux agents de sécurité. Nous nous rendons auprès du photographe « fautif » et l’expulsons « manu militari » du Forum après avoir récupéré « notre accès » au photographe du rapport officiel. Celui-ci devait nous avouer plus tard qu’il avait reçu 500 $ pour céder son droit d’accès ce soir-là.

Je ne sais pas finalement si « notre photographe » a beaucoup joui de ses 500 $ acquis « illégalement » puisque je l’ai congédié le soir même. On en était seulement au 3e ou 4e jour des Jeux. Il (le photographe pour le rapport officiel) avait un contrat avec nous pour toute la durée des Jeux, contrat qui lui aurait rapport beaucoup plus que 500 $.

Incidemment… je ne l’ai jamais revu de toute ma vie… Peut-être n’était-il pas très fier de lui.

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Bromont… à cause d’un cheval sur le terrain de golf

par Alain Guilbert
Au départ, Bromont ne faisait pas partie des plans du Comité organisateur des Jeux olympiques de Montréal. En effet, dans le plan original du COJO, les épreuves de dressage des sports équestres devaient avoir lieu à l’île Ste-Hélène alors que les épreuves de saut d’obstacles (individuels) devaient être présentées à l’Autostade, une structure aujourd’hui disparue qui avait été construite à l’époque d’Expo 67 en bordure de l’autoroute Bonaventure.
Bien sûr, comme le veut la tradition, les épreuves de sauts d’obstacles par équipes auraient lieu au Stade olympique dans les heures précédant la cérémonie de clôture.

Chaque lieu de compétition doit éventuellement être approuvé par la Fédération internationale de chacun des sports. Ainsi, quand la Fédération équestre internationale a dépêché ses représentants à Montréal, ceux-ci ont rejeté les deux propositions du COJO, soit Ste-Hélène et l’Autostade. Pour queller raisons?

Dans le cas de l’île Ste-Hélène, le passage des automobiles et des camions franchissant par milliers le pont Jacques Cartier tout au long de la journée aurait considérablement « bouleversé » les chevaux qui réclament un silence quasi absolu pour bien performer. Pour que cet emplacement situé dans un extraordinaire décor champêtre ait été acceptable, il aurait fallu fermer complètement le pont pendant plusieurs jours… ce qui était impensable à l’époque.

Dans le cas de l’Autostade, c’était sensiblement le même problème. Les milliers de véhicules qui circulaient à bonne vitesse sur l’Autoroute Bonaventure causaient aussi beaucoup trop de bruit pour les athlètes et les chevaux participant au concours d’obstacles. Là aussi, c’était impensable de fermer le principal accès au centre-ville de Montréal en arrivant par la Rive-Sud.

Une fois ces deux lieux de compétition écartés, il fallait trouver une autre solution. Deux nouvelles propositions ont donc été soumises au COJO, l’une par le centre équestre d’Hudson, en banlieue ouest de Montréal, et l’autre par la nouvelle ville de Bromont, dans les Cantons de l’Est.

Les deux projets étaient pilotés par des personnes importantes. Dans le cas d’Hudson, le projet était parrainé par le propriétaire du centre équestre, George Jacobson, qui était également le président de l’Association canadienne de sports équestres. Dans le cas de Bromont, le projet était parrainé par un entrepreneur prestigieux, Roland Désourdy, le créateur de la ville de Bromont et le grand patron de Désourdy Construction, l’un des principaux constructeurs du Stade et des autres structures du Parc olympique.

Les deux propositions étaient aussi intéressantes l’une que l’autre.

La Fédération équestre internationale, dont le président était le Prince Phillip (oui, le conjoint de « notre » reine!), a donc dépêché son conseiller technique, le major Rourke, ex-officier des Forces britanniques et aussi un cavalier expérimenté.

Le conseiller technique s’est d’abord rendu à Hudson où il a été accueilli par M. Jacobson. Il a semblé impressionné par ce qu’il a vu à ce centre équestre qui existe encore, 40 années plus tard.

Puis, il s’est rendu à Bromont pour y rencontrer M. Désourdy, lui aussi un excellent cavalier. Le Centre équestre de Bromont était à cette époque plus rudimentaire que celui d’Hudson. Mais on y avait effectué plusieurs travaux avant la visite du major Rourke.

Entre autres, on avait recouvert un sentier de nouveau gravier la veille même de la visite technique. Malheureusement, il avait plu abondammant toute la nuit précédente et le nouveau gravier n’avait été compacté encore. Les deux hommescirculaient à travers le centre équesrte avec des chevaux dont les pattes s’enfonçaient dans le sol presqu’à chaque pas.

À un moment donné, les cavaliers se sont arrêtés au sommet d’une colline située en bordure du club de golf et d’où on avait une vue spectaculaire sur l’ensemble du centre équestre.

C’est à ce moment que le major Rourke a mentionné à son hôte que « le fantasme de sa vie avait toujours été de fouler un terrain de golf monté sur son cheval ». On sait que les Britanniques ont un respect quasi religieux pour les pelouses. On ne verra jamais personne fouler du pied ne serait-ce qu’un pouce (ou un centimètre) de pelouse, sauf si c’est pour son entretien. Ce serait quasiment commettre un sacrilege que de le faire.

« Monsieur Roland », comme on le surnommait familièrement, a pensé que son jour de chance était arrivé. Il a invité le major Rourke à le suivre au galop sur le terrain de golf. Après tout, c’est lui qui en était le propriétaire. Le délégué technique n’a pas raté l’occasion qui lui était donnée de réaliser son fantasme… même si les pattes des chevaux ont laissé leurs traces sur deux ou trois des 18 « verts » du terrain.

Quelques jours plus tard, la Fédération équestre internationale a fait connaître sa décision. Après le rapport de son délégue technique, la FEI recommandait le centre équestre de Bromont pour y présenter les épreuves de dressage et de concours d’obstacles des Jeux olympiques de Montréal.

Quelques années après les Jeux, Monsieur Roland « riait » encore de son aventure et de la façon dont il s’y était pris pour tenter d’influencer la recommendation du major Rourke. « Un cheval sur un terrain de golf » aura possiblement fait de Bromont une ville olympique!