C’était il y a 40 ans aujourd’hui…

Ses amis et les lecteurs de mon blogue le savent tous… Alain Guilbert a travaillé pendant 28 mois au Comité organisateur des Jeux olympiques (COJO 76), soit du printemps 1974 jusqu’en septembre 1976. Il qualifie cette aventure de merveilleuse… « Le trip de ma vie » a-t-il déclaré récemment au journaliste Philippe Cantin (La Presse). Lors du 1er anniversaire de la cérémonie d’ouverture qui a eu lieu le 17 juillet 1976, il avait écrit un texte souvenir pour La Tribune. Au 5e anniversaire, il a repris ce texte en le modifiant légèrement pour La Voix de l’Est. Au 15e anniversaire, il l’a refait pour Le Soleil. Et encore une fois pour La Presse lors du 25e anniversaire. Aujourd’hui, il revient à ce texte encore une fois pour marquer le 40e anniversaire de l’ouverture des Jeux de Montréal. Son texte a été repris dans quelques grands journaux. Je publierai d’autres textes d’Alain sur cet événement marquant au cours des prochaines semaines. Je tiens pour acquis que les lecteurs de mon blogue l’apprécieront.

par Alain Guilbert

Il était 17 heures environ.

Depuis deux heures, les 70 000 spectateurs entassés dans le Stade olympique étaient passés par toute la gamme des émotions. Aucun d’entre eux n’aurait voulu être ailleurs en cet après-midi du 17 juillet 1976.

Même le ciel avait contribué à cette journée inoubliable. Gris depuis le matin, il s’était complètement dégagé dans l’heure précédant le début de la fête, et le soleil, s’engouffrant par l’anneau technique du stade sans toit, illuminait de tous ses feux la piste sur laquelle s’apprêtaient à défiler ces milliers d’athlètes venus de tous les coins du monde.

À 15 heures précises, Sa Majesté Elizabeth II, reine du Canada (sic), avait pris place dans la loge royale; à ses côtés, hommes politiques et dignitaires de la grande famille olympique se pressaient.

L’atmosphère était quelque peu tendue. Depuis des semaines, les rumeurs les plus farfelues avaient circulé: présence de terroristes à Montréal, danger d’écroulement du stade, complot pour assassiner la reine. Les forces de sécurité étaient omni présentes, au cas où.

La très grande majorité des spectateurs ne demandaient qu’à manifester leur joie. Les huées isolées qui avaient accueilli Elizabeth II avaient été noyées sous des applaudissements nourris, plus chaleureux encore à l’entrée de Jean Drapeau.

Pendant plus de 75 minutes, les athlètes avaient défilé, ceux de la Grèce ouvrant la marche, comme le veut la tradition, ceux du Canada, pays hôte, la fermant, comme le veut aussi la tradition. Les acclamations n’avaient jamais cessé durant cette longue marche menée au son d’une musique qui unissait athlètes et spectateurs.

La clameur avait gagné en intensité pour marquer l’arrivée des athlètes canadiens, les plus nombreux. Leur entrée avait projeté une décharge électrique dans la foule, qui s’était levée d’un bloc pour crier à la fois sa joie et son appui à ces garçons et filles bien décidés à relever le défi du baron Pierre de Coubertin.

Les Québécois montraient du doigt Claude Ferragne et Robert Forget qu’ils avaient reconnu. Les deux sauteurs portaient sur leurs jeunes épaules les espoirs de médaille olympique de tout un peuple, un fardeau sans doute trop lourd pour des garçons à peine sortis de l’adolescence. C’est probablement à cet instant précis que tous deux ont subi l’élimination, 13 jours avant l’épreuve du saut en hauteur.

Dans les minutes suivantes, Elizabeth II, chef d’État du Canada (resic), avait proclamé les Jeux ¨officiellement ouverts¨. On avait ensuite procédé à l’envoi des couleurs, à la remise du drapeau olympique par le maire de Munich (hôte des Jeux précédents) au maire de Montréal. Puis 80 pigeons, symbolisant les années écoulées depuis la renaissance des Jeux en 1896, avaient pris leur envol vers le ciel.

Maintenant, il était 17 heures environ…

Soudain, un murmure qui s’amplifiait rapidement pour devenir un tonnerre. Sandra Henderson et Stéphane Préfontaine arrivaient dans le Stade au pas de course en brandissant la flamme olympique. Deux adolescents pour bien montrer que nos yeux étaient résolument tournés vers l’avenir; une fille et un garçon pour témoigner de l’égalité des sexes; une anglophone et un francophone pour exprimer la dualité canadienne.

Quand Sandra et Stéphane ont gravi le rostre central, mes yeux se sont embrouillés.

Dans ma tête, les images se succédaient à un rythme vertigineux. Je revoyais les manchettes affirmant que les Jeux de Montréal n’auraient jamais lieu; je relisais ces rapports d’experts (!) disant que le Stade ne pourrait être complété à temps; je revivais ces pénibles conflits politiques comme le statut de Taiwan et le boycottage des pays africains; je me rappelais les sarcasmes au sujet du coût des installations, la démission de quelques politiciens, les doutes d’une population parfois charriée par les médias; je ressentais les drames qui avaient durement frappé le COJO, comme la mort de deux vice-présidents, les conflits de travail sur les chantiers de construction, les énergies consacrées à rassurer le Comité international olympique et l’opinion mondiale sur la capacité (ou peut-être l’incapacité) de Montréal à présenter les Jeux.

Au même moment, je savais au plus profond de moi que nous avions triomphé de toutes les difficultés qui avaient parsemé la longue route menant de Munich à Montréal. Je savais que l’idéal auquel nous croyions avait eu raison de tout. La vasque que Sandra et Stéphane venaient d’enflammer en témoignait éloquemment.

Près de moi, des proches, des amis, des compagnons de travail, des inconnus, Canadiens et étrangers. La plupart d’entre eux ne pouvaient savoir ce que nous avions vécu pour en arriver là. Tout avait été difficile.

Mais à cet instant précis, plus rien n’avait d’importance. Le ballet gymnique, hommage de la jeunesse québécoise à la jeunesse du monde entier se déroulait comme un mouvement parfaitement synchronisé. La foule voguait sur un nuage. La flamme brûlait. Plus de 8 000 athlètes étaient au rendez-vous. La vraie fête pouvait commencer. Mission accomplie!!!

Avant de quitter le Stade, j’ai attendu que le dernier athlète en soit sorti. Puis lentement, entouré des miens, j’ai marché avec cette foule soudainement silencieuse et respectueuse du moment historique qu’elle venait de vivre…

C’était y a 40 ans aujourd’hui…

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