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Les villes où j’ai vécu : Sherbrooke

(Depuis sa naissance, Alain a habité dans une dizaine de villes différentes, dont certaines à plus d’une reprise. Bien sûr, ses souvenirs et ses impressions de chacun de ces endroits où il a vécu sont relatives à l’âge qu’il avait à l’époque et aux activités auxquelles il s’était livré… ainsi que des souvenirs qu’il en a gardés. Voici donc le cinquième article de cette série. Vous les retrouverez par la suite dans l’onglet « Les villes où j’ai vécu » sous les « Grands thèmes » de mon blogue. Bonne lecture.)

par Alain Guilbert

Après avoir quitté la Congrégation de Ste-Croix au printemps de 1959, j’ai pris la décision de poursuivre des études en droit, ce qui représentait quand même mon second choix à la fin de mes études classiques. Normalement, j’aurais dû m’inscrire à l’Université de Montréal, avec laquelle était affilié le séminaire de St-Hyacinthe. Mais il me fallait absolument trouver un travail à temps plein (ou presque) si je voulais être en mesure de payer mes études et toutes les dépenses liées au fait qu’il me faudrait vivre à l’extérieur de ma ville natale.

C’est ainsi que je me suis retrouvé à l’Université de Sherbrooke à la suite d’un curieux concours de circonstances qui s’était produit alors que j’étais toujours aux études classiques. Des représentants du quotidien La Tribunede Sherbrooke étaient venus à Acton Vale pour recruter des abonnés et organiser un service de distribution par camelots. Ces agents du journal logeaient à l’hôtel Manoir, propriété de mon oncle Dardanelle (le frère de ma mère), à qui ils avaient demandé de suggérer quelqu’un pour superviser les nouveaux camelots, recueillir l’argent des abonnés et effectuer les dépôts bancaires. Mon oncle a suggéré le nom de son neveu, en l’occurrence moi.

Quand j’ai rencontré les représentants du journal, ils m’ont expliqué en quoi consistait le travail et m’ont aussi demandé si je pourrais à l’occasion rédiger des nouvelles en provenance d’Acton Vale pour le journal. Ils souhaitaient que les nouveaux lecteurs de
La Tribuneaient des nouvelles « locales » à se mettre sous la dent à l’occasion.

J’ai donc accepté la double responsabilité de m’occuper des camelots et d’agir comme correspondant du journal. Mais comme nous étions au début des vacances d’été, je me suis consciencieusement acquitté de ces tâches jusqu’à la rentrée scolaire de septembre. Je devais alors abandonner mon poste puisque je retournais au pensionnat. C’est ma mère qui a pris la relève. En 1959, elle remplissait toujours ces fonctions. Avec le temps, elle avait établi d’excellents contacts avec les responsables de La Tribune. En quittant le noviciat des Pères Sainte-Croix à la mi-mai, j’avais eu un emploi au bureau de Montréal du ministère des Ressources hydrauliques, et (comme je l’ai raconté dans un texte précédent) il semblait préférable que je me trouve un emploi ailleurs.

C’est alors que ma mère m’a suggéré d’aller à Sherbrooke où elle croyait possible d’obtenir une rencontre avec un dirigeant du journal. Et par un heureux hasard, je me suis présenté à Sherbrooke au moment même où quatre ou cinq journalistes avaient remis leur démission pour aller occuper de nouveaux postes au bureau que La Presse (de Montréal) venait d’ouvrir à Sherbrooke pour livrer « la guerre de l’information à La Tribune ». Ma mère avait demandé à rencontrer Me Paul Desruisseaux, le président et propriétaire du journal, mais celui-ci était à l’hôpital à la suite d’une crise qu’il avait faite en apprenant que son directeur de la rédaction et quelques-uns de ses journalistes le quittaient pour aller lui livrer concurrence à La Presse.

Nous avons (ma mère et moi) alors rencontré le directeur général de l’entreprise,
Wilfrid J. Steben, qui m’a embauché sur-le-champ, à la stupéfaction de celui qui devait devenir mon patron et qui venait tout juste d’être nommé directeur de la rédaction avec plein pouvoir pour embaucher le personnel de son choix, Yvon Dubé.

Inutile de dire que le « nouveau directeur de la rédaction » n’était pas particulièrement heureux de l’arrivée d’un « jeune nouveau » qu’il ne connaissait ni d’Ève, ni d’Adam, et qu’il n’avait surtout pas embauché lui-même. Heureusement, les choses n’ont pas mis de temps à se « tasser », et nous sommes par la suite devenus les meilleurs amis du monde. Il aura été un professeur exceptionnel pour moi, et je lui dois à peu près tout ce que j’ai appris dans le journalisme, et je lui en suis encore reconnaissant. J’ai d’ailleurs toujours gardé le contact avec lui, plus de 50 ans après avoir fait mes débuts sous sa tutelle.

J’ai vécu des heures inoubliables à Sherbrooke que j’ai appris à considérer comme « ma ville » puisque c’est là que j’y ai fait mes débuts professionnels, mais surtout que j’y ai rencontré Céline, celle qui devait devenir ma compagne de vie, que je m’y suis marié, que mes deux enfants, Alain et Anne, y sont nés.

Les premières années de mon séjour à Sherbrooke se sont surtout passées au centre-ville. À cette époque, l’Université en était encore à ses balbutiements et n’avait pas de campus structuré comme aujourd’hui. La faculté de droit, par exemple, était située dans l’ancien palais de justice, rue Wellington, à quelques pas de l’édifice La Tribune, lequel était situé au 221 rue Dufferin, sur les bords de la rivière Magog. Juste en face du journal se trouvait le Café des artistes (nom qui lui avait été donné en raison de la présence des stations de radio et de télévision dans la même bâtisse que le journal), un restaurant où j’ai pris d’innombrables repas, autant le matin que le midi ou le soir. Et un peu plus au nord, toujours sur la rue Dufferin, mais de l’autre côté de la rivière Magog, se trouvait l’hôtel Magog, que nous avions affectueusement surnommé « le Studio M », encore une fois à cause de la présence à proximité des studios de radio et de télévision. L’appellation « Studio M » était une sorte de code pour les employés de La Tribune, de CHLT et CKTS, ainsi que de Télé 7, pour dire qu’ils allaient prendre une bière sans que les « étrangers » ne s’en rendent compte. C’était aussi un lieu de rendez-vous pour les étudiants en droit (le débit de boisson le plus près de la faculté) et nous y avons disputé de très nombreux concours de « Colonel Pouf » et de « Bizoune », des jeux qui avaient pour objectif de nous faire consommer de la bière, parfois beaucoup de bière.

À la faculté de droit, les professeurs étaient tous des juges ou des avocats de pratique privée, ou même des notaires. Nos cours se donnaient dans le palais de justice entre 8 h et 10 h le matin ainsi qu’entre 16 h et 18 h, parce que les salles de tribunaux constituaient les salles de cours, et qu’entre 10 h et 16 h nous ne pouvions occuper ces locaux où siégeaient alors les différents tribunaux (Cour des sessions de la paix, Cour provinciale et Cour supérieure).

Ma première tâche au journal consistait à corriger les textes des journalistes et des correspondants, et à faire des titres sur les nouvelles secondaires (qu’on appelait bouche-trous). Je travaillais de 18 h (après mes cours) jusqu’à 1 h du matin. Je rentrais chez moi en taxi, puisqu’il n’y avait pas d’autobus après minuit, et je retournais aux cours le matin à 8 h. Je pouvais étudier entre 10 h et 16 h, ce qu’évidemment je ne faisais pas toujours.

La semaine de travail s’étendait sur six jours (ou six soirées) puisque le journal était publié six jours par semaine. Mon salaire initial était de 35 $ par semaine, avant impôts et autres déductions. J’avais « oublié » de demander quel était le salaire au moment de mon embauche.

Au bout de six mois, je suis devenu journaliste affecté aux tribunaux et aux faits divers (accidents, vols, incendies, meurtres, etc.). Ce travail me convenait parfaitement puisqu’il correspondait à mes études en droit (pour la partie des tribunaux). Et quant aux affaires criminelles et autres faits divers, les bureaux de la Sûreté du Québec étaient situés au sous-sol du palais de justice (toujours à deux pas du journal), alors que ceux de la police de Sherbrooke et du service des incendies se trouvaient sur la rue Marquette, à cinq minutes de marche du journal. Un environnement idéal.

Le premier endroit où j’ai habité à Sherbrooke était chez ma tante Evelyne, la sœur de ma mère, qui habitait avec son mari, mon oncle Gaspard, au 827 de la rue Short, pas très loin de la rue Belvédère. Je ne m’y sentais pas vraiment à l’aise parce que j’avais l’impression que cette chère tante se conduisait avec moi comme un préfet de discipline. Après mes sept années à St-Hyacinthe et la suivante à Ste-Geneviève, j’en avais assez des « préfets de discipline ». Après quelques semaines à peine chez ma tante Evelyne, j’ai loué une chambre dans une maison située à l’angle des rues Ball et Brooks, sous prétexte de me rapprocher de mon travail et de mes cours.

Là non plus, je ne suis pas resté longtemps. Là, comme chez ma tante, je n’avais pas l’impression d’être chez moi. Alors, avec un collègue de travail de La Tribune, nous avons loué un appartement rue King ouest, juste en haut de la grande côte, en face du monument dédié aux soldats inconnus. Et au bout de quelques mois, nous avons déménagé au 20 King est, une maison d’appartements plutôt modernes dont le rez-de-chaussée était occupé par un magasin de la Commission des liqueurs (aujourd’hui la Société des alcools). À chaque déménagement, j’étais convaincu (et c’était sans doute la réalité) d’améliorer mon sort. Après deux années et quatre logements différents à Sherbrooke, j’ai finalement aménagé en pleine rue Wellington, à deux pas de l’intersection King, au-dessus du célèbre restaurant Olivier, qui était l’un des rares endroits de la ville ouvert 24 heures sur 24. Je devais demeurer à cet endroit jusqu’à mon mariage avec Céline en juillet 1965… (à suivre)

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Les villes où j’ai vécu : Montréal

(Depuis sa naissance, Alain a habité dans une dizaine de villes différentes, dont certaines à plus d’une reprise. Bien sûr, ses souvenirs et ses impressions de chacun de ces endroits où il a vécu sont relatives à l’âge qu’il avait à l’époque et aux activités auxquelles il s’était livré… ainsi que des souvenirs qu’il en a gardés. Voici donc le quatrième article de cette série. Vous les retrouverez par la suite dans l’onglet « Les villes où j’ai vécu » sous les «Grands thèmes » de mon blogue. Bonne lecture.)

par Alain Guilbert

Après avoir quitté le noviciat de la Congrégation de Sainte-Croix au printemps 1959, il me fallait bien décider ce que je voulais faire dans la vie. Après quelques semaines de réflexion, j’ai opté pour le droit, ce qui était parmi mes derniers choix à la fin de mes études classiques, avant de tenter l’expérience de la vie religieuse.

En principe, j’aurais dû m’inscrire à l’Université de Montréal, puisque le Séminaire de St-Hyacinthe y était affilié. Mais avant de penser à la rentrée universitaire en septembre, il me fallait un travail d’été pour m’aider à défrayer le coût des études à venir. Comme cela se faisait régulièrement à l’époque, j’ai frappé à la porte de notre député (le comté de Bagot). Il s’agissait de Daniel Johnson (le père), qui était alors ministre des Ressources hydrauliques dans le gouvernement de l’Union nationale. Celui-ci m’a déniché un emploi dans les bureaux de son ministère à Montréal, emploi qui devait se prolonger jusqu’au début de l’année scolaire. Et comme je ne désirais pas m’exiler à Montréal seul, il a aussi procuré du travail à mon ami d’enfance Réjean Guillet… et tous les deux, à peine âgés de 19 ans, nous nous sommes retrouvés dans la « grande ville » par un beau jour de juin. Nous avons d’abord localisé les bureaux du Ministère des Ressources hydrauliques, lesquels étaient situés rue Ste-Catherine, angle Berri, au 7eétage où se trouvait (et se trouve encore) le magasin Archambault, alors spécialisé en musique.

De là, nous sommes partis à la recherche d’un toit pour nous abriter du lundi au vendredi, parce que nous retournions dans nos familles respectives, à Acton Vale, toutes les fins de semaine. Nous avons finalement arrêté notre choix sur une chambre située rue St-Denis, à mi-chemin entre les rues Sherbrooke et Ontario. Si ma mémoire est bonne, le prix de la chambre était de 8 $ par semaine, que nous partagions moitié-moitié. Et son grand avantage était de se trouver à cinq minutes de marche à peine du lieu de notre travail.

Mais pour notre plus grand malheur, la rue St-Denis a été en réparation tout l’été (J’ai découvert plus tard qu’il y avait toujours des rues en réparation à Montréal). Les camions et autres appareils mécaniques soulevaient des nuages de poussière à la journée longue en plus de continuer leur bruit infernal jusque tard en soirée. Et pire encore, l’été 1959 aura probablement été l’un des plus chauds dont je puisse me souvenir. Vous imaginez le beau « mariage » entre la chaleur et la poussière.

Mais nous avons rapidement trouvé des trucs pour combattre la chaleur. Nous n’avons pas mis de temps pour découvrir deux tavernes extrêmement populaires, rue Ste-Catherine ouest, soit Chez Toe Blake (du nom de l’ex-joueur et instructeur du Canadiens) et le St-Régis. La bière en fût se vendait alors 10 cents le verre. Alors pour 1 $, pourboire inclus, on pouvait prendre deux « draughts » et un bon repas, genre spaghetti ou steak haché. On se rendait à l’un ou l’autre endroit en marchant, ou en autobus s’il pleuvait assez pour rendre la marche inconfortable. J’oubliais de dire que les deux tavernes en question étaient équipées d’air climatisé.

Le soir, après le travail, quand les Royaux de Montréal, l’équipe de baseball de calibre AAA et filiale des Dodgers de la Ligue nationale, jouaient à domicile, nous nous rendions au parc De Lorimier (angle Ste-Catherine et De Lorimier) pour admirer le spectacle de ces joueurs dont plusieurs se sont retrouvés plus tard dans les Ligues majeures (je me rappelle des Sandy Amoros, Tom Lasorda, Bob Lennon et quelques autres) en plus d’avoir le plaisir de passer la soirée en plein air. Nous achetions des billets de « bleachers » à 25 cents, et à mesure que le match se déroulait nous nous déplacions vers les sièges vides situés près du troisième but ou derrière le marbre. Un très bon spectacle à un prix très abordable. Au retour, nous marchions le long de la rue Ontario et nous arrêtions prendre une « draught » (ou deux), toujours à 10 cents le verre ou deux verres pour 25 cents, incluant le pourboire, dans une des nombreuses tavernes située le long de notre parcours. Notre choix s’arrêtait seulement sur les locaux avec air climatisé. Lorsqu’il n’y avait pas de baseball, nous allions faire un tour au parc Lafontaine, encore une fois à distance de marche de notre domicile, ou, si la chaleur était trop accablante, nous allions au cinéma St-Denis, tout juste à quelques pas d’où nous habitions. Je ne me souviens pas d’un seul des 10 ou 12 films que j’ai visionnés tout au cours de l’été. Ce dont je me souviens cependant, c’était que le cinéma était équipé avec l’air climatisé. C’est la seule raison qui nous y attirait. Nous y allions pour dormir à l’air frais! Même si notre chambre avait une fenêtre qui « donnait » sur la rue, la chaleur y était toujours accablante… et malgré notre jeunesse et notre bonne forme physique, cette chaleur rendait notre sommeil très difficile.

Voilà ce qu’a été mon premier vrai contact avec Montréal. J’ai eu le plaisir d’y demeurer à deux autres reprises, soit de 1972 à 1976, puis de 1987 à 1997, mais j’y reviendrai plus tard avec d’autres textes de la présente série des « villes où j’ai vécu ».

Pourquoi je ne suis pas allé à l’Université de Montréal pour y faire mes études de droit? Voici… puisque je n’avais pas suffisamment d’argent pour étudier à plein temps à l’Université, je devais me trouver un travail même durant mes études. Quand je suis allé voir mon député Daniel Johnson pour le remercier de m’avoir donné un emploi d’été à Montréal, il m’a dit que je pourrais occuper également cet emploi pendant l’année scolaire, mais il me suggérait fortement de trouver « autre chose » puisque s’il lui arrivait de ne plus occuper son poste de ministre, cela signifiait que je perdrais cet emploi dit « politique » et que je me retrouverais devant rien. J’ai suivi son conseil et j’ai trouvé un emploi à La Tribunede Sherbrooke… ce qui m’a amené à m’inscrire à l’Université de Sherbrooke plutôt qu’à l’Université de Montréal. Pour cette raison, quand j’ai terminé mon emploi d’été à Montréal, je suis retourné chez moi, à Acton Vale, pour une semaine… puis j’ai préparé mes bagages pour Sherbrooke où je suis arrivé à la fin d’août 1959 pour entreprendre (encore) une nouvelle vie.

Et j’ai toujours été éternellement reconnaissant à Daniel Johnson pour son conseil puisque l’année suivante, soit en 1960, l’Union nationale subissait une cuisante défaite aux mains de Jean Lesage et son équipe du Tonnerre. Ce qui veut dire que je me serais retrouvé « Gros Jean comme devant » si j’avais misé sur l’emploi du ministère des Ressources hydrauliques… Et pire encore, je ne me serais sans doute jamais retrouvé à Sherbrooke, sûrement l’une des plus belles (dans tous les sens du mot) villes du Québec. Je vous en reparle dans mon prochain billet.

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Les villes où j’ai vécu : Ste-Geneviève de Pierrefonds

(Depuis sa naissance, Alain a habité dans une dizaine de villes différentes, dont certaines à plus d’une reprise. Bien sûr, ses souvenirs et ses impressions de chacun de ces endroits sont relatives à l’âge qu’il avait à l’époque et aux activités auxquelles il s’était livré…ainsi que des souvenirs qu’il en a gardés. Voici donc le troisième article de cette série. Vous les retrouverez dans l’onglet « Les villes où j’ai vécu » sous les «Grands thèmes » de mon blogue. Bonne lecture.)

par Alain Guilbert

Après avoir obtenu mon baccalauréat ès arts en mai 1958 au Séminaire de St-Hyacinthe, il fallait bien choisir une vocation. Pendant un grand moment, à cette période, et particulièrement à la suite d’une retraite fermée de trois jours vers la fin de ma dernière année d’études classiques, j’ai sincèrement cru être appelé à devenir prêtre. Après avoir longuement hésité entre le Grand Séminaire de St-Hyacinthe, où on formait les prêtres séculiers, j’ai finalement opté pour la Congrégation de Sainte-Croix, une communauté « moderne » (fondée au XIXesiècle), qui était à l’origine de la célèbre université Notre-Dame dans l’Indiana (États-Unis) et aussi très bien reconnue au Québec pour son Collège Sainte-Croix, rue Sherbrooke Est à Montréal, son collège St-Laurent, à ville St-Laurent, l’un des meilleurs au pays, et aussi son œuvre de l’Oratoire St-Joseph. La différence entre devenir un prêtre séculier et un père de Sainte-Croix, c’est qu’il fallait faire une année de noviciat avant d’entreprendre quatre années d’études théologiques.

C’est ainsi qu’un bon jour du mois d’août 1958, à peine âgé de 18 ans, je me suis retrouvé à Ste-Geneviève de Pierrefonds, une municipalité située dans la banlieue ouest de Montréal dont j’ignorais même l’existence, mais où se trouvaient regroupés le noviciat et le scolasticat de la Congrégation de Sainte-Croix. Le monastère qui m’a accueilli pendant huit mois (la durée de mon séjour) se trouvait le long du boulevard Gouin (la voie de circulation la plus au nord de l’île de Montréal), en bordure de la rivière des Prairies, juste en face de l’Île Bizard, et à quelques pas à peine du pont qui y donnait (et y donne encore) accès. Autre point de repère, le monastère était à peine à un kilomètre du célèbre Parc Belmont. Cet édifice (le Monastère, et non le Parc Belmont), alors la propriété de la Congrégation de Sainte-Croix, existe encore, mais il a été transformé en cégep (anglophone, je crois) il y a bien des années.

Un peu comme pour mes années de pensionnat à St-Hyacinthe, où j’ai passé près de 98 % de mon séjour de sept ans à l’intérieur des limites du séminaire, le même phénomène s’est produit au noviciat des pères de Sainte-Croix où la presque totalité de mon séjour s’est déroulée à l’intérieur des limites de la propriété. Pour ceux et celles qui ne seraient pas familiers avec la notion de noviciat, disons qu’il s’agit d’une année consacrée à la prière, à la réflexion, à la méditation, à des lectures (toutes reliées d’une façon ou de l’autre à la religion) afin de vérifier si nous avions vraiment la vocation pour devenir prêtre, ou « père », si vous le préférez. Voici à quoi ressemblait une journée typique : lever à
6 heures, messe vers 6 h 30, suivie de 30 minutes de méditation, puis petit-déjeuner. Par la suite, vers 8 heures, chacun vaquait aux tâches qui lui avaient été assignées : par exemple, pour mes trois premiers mois, j’étais sacristain; ceux qui n’avaient pas de tâches précises et les autres, lorsque leurs tâches étaient terminées, participaient à la fabrication des lampions et des lampes de sept jours que les pèlerins faisaient brûler à l’Oratoire
St-Joseph en échange d’une obole. Par la suite, il y avait une longue conférence spirituelle animée par le père « maître » des novices, laquelle était suivie du dîner. Après une récréation bien méritée, il y avait une heure ou deux pour la lecture et la réflexion personnelle, le tout suivi d’une autre conférence spirituelle et d’une autre période de méditation. Enfin, en soirée, il y avait le souper, suivi d’une seconde récréation et d’une dernière période de lecture ou de réflexion. À travers ce programme, nous nous rendions à la chapelle à plusieurs reprises pour chanter les psaumes de l’office religieux, à différentes heures de la journée, en commençant tôt le matin par les laudes, en poursuivant durant la journée par prime, tierce, sexte, none, puis vêpres et complies. Tôt les dimanches matins, on y ajoutait les matines. Je chantais tellement mal, même des choses aussi simples que les psaumes, qu’on m’avait demandé de me limiter à faire du « lipsync » (faire bouger mes lèvres sans faire de bruit).

Inutile de dire que nos journées complètes se passaient en silence, sauf pour les deux périodes de récréation. Même les repas se prenaient en silence pendant que chacun des novices, à tour de rôle (nous nous remplacions chaque semaine), faisait la lecture à haute voix d’un livre à caractère religieux à l’intention de ses collègues. Pendant mon séjour, je me rappelle que nous avions passé à travers (ou presque) « l’Histoire de l’Église » par Daniel-Rops, une œuvre de sept ou huit « briques » de plus de 500 pages chacune. Au moins, c’était très intéressant.

Je ne sais pas si nous pouvons appeler cela des « congés », mais nous avions du temps libre les mercredis et les dimanches en après-midi pour nous livrer à des activités sportives ou à des excursions. Bien sûr, ces excursions consistaient en de longues marches, quelques fois le long du boulevard Gouin, mais la plupart du temps sur l’île Bizard qui n’était pas encore passée entre les mains des promoteurs immobiliers et qui n’était alors habitée que par quelques producteurs agricoles. La campagne à la porte de Montréal, quoi! Cette île était tout simplement magnifique. Lors des grandes fêtes religieuses, comme Noël, Pâques et quelques autres, nous pouvions profiter de sorties très spéciales : en effet, nous nous rendions (en autobus) à l’Oratoire St-Joseph pour y participer aux superbes cérémonies que la Congrégation de Sainte-Croix préparait pour les fidèles et les pèlerins. Nous pouvions en même temps y voir brûler des centaines de lampions et de lampes que nous avions fabriquées de nos mains. Quelles belles sorties.

Pour les sports, c’était un peu limité puisque nous n’étions qu’une douzaine de novices, ce qui ne nous permettait pas vraiment de faire deux équipes de balle (softball ou baseball), mais nous pouvions techniquement former une équipe de hockey. La plupart du temps nous jouions entre nous (les novices), mais très occasionnellement nous pouvions affronter les scolastiques (nos aînés). Nous n’étions pas vraiment en mesure de leur livrer de trop chaudes luttes, mais au moins cela nous faisait faire de l’exercice et nous procurait une saine détente. Le plus bizarre, c’est que nous devions toujours nous « vouvoyer » par respect mutuel. Cela n’était pas trop difficile dans nos activités quotidiennes et même lors de nos excursions, mais disons que ce n’était pas évident lors des compétitions sportives. J’avais de la difficulté à crier : « Allez-y Bernard » ou encore « Envoyez Adélard ». J’avais trouvé un truc : j’utilisais l’anglais où le « tu » et le « vous » sont confondus. C’était bien plus simple de dire « Let’s Go Bernard » ou « Com’on Adélard ». Cela faisait plus sportif, du moins je le crois.

Au Séminaire de St-Hyacinthe, j’avais commencé à fumer quand j’ai atteint la classe de Versification. Mais au monastère, c’était bien sûr interdit. À l’hiver, en arrière du monastère, il y avait une longue pente qui descendait jusqu’à la rivière des Prairies. Nous y avions installé un genre de rampe surélevée qui nous permettait de nous laisser descendre en skis et de nous rendre loin sur la rivière. Un jour, j’ai pris une spectaculaire culbute au cours de laquelle je me suis accroché le nez avec mon bâton de ski. Visite chez le médecin et deux points de suture… et une occasion en or de fumer… Quand je suis retourné voir le médecin pour enlever les points, je lui ai demandé s’il pouvait n’en enlever qu’un seul à la fois, ce qui me permettrait de revenir une autre fois… et me donnerait une autre occasion de fumer… Le médecin a été supercompréhensif… Il m’a enlevé les deux points au même moment, mais m’a donné trois autres rendez-vous pour vérifier si la cicatrice guérissait bien… trois occasions de fumer… Un vrai bon médecin!

Malgré les bons soins du médecin et l’amitié sincère de mes collègues novices, j’ai réalisé au bout de huit mois que je n’étais pas destiné à devenir un prêtre ou un « père ». Par un beau matin d’avril 1959, j’ai enlevé ma soutane, fait ma valise et suis rentré chez moi à Acton Vale… où ma mère m’a accueilli les bras grands ouverts! Ma vraie vie d’adulte allait alors commencer.

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Les villes où j’ai vécu : St-Hyacinthe

(Depuis sa naissance, Alain a habité dans une dizaine de villes différentes, dont certaines à plus d’une reprise. Bien sûr, ses souvenirs et ses impressions de chacun de ces endroits ont relatives à l’âge qu’il avait à l’époque et aux activités auxquelles il s’était livré…ainsi ue des souvenirs qu’il en a gardés. Voici donc le deuxième billet de cette série. Vous les retrouverez dans l’onglet « Les villes où j’ai vécu » sous les «Grands thèmes » de mon blogue. Bonne lecture.)

par Alain Guilbert

Après ma ville natale, Acton Vale, la première ville où j’ai habité est St-Hyacinthe, qu’on appelait à l’époque (et encore aujourd’hui) « St-Hyacinthe la jolie ». Je ne suis pas vraiment déménagé à St-Hyacinthe… j’ai plutôt fait mon entrée au Séminaire de
St-Hyacinthe pour y entreprendre mes études classiques. Les Cégeps n’existaient pas encore. À cette époque (1951), on terminait ses études primaires (7e année), puis on entreprenait des études classiques… ou on poursuivait jusqu’en 9eannée, et on se dirigeait vers l’usine ou un autre travail.

Comme je l’ai dit dans un texte précédent, nous étions pauvres, et ma mère n’avait certainement pas les moyens d’acquitter les frais de ma pension à St-Hyacinthe, quelque chose comme 36 $ par mois, logé et nourri, enseignement inclus. C’est le curé de la paroisse à Acton Vale, en espérant qu’un jour je devienne prêtre (!!!), qui a payé une partie des frais au Séminaire.

Le Séminaire de St-Hyacinthe accueillait 600 étudiants – tous des garçons –
450 pensionnaires qui habitaient sur place et 150 externes qui logeaient chez eux,
à St-Hyacinthe même) à partir de la classe des Éléments latins jusqu’à la 2e année de philosophie, soit un cours qui s’étendait en principe sur huit années. Je dis « en principe » parce que certains élèves pouvaient terminer le cours en sept années alors qu’on condensait les trois premières années en deux, soit les Éléments Latins, la Syntaxe et la Méthode qui étaient condensées en Syntaxe spéciale et Méthode spéciale. Par la suite, c’était le même parcours pour tous, soit la Versification, les Belles-lettres, la Rhétorique, la Philosophie I et la Philosophie II. Après les deux premiers mois en Éléments latins, on choisissait ceux qui passeraient directement en Syntaxe spéciale. Les autorités du séminaire hésitaient à me faire accéder à ce parcours abrégé à cause de mon jeune âge
(11 ans seulement), mais un professeur originaire d’Acton Vale, l’abbé André Beaugrand, est intervenu en ma faveur en plaidant que si j’étais plus jeune que les autres, c’est tout simplement parce que j’avais entrepris mes études primaires à cinq ans et que j’étais passé directement de la 4e à la 6e année, et que je n’avais pas à être pénalisé pour cela. Des
28 élèves qui ont été choisis pour la Syntaxe, nous sommes seulement cinq à avoir gradué en Philosophie II sans avoir abandonné les cours ou sans avoir doublé une année.

Je me souviens très bien de ma première journée au séminaire. C’était la première fois que je quittais la maison familiale (excepté pour un camp scout) en sachant que je n’y reviendrais pas avant Noël, sauf une journée en octobre et en novembre. Quand ma mère a quitté l’endroit en fin d’après-midi, j’avais le cœur gros, mais comme nous étions de nombreux nouveaux, je me suis rapidement fait des amis. Mais quand venu le temps d’aller au lit (à 21 heures… ce qui était bien plus tôt qu’à la maison) et que je me suis retrouvé dans un immense dortoir de 150 lits (le séminaire comptait trois de ces dortoirs) où nous n’avions pas le droit de parler, je me suis mis à pleurer dès que les lumières se sont éteintes. À en juger par les bruits que j’entendais autour de moi, je n’étais pas le seul. Je me suis finalement endormi, et le lendemain matin, je me sentais beaucoup mieux… et je n’ai plus jamais pleuré d’ennui par la suite.

Ma présente série de textes s’intitule « les villes où j’ai vécu », mais je dois bien avouer que mon séjour de sept années à St-Hyacinthe (j’y suis retourné plusieurs années plus tard… et j’en parlerai dans un futur texte) s’est déroulé à 98 ou 99 pour cent à l’intérieur des limites du séminaire. Nous avions rarement l’occasion d’aller « en ville ». Pour ce faire, il fallait demander la permission au directeur des études et avoir une très bonne raison pour quitter le séminaire, comme par exemple aller chez le médecin ou chez le dentiste. Pour quitter le séminaire, il fallait un billet signé de la main du directeur, billet qu’il fallait présenter à un surveillant au départ ainsi qu’au retour. Une fois par année, nous pouvions nous rendre au manège militaire de la ville où se tenait une clinique de sang de la Croix-Rouge. Nombreux étaient les étudiants qui se portaient volontaires pour donner de leur sang, mais ce n’était pas toujours par pur désintéressement. En effet, c’était une occasion de quitter le séminaire pour aller « en ville », et, petit bonus, la Croix-Rouge donnait un verre de cognac à tous ses donneurs pour les aider à se remettre rapidement sur pied, une pratique fort agréable qui a depuis bien longtemps été remplacée par un simple café.

Au Séminaire de St-Hyacinthe, il y avait des cours tous les jours, y inclus le samedi. Nos congés hebdomadaires étaient les mardis et les jeudis en après-midi, de même que les dimanches. Nous profitions des récréations et des périodes de congés pour faire du sport. Il faut dire que nous étions choyés en termes de terrains et d’équipements : nous avions huit courts de tennis (un réservé à chaque classe), huit courts de balle au mur, huit terrains de softball, trois terrains de baseball, trois terrains de football, une piste d’athlétisme, trois patinoires, un plateau de basketball intérieur (gymnase) et un autre à l’extérieur, huit tables de ping-pong, etc. Le sport était bien organisé : il y avait des ligues de softball, baseball, basketball, et hockey. L’hiver, les mardis et les jeudis après-midi, en plus de matches de hockey disputés sur les trois patinoires du séminaire, il y en avait également à l’aréna de la ville, donc d’autres occasions de quitter le séminaire pour aller « en ville ».

À l’époque des séries mondiales de baseball, il nous arrivait de quitter le séminaire « en cachette » pour aller voir les matches à la télévision. Je me souviens d’une fois où je me suis fait « attraper » et d’avoir reçu tout un « savon » de la part du directeur. Il m’avait dit que j’aurais dû demander la permission, qu’il me l’aurait accordée, ce dont je doute fortement. Mais ses paroles n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd. L’année suivante, je suis allé le voir et je lui ai demandé la permission pour aller «en ville ». Bien sûr, il m’a demandé « pourquoi? » et je lui ai avoué candidement que c’était pour aller voir la Série mondiale chez un confrère dont les parents habitaient St-Hyacinthe. Il m’a d’abord refusé… mais quand je lui ai rappelé son petit discours de l’année précédente à l’effet que
« si j’avais demandé la permission il me l’aurait accordée »… il a été pris à son propre piège et m’a autorisé à y aller. J’en ris encore quand je pense à ce coup fumant.

Pendant mes sept années au séminaire, j’ai pratiqué tous les sports possibles. Je n’excellais dans aucun, mais je me débrouillais dans toutes les activités. Je n’ai jamais été assez bon pour faire partie de la première équipe de ma classe, mais je faisais toujours partie de la deuxième équipe. Quand il n’y avait pas de longs congés, comme à Noël et à Pâques, nous avions droit à un congé par mois pour aller dans nos familles… à condition d’avoir de bonnes notes de conduite. Il faut dire que parler dans les moments de silence pouvait facilement nous valoir une mauvaise note de conduite. Et des moments de silence, il y en avait beaucoup. Inutile de dire que j’avais de nombreuses difficultés de ce côté-là… ce qui fait que je perdais souvent mes congés du mois. Ceux qui avaient leur congé du mois partaient en autobus vers 8 heures le matin, immédiatement après le petit déjeuner, pour se rendre dans leurs familles respectives, et ils devaient revenir au séminaire pour
8 heures le soir. Ceux qui n’avaient pas leur congé et ceux qui habitaient trop loin pour effectuer un aller-retour à la maison le même jour devaient rester au séminaire, mais ils étaient libres toute la journée… pas de cours, pas de session d’études… seulement des sports durant 12 heures, sauf de brèves pauses pour le dîner et le souper. J’adorais ne pas avoir mes congés du mois!!! Il y avait plusieurs élèves franco-américains au séminaire. Ils venaient des états américains voisins du Canada. Évidemment, ils n’allaient pas à la maison pour un congé d’un jour. Ils connaissaient et pratiquaient tous le football et nous l’ont enseigné. C’est comme cela que j’ai appris le football américain (que j’adore toujours) bien avant d’apprendre le football canadien.

Au séminaire, j’ai continué à développer le goût de la lecture. Il y avait tellement de moments de silence… dont je profitais pour lire. Je lisais en défilant dans les interminables corridors, je lisais pendant la messe quotidienne en dissimulant mon livre dans un étui de missel, je lisais dans la salle d’étude dès que j’avais terminé mes devoirs (ce qui ne me prenait habituellement pas beaucoup de temps), je lisais dans mon lit en attendant qu’on ferme les lumières du dortoir. Je crois avoir lu en moyenne un livre à tous les jours où j’ai été au séminaire. Nous avions une bibliothèque dont j’ai rapidement fait le tour. C’est alors que j’ai découvert que plusieurs professeurs avaient des bibliothèques personnelles intéressantes. Je n’ai pas hésité à me faire « copain » avec eux et à leur emprunter des livres. Ma mère m’avait enseigné le respect des livres… et je leur ai toujours fait attention et les ai toujours remis dans le même état où ils étaient quand je les ai empruntés. J’étais passionné par les romanciers du XXesiècle, les Mauriac, Balzac, Zola, Camus, St-Exupéry, Hemingway, Steinbeck, et combien d’autres. Durant mes années de Philosophie, nous avions des cours de littérature, particulièrement de littérature contemporaine. Il ne m’est jamais arrivé que le professeur nous parle d’un auteur dont je n’avais pas lu la majorité des œuvres.

Ces sept années au Séminaire de St-Hyacinthe ont été merveilleuses. J’y suis arrivé un enfant… j’en suis sorti un adulte… ou presque.

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Les villes où j’ai vécu : Acton Vale

(Depuis sa naissance, Alain a habité dans une dizaine de villes différentes, dont certaines à plus d’une reprise. Bien sûr, ses souvenirs et ses impressions de chacun de ces endroits où il a vécu sont relatives à l’âge qu’il avait à l’époque et aux activités auxquelles il s’était livré… ainsi que des souvenirs qu’il en a gardés. Voici donc le premier article de cette série. Vous les retrouverez par la suite dans l’onglet « Les villes où j’ai vécu » sous les «Grands thèmes » de mon blogue. Bonne lecture.)

par Alain Guilbert

Je suis né à Acton Vale le 6 mars 1940, fils aîné de Roland Guilbert et de Léa Loignon. Acton Vale, « la porte des Cantons-de-l’Est », selon ce qui était écrit sur un panneau publicitaire placé près de la voie ferrée en plein centre-ville. Acton Vale, une ville industrielle comptant environ 5 000 âmes, une ville dont les principales industries étaient Acton Rubber (qui n’a pas un jour porté des caoutchoucs ou des bottes Acton?), Acton Shoe, un manufacturier de souliers qui a fermé ses portes il y a bien longtemps, et aussi les Tapis Peerless, dont les produits étaient distribués et vendus partout au Canada. Acton Vale (pour ceux et celles qui n’en ont jamais entendu parler) est située à peu près à la même distance et au milieu de villes comme St-Hyacinthe, Granby, Drummondville et Richmond, quelque part au Centre du Québec, entre la Montérégie et les Cantons-de-l’Est.

Pourquoi Acton Vale? Parce que mon grand-père maternel, Thomas Loignon, qui avait vécu à Thetford Mines jusqu’au milieu des années 1930, avait acheté un hôtel, Le Manoir, et qu’il y avait amené ses trois filles, dont ma mère, pour lui donner un coup de main.
Et c’est ainsi que ma mère a rencontré un bel électricien œuvrant à la Southern Canada Power (mais oui, c’était bien avant la nationalisation des compagnies électriques et la création d’Hydro Québec), qu’elle a épousé en septembre 1938. Tous deux étaient âgés de 33 ans. De cette union sont nés trois enfants, moi, évidemment, et mes frères, Bruno et Laval. Nous aurions possiblement été plus nombreux si un terrible cancer n’avait pas emporté mon père à l’âge de 38 ans alors que je n’avais que 4 ans et que mes frères étaient respectivement âgés de 2 ans et demi ainsi que d’un an.

Ma mère ne s’est jamais remariée, ayant fait le choix de se consacrer à ses « trois trésors », comme elle nous appelait. La vie n’était pas facile à l’époque. Mon père a été alité pendant neuf mois, dont les quatre premiers à l’hôpital St-Charles de St-Hyacinthe et les cinq suivants à la maison, alors qu’on avait jugé son cas incurable. La chimiothérapie et la radiothérapie n’avaient pas encore été inventées. Les programmes comme l’assurance-hospitalisation, l’assurance-santé, l’assurance-médicaments, les CLSC, l’aide à la maison pour les grands malades… rien de cela n’existait à l’époque. Il n’y avait même pas d’assistance sociale pour une « veuve avec trois jeunes enfants » et des dettes d’hôpital, de pharmacie et d’infirmerie.

Avant d’être condamné à garder le lit, mon père qui luttait déjà contre le cancer, avait dû abandonner son emploi comme électricien et s’était trouvé un travail prétendument plus facile en devenant le gérant d’une succursale de meubles Légaré. Au décès de mon père, ma mère a conservé cette agence pour assurer notre survie et la sienne, bien sûr. Elle était alors la seule femme agente de Légaré dans tout le Canada (qui comptait plus de
75 succursales). Quand j’étais tout jeune, je croyais naïvement qu’il s’agissait vraiment d’un magasin de meubles. Mais plus tard, j’ai réalisé qu’il s’agissait bien davantage d’une sorte d’agence de crédit, dont l’objectif était de vendre des meubles « pas trop chers », mais de faire en sorte que les acheteurs les paient à crédit pendant très longtemps. Même si les taux d’intérêt exigés n’étaient pas aussi exorbitants qu’aujourd’hui, ils étaient quand même très élevés. Les gens qui achetaient des meubles dont ils avaient vraiment besoin, mais qui ne pouvaient les payer comptant, se retrouvaient avec des versements hebdomadaires ou mensuels de quelques dollars. On disait ironiquement qu’un acheteur pouvait se procurer un bien de 100 $ en versant 1 $ par semaine… pour le reste de sa vie!!! Quand j’avais 9 ou 10 ans, je faisais parfois de la collection pour les comptes de ma mère. Je me souviens d’une « vieille fille » qui remboursait sa dette à raison de 50 cents par semaine.

Cette période de la vie a été très difficile pour ma mère, parce qu’elle devait consacrer des heures et des heures à ce magasin ouvert de 9 h à 18 h du lundi au jeudi, et de 9 h à 22 h les vendredis et les samedis. Elle en faisait la comptabilité tard le soir, et même une partie de ses nuits, c’est-à-dire quand mes frères et moi dormions.

Nous étions bien jeunes et à l’âge de l’insouciance. Ce n’est que bien des années plus tard que nous avons réalisé toute l’ampleur du travail de notre mère pour s’assurer que nous puissions manger tous les jours et que nous ne nous sentions pas différents de nos « petits amis » et des autres enfants. Nos premières bicyclettes étaient usagées, de même que nos premiers patins. Même chose pour nos premières raquettes de tennis. Lorsqu’il nous fallait des uniformes pour jouer au baseball, ma mère n’avait pas les moyens d’en acheter. Elle les fabriquait. Nous n’avions pas d’argent, mais ma mère en trouvait toujours pour les choses importantes de la vie. À Noël, par exemple, nous recevions toujours des livres en cadeau. Ma mère a tout fait pour nous donner le goût de la lecture. Elle a certainement très réussi avec moi. Elle s’était abonnée à La Tribune de Sherbrooke alors que je n’avais que 7 ou
8 ans. C’est moi qui allais chercher le journal tous les jours au bureau de poste. Je le dévorais du début jusqu’à la fin, avec une attention particulière pour la section des sports. Ce sont probablement les gestes posés par ma mère quand j’étais tout jeune qui m’ont amené à faire carrière comme journaliste et à œuvrer presque toute ma vie dans les médias d’information et les communications.

Il faut dire que j’ai développé le goût de la lecture et de l’écriture très jeune. En effet, j’ai commencé l’école alors que je n’avais que 5 ans. Il n’y avait pas de minimum requis, mais c’était habituellement 6 ans… Les Frères du Sacré-Cœur m’ont accepté à 5 ans pour libérer un peu ma mère aux prises avec trois jeunes enfants depuis le décès de mon père. J’apprenais facilement, et en 4e année, je n’avais pas besoin d’être attentif en classe pour assimiler ce qu’on y enseignait. Le frère Guy-Robert, le titulaire de la classe, me prêtait des livres que je devais lire en classe plutôt que de déranger mes voisins. Je me souviens d’avoir lu le « Tour du monde en 80 jours » de Jules Verne alors que je n’avais que 8 ans.
À la fin de l’année scolaire, on m’a fait « sauter » directement en 6e année parce qu’on estimait que je perdrais mon temps en 5e.

J’ai commencé à pratiquer les sports très jeune: la natation, le tennis et le baseball, l’été; le hockey, l’hiver. Le samedi, nous chaussions nos patins à la maison et marchions, patins au pied, jusqu’à la patinoire de l’école. Nous nous divisions en deux camps… et tout le monde jouait en même temps. Parfois nous étions trois ou quatre dans chaque camp… Parfois
15 ou 20, quand il arrivait de nouveaux joueurs, nous les partagions d’un côté à l’autre. Même chose lorsque des joueurs retournaient à la maison… nous équilibrions les nombres…mais tout le monde se retrouvait en même temps sur la patinoire. Le midi, nous retournions à la maison pour manger. Ma mère plaçait des cartons sur le plancher de la cuisine pour que nous n’ayons pas à enlever nos patins. Et aussitôt le dîner avalé, nous retournions à la patinoire de l’école, toujours avec les patins aux pieds. Lorsqu’il ne faisait pas trop froid, nous retournions parfois à l’école le soir après souper parce qu’il y avait des lumières pour éclairer la patinoire.

Quand la patinoire de l’école n’était pas prête au début de l’hiver ou lorsqu’elle fermait au printemps, nous allions patiner et jouer au hockey sur la rivière. Vous aurez compris que s’il n’y avait pas assez de glace sur la patinoire, il n’y en avait pas davantage sur la rivière. Disons que nous avons souvent terminé nos compétitions au moment où la glace cédait sous le poids de l’un des joueurs (parfois, c’était moi). Nous rentrions alors à la maison trempés jusqu’aux os… ce qui ne nous a jamais empêchés de recommencer, même quand nous savions que la glace était bien mince.

À l’époque, on ne déblayait pas les rues, ni les trottoirs, durant l’hiver. S’il neigeait beaucoup, ce qui arrivait presque toutes les années, les bancs de neige de chaque côté de la rue atteignaient presque les fils des poteaux de téléphone et d’électricité. Nous allions à l’école à pied (les autobus scolaires n’existaient pas encore) et jamais, au grand jamais, une école n’a été fermée à cause d’une tempête. Il ne nous serait jamais venu à l’idée de demeurer à la maison une journée de mauvais temps. Inutile de dire qu’avec les religieux comme enseignants les journées pédagogiques n’existaient pas non plus. Nos professeurs se perfectionnaient les fins de semaine ou durant les vacances d’été.

Le tour de force que ma mère a accompli pendant ma jeunesse, et celle de mes frères, c’est que nous étions pauvres… mais que nous ne nous en sommes jamais aperçus. C’est sûrement là une facette du bonheur!